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A l’époque contemporaine, la création de la collectivité territoriale décentralisée est l’œuvre de l’Etat en tant que pouvoir politique organisé244, centralisé par essence. Sans que les

donc divisé en provinces ou régions, elles-mêmes subdivisées en cantons formés de plusieurs villages…Dans chaque centre ou village, il y avait une maison de commandement «Agoli», siège du chef de village ou de région. Le Agoli était en fait la salle de délibération ; c’est ici que les chefs et leurs collaborateurs discutent des affaires publiques. «Quelle que soit la nature des affaires traitées, ils (les chefs et leurs collaborateurs) y prennent tous part, émettent leur avis, formant ainsi un véritable conseil… Les représentants du roi (autorité centrale) sur chaque territoire avaient pour principales missions : le maintien de l’ordre public, la justice, le recouvrement de l’impôt (kuzu) et de toutes autres contributions, le payement de tribut au roi, l’aide militaire au roi sous forme de levée en masse de contingent… Les administrés payent l’impôt (Kuzu : impôt en nature) au chef. L’impôt est prélevé sur les revenus des champs. Une partie de cet impôt est destinée au chef et l’autre partie au roi».

239 LOMBARD J., «La vie politique dans une ancienne société de type féodal : les Bariba du Dahomey», Cahier d’études africaines, vol.1, n° 3, 1960, pp. 5-45.

240 MAMA DEBOUROU D., La société Baatonou du Nord-Bénin : son passé, son dynamisme, ses conflits et ses innovations, des origines à nos jours. Essai sur l’histoire d’une société de l’Afrique Occidentale, Thèse de lettres et sciences humaines, Abomey-Calavi, 2009, pp. 466-480.

241 OUATTARA S., Gouvernance et libertés locales pour une renaissance de l’Afrique, Paris, Karthala, 2007, pp. 27-36.

242 Commission Economique pour l’Afrique, L’optimisation du rôle des institutions traditionnelles dans la gouvernance en Afrique Centrale, 2006, pp. 8-10.

243 ZUCARELLI F., «De la chefferie traditionnelle au canton : évolution du canton colonial au Sénégal - 1855-1960», Cahier d’études africaines, vol.13, n° 50, 1973, pp. 214-215.

244 HAURIOU M., Principes de droit public, Paris, Dalloz, 2010, p. 230 : «Après s’être équilibré pendant un certain temps avec les institutions politiques primaires auxquelles il s’est superposé, le régime d’Etat tend à les subordonner et même à les éliminer, c’est pendant

47 fondements socio-économiques et les visions ne soient nécessairement les mêmes245, la constance historique notée en France (1) est en cours de reproduction en Afrique francophone (2).

1. L’expérience de la France

C’est la loi du 14 décembre 1789 portant sur l’organisation municipale qui pour la première fois a installé une municipalité dans chaque paroisse, chaque bourg et chaque ville246. La constitution française de 1791 sera la première à esquisser l’autonomie des collectivités locales. Elle dispose que «Les administrateurs n’ont aucun caractère de représentation. Ils sont les agents élus à temps par le peuple pour exercer…les fonctions administratives»247. A l’époque contemporaine, la constitution française du 27 octobre 1946 consacrera, pour la première fois, un titre entier aux collectivités locales. Le mérite de ce texte est d’avoir fait de ces collectivités un sujet du droit constitutionnel. En effet, l’article 87 de ce texte proclame pour la première fois248 le principe de libre administration249 des collectivités locales même si le choix de communaliser ces groupements s’expliquerait, entre autres, par l’auto- organisation qui y a existé depuis l’Ancien Régime250.

cette période que naît le régime administratif. Quand les institutions primaires sont totalement éliminées, le régime d’Etat est obligé de reconstituer avec sa propre substance un équilibre de superposition, en décentralisant au-dessous de lui».

245 Le constituant (de 1990 au Bénin, de 2010 au Niger) a institué la libre administration en conformité avec sa vision libérale (cf. préambule). Il a également entendu en faire un outil de promotion d’un développement solidaire et équilibré (Bénin : Const. 11 décembre 1990, art. 153 et Niger, Const. du 25 novembre 2010, art. 165).

246 Pour plus de détails sur l’histoire de la décentralisation en France, v. BEAUD O., Fédéralisme et fédération en France : histoire d’un concept impensable?, Annales de la faculté de droit de Strasbourg, Nouvelle série, n° 3, Presses universitaires de Strasbourg, 1999, pp. 7-82 ; BURDEAU F., «Affaires locales et décentralisation : évolution d’un couple de la fin de l’Ancien Régime à la Restauration», Le pouvoir, Mélanges Georges Burdeau, Paris, LGDJ, 1977, pp. 765-788 ; BODINEAU P., VERPEAUX M., Histoire de la décentralisation, Coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 2ème éd., 1997 ; BOUET J.-B., L’administration décentralisée du territoire : choix et perspectives ouverts sous la cinquième république, Thèse, Droit Public, Angers, 2006, pp. 2-20.

247 Titre III, chapitre IV, section 2, art. 2.

248 Avant avril 1946, ni la doctrine ni la jurisprudence ou autres textes à caractère législatif ou réglementaire ne faisait usage de ce terme.

249 Art. 87 : «Les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus au suffrage universel. L'exécution des décisions de ces conseils est assurée par leur maire ou leur président».

250 Le développement des institutions locales remonte au XIIème siècle, avant même l’affirmation du pouvoir royal qui, sous le Consulat et l’Empire, a instauré un centralisme exacerbé qui s’est manifesté par l’adoption et la mise en œuvre de la loi 28 pluviôse An VIII du 17 février 1800 qui créa la fonction préfectorale et supprima le principe électif des assemblées locales.

48 Cette confiance en cette capacité à gérer les intérêts locaux est perceptible dans la loi municipale française du 05 avril 1884 qui dispose en son article 61 que «Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune». Le même constat de confiance aux capacités locales peut être relevé dans la loi fondamentale luxembourgeoise de 1815 qui n’a même pas daigné fixer de règles pour l’organisation des administrations locales mais s’est bornée à disposer en son article 154 que «les administrations des seigneuries, districts et villages seront organisées de la manière qui sera trouvée la plus convenable aux circonstances et aux intérêts locaux».

Cette confiance en l’institution communale justifie la constitutionnalisation constante de l’existence251 et de la libre administration des collectivités252 depuis 1946. Son renforcement a fait l’objet de la réforme constitutionnelle au terme de laquelle la France est devenue une république décentralisée253, une phase qui reste une perspective pour les Etats d’Afrique noire francophone qui ont restauré, dans les années 1990, la décentralisation territoriale.

2. La pratique en Afrique noire francophone

La colonisation a brutalement bouleversé l’évolution envisageable des systèmes de gouvernance territoriale décrite précédemment. En effet, les nécessités de contrôle des ressources par les puissances colonisatrices ont imposé, au moyen de la force militaire, une fin brusque à l’organisation territoriale préexistante. Les impératifs de l’unité politique et administrative l’ont emporté sur les libertés locales. Dans les territoires, notamment ceux colonisés par la France, toutes les institutions pré coloniales ont été supprimées et remplacées par une organisation adaptée aux besoins de la métropole. Au lieu d’institutionnaliser les groupements territoriaux pré existants et caractérisés par une communauté d’intérêts et le vouloir vivre ensemble, des espaces administratifs ont été

251 Const. 27 octobre 1946, art. 85 : «La République française, une et indivisible, reconnaît l'existence de collectivités territoriales».

En retenant cette expression, le Constituant de 1946 renvoie à une conception des collectivités territoriales empreinte de naturalisme qui suggère que l’inscription constitutionnelle n’en est pas le fondement, mais simplement ce qui la fait exister en droit. Les Constituants français, à partir de 1958, se sont détachés de cette conception naturaliste. L’État fait désormais figure de seule réalité tangible, tandis que les collectivités territoriales n’existent que dans la mesure où le droit étatique les admet, les consacre.

252 Const. du 27 octobre 1946, art. 87 : «Les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus au suffrage universel».

253 Au terme de la Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, le nouvel art 1er de la Constitution française dispose : «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée».

49 artificiellement créés. A l’inverse du mouvement d’élargissement des libertés locales à travers la communalisation alors en cours en Europe, en Afrique noire francophone, la période coloniale a été marquée par une centralisation outrancière.

Louis DE CLERCK résume bien cette situation faite d’une présence directe au niveau local de l’administrateur territorial nommé par la colonie254. Il a fallu attendre la veille des indépendances pour assister à un rétablissement timide des libertés locales, non plus en faveur des groupements territoriaux quasi naturellement constitués mais au profit d’espaces administratifs taillés sur intérêt par la puissance colonisatrice. La loi n° 55-1489 du 18 novembre 1955 relative à la réorganisation municipale en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, au Togo, au Cameroun et à Madagascar a créé des communes.

L’article 6 de ladite loi étend aux communes ainsi créées les dispositions de la loi municipale française du 05 avril 1884. Malgré ses infortunes périodiques, l’administration territoriale demeure présente dans les réformes successives en raison des échecs répétés des différentes formes de centralisation expérimentées.

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