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Une présence suspecte dans la mise en place des organes

Paragraphe 2 : Une intégration opportune pour les participations locales

A. Une présence suspecte dans la mise en place des organes

Le pouvoir d’installation conféré à l’autorité de tutelle ne paraît pas être un bon présage pour l’autonomie des organes élus (1). En outre, se fondant sur la nécessité d’une présence, ne fut-ce que passive, au cours de l’élection des organes en vue de permettre au représentant de l’Etat de remplir convenablement son mandat tutélaire, le ministère béninois en charge de la décentralisation a pris la circulaire n° 0163/MISD/DC/SG/DGAT du 17 janvier 2003 qui est manifestement illégale même si les directives qu’elles instituent ne seraient pas de nature à faire obstacle au déroulement transparent des votes (2).

1. Le pouvoir d’installation, un présage à la hiérarchisation des rapports

Les conseils des collectivités territoriales sont installés par le représentant de l’Etat, autorité de tutelle708. Au Niger, c’est lui qui en dresse même le procès-verbal. Mais une fois le conseil installé, sa mission devrait être terminée. L’élection du maire est conduite par le bureau d’âge du conseil709. Mais la réalité diffère. En effet, l’autorité de tutelle assiste ou se fait représenter à l’élection du maire et de ses adjoints. Dans certains cas, l’autorité en a même supervisé le déroulement et a apposé sa signature sur le procès-verbal du vote. C’est là que pourraient se manifester les interférences : demandes intempestives de suspension, menaces

707 KELSEN H. cité par EISENMANN Ch., Centralisation et décentralisation, Paris, LGDJ, 1948, p. 161.

708 Bénin : Loi n° 97-029, art. 14 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 53.

709 Bénin : Loi n° 97-029, art. 17 et Décret n° 2001-414 du 15 octobre 2001 fixant le cadre général du Règlement Intérieur du conseil communal au Bénin ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 53, al. 3.

142 de non approbation de l’élection, etc. Le juge béninois en a reconnu l’illégalité en des termes non équivoques : «Considérant…qu’il ressort en effet du procès-verbal établi que Monsieur …, Préfet des Départements…y a apposé sa signature en qualité de superviseur, contrairement aux dispositions de l’article 41, alinéa 3 de la Loi n° 97-029 du 15 janvier 1999 et…qui réservent cette qualité au seul bureau d’âge ; qu’il s’agit là d’une violation flagrante desdites dispositions…» 710.

Une fois le conseil installé, son fonctionnement est assuré par son président. C’est l’exécutif qui convoque et qui en préside les sessions711. Il convoque les sessions soit de sa propre initiative et conformément aux dispositions légales y afférentes ou sur demande de la majorité absolue du conseil. Le législateur béninois prévoit que l’exécutif communal convoque la session «en cas de prescription de l'autorité de tutelle»712.

En outre, l’autorité de tutelle joue un rôle dans la résolution des cas de démission, d’incompatibilités et de destitution du maire et de ses adjoints713. Or, en administration, il est une coutume établie que c’est le supérieur qui installe, qui démet ou qui reçoit démission.

Les dispositions susvisées pourraient constituer un conditionnement psychologique qui prépare l’élu local à une certaine subordination plutôt qu’à la libre administration, voulue par le constituant. Ainsi, des Préfets ont pu se permettre, sans raison objective et en violation des textes, de bloquer la destitution d’un maire en ne convoquant pas la session extraordinaire devant connaître de la motion de défiance entravant ainsi le bon fonctionnement de l’organe délibérant714. De même, usant de la faculté que lui accorde le législateur, le pouvoir central s’est refusé à dissoudre un conseil communal non fonctionnel pour plus de six mois, laissant l’administration de la commune au bon gré du seul exécutif715.

710 Arrêt n° 002/CA/ECM du 05 février 2004, Cour Suprême (Bénin), op. cit., p. 836.

711 Bénin : Loi n° 97-029, art. 15 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 78.

712 Bénin : Loi n° 97-029, art. 17, al. 2.

713 Bénin : Loi n° 97-029, art. 50 à 52 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 41.

714 Bénin : Loi n° 97-029, art. 53 ; Décret n° 2005-376 du 23 juin 2005 fixant les modalités de destitution du Maire, art.

7 et 8 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 67.

715 Bénin : Loi n° 97-029, art. 154. Le conseil communal de Natitingou (Bénin), en raison d’une crise interne, ne s’est pas réuni entre 2006 et 2008.

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2. Une interférence tolérée par le juge administratif béninois

Plusieurs contestations ont été élevées contre de prétendues interférences des autorités de tutelle dans les opérations de désignations internes des autorités par les organes locaux. En conséquence, la partialité de l’autorité de tutelle a été incriminée par plusieurs requérants qui ont pu solliciter l’annulation de l’élection d’exécutifs communaux au motif que la présence de représentants de l’autorité de tutelle dans la salle de vote a «affligé les conditions d’un vote libre et secret»716. L’occasion a été ainsi donnée au juge de la sincérité du scrutin local au Bénin d’indiquer, dans l’Arrêt n° 002/CA/ECM du 05 février 2004, que même si «les directives contenues dans la Circulaire n° 0163/MISD/DC/SG/DGAT du 17 janvier 2003 et partant, les divers comportements fondés sur elles, sont radicalement illégaux», une telle illégalité résultant par exemple de la simple présence passive de l’autorité de tutelle ou de ses représentants «ne présente pas de caractère substantiel» qui puisse «porter atteinte à la sincérité du vote»717.

En l’espèce, la solution du juge administratif, juge du contentieux des élections communales, paraît discutable. Un recours à l’énoncé de l’argumentaire autorise une telle analyse. Pour expliquer le rejet du moyen tiré de l’illégalité reconnue par elle de la circulaire du 17 janvier 2003, la Chambre administrative de la Cour suprême béninoise argumente qu’elle «n’est pas juge, à proprement parler, de la légalité, mais plutôt juge de la sincérité du scrutin».

Cet argumentaire paraît curieux d’autant plus que c’est justement parce que le juge administratif est juge de la légalité administrative qu’il lui est confié le contentieux des élections locales qui sont, à la différence des autres scrutins, plus administratives que politiques. Ayant reconnu qu’en limitant le rôle de l’autorité de tutelle à la seule installation du conseil communal, le législateur a entendu «créer les conditions d’une élection transparente, honnête et sans influence de la part de qui que ce soit», le juge aurait pu être plus ferme en écartant la présence, fut-elle passive, de l’autorité de tutelle ou de son représentant au cours des opérations de vote.

716 Arrêt n° 349/CA/ECM du 31 juillet 2003, Cour Suprême (Bénin), Contentieux des élections locales, Décembre 2002 et Janvier 2003, Recueil des arrêts, Direction des Etudes et de la Documentation, Cotonou, 2007, pp. 769.

717 Cour Suprême (Bénin), op. cit., pp. 836 et 837.

144 Etant à une première expérience d’élections locales démocratiques, le contexte était propice et offrait au juge l’opportunité de contribuer à la réalisation du projet décentralisateur du constituant. Au-delà de la lettre des dispositions légales, un arrêt du juge tendant à proscrire la présence ou la représentation de l’autorité de tutelle, aurait renforcé l’esprit des textes qui demeure l’autonomie des organes d’administration des collectivités territoriales vis-à-vis de l’exécutif et de ses démembrements. Les décisions rendues par le juge administratif béninois à ce sujet n’apportent ni l’éclairage juridique attendu ni l’assurance nécessaire à la protection judiciaire de la libre administration.

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