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CHAPITRE II : LA FRAGILITE DE LA SEPARATION

Paragraphe 2 : Des moyens incomplets

A. Des critères matériels remplis

Est pouvoir, toute organisation capable de faire plier toute résistance sur son territoire et à y faire régner son ordre. Même s’il ne s’agit pas d’un territoire de souveraineté, la collectivité territoriale dispose de son territoire propre (1) sur lequel elle devrait disposer, dans les

520 Ordinairement, les collectivités territoriales exercent trois types de compétences : les compétences propres, les compétences partagées et les compétences déléguées.

521 APPIA K., op. cit., p. 201: «La clause générale apparaît d'abord intéressante parce que, sur le plan politique, elle donne véritablement l'initiative aux élus locaux. C'est donc un moyen juridique concret de réaliser l'idéal de la participation, qui sous-tend toute décentralisation territoriale…La clause est un moyen de responsabiliser les pouvoirs locaux. Ce sont eux qui devront en effet imaginer les solutions lorsqu'elles n'ont pas été étudiées par le pouvoir central. Et même lorsque c'est le cas, ils pourront en inventer d'autres, tant que le droit positif ne l'interdit pas».

522 A cet égard, Jacques ARRÈS-LAPOQUE déclare, lors de la séance du 16 avril 1946 : «nous affirmons ici et nous entendons affirmer dans la Constitution que les pouvoirs publics comprennent le pouvoir local. Nous affirmons qu’à la base du pouvoir politique démocratique, il y a le pouvoir local démocratique. Nous en posons le principe». ARRÈS-LAPOQUE J., Séance du 16 avril 1946, JORF ANC élue le 21 octobre 1945 débats, n° 49, mercredi 17 avril 1946, p. 1922.

106 conditions prévues par la loi, des instruments et exercer la violence légitime indispensable pour administrer (2).

1. La collectivité territoriale, une entité avec un territoire propre

Le mot territoire est bien présent dans le droit positif523 mais les textes n’en donnent la moindre définition. Le droit administratif général s’en préoccupe relativement très peu524. Quant aux auteurs des ouvrages de droit de la décentralisation, ils se limitent à poser le constat que le territoire est l’un des trois éléments constitutifs de la collectivité territoriale525. Enfin, le recours à la jurisprudence n’est pas de meilleure utilité pour répondre à la question de savoir si la collectivité territoriale dispose d’un territoire propre.

Pour mieux appréhender le sujet, il paraît indiqué d’apprécier le rapport du territoire avec l’Etat, son référent classique en droit. Sur le sujet, deux principales théories s’affrontent. Il s’agit de celle du territoire-objet portée par, entre autres, FAUCHILLE526 et DONATI527 qui défendent l’idée que l’Etat, comme le propriétaire sur sa chose, exerce un droit réel528 sur son territoire529. La critique qui est faite à cette conception est de présenter le territoire comme quelque chose de détachable de la personnalité de l’Etat à l’instar d’un individu qui, peut céder une chose sans que sa personnalité en soit affectée. Considérer la relation entre

523 Il est utilisé à quatorze (14) reprises dans la Constitution nigérienne (2010) et dix-sept (17) fois dans le Code Général des Collectivités Territoriales du Niger aussi bien pour les collectivités territoriales décentralisées que pour les unités non décentralisées.

524 La doctrine juridique ne se préoccupe pas de définir le territoire. Par contre, les travaux ne manquent pas en ce qui concerne l’aménagement dudit territoire (urbanisme), sa propriété (domaine), son découpage (circonscription). C’est plutôt le droit constitutionnel et la science politique qui fournissent abondamment des définitions de la notion de territoire. V. cependant, les développements enrichissants faits par FOURNIE François, Recherches sur la décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, Paris, LGDJ, 2005, pp. 93-105.

525 BOURDON J., PONTIER J.-M., RICCI J.-C., Droit des collectivités territoriales, Paris, Thémis, PUF, 2ème éd., 1998, p.

67 et s. ; AUBY J.-B. et AUBY J.-F., Droit des collectivités locales, Paris, Thémis, PUF, 1ère éd., 1990, p. 39 ; MOREAU J., Administration régionale, départementale et municipale, Paris, Mémento Dalloz, 13ème éd., 2002, p. 4. ; VERPEAUX M., Les collectivités territoriales en France, Paris, Dalloz, 2002, p. 19.

526 FAUCHILLE P., Traité de droit international public, 8ème éd., Paris, 1922, T.1, p. 450.

527 DONATI D., Stato et territorio, Roma, 1934, pp. 16-123.

528 Ce droit réel est un dominium qui suppose un rapport de sujet à objet.

529 FAUCHILLE P., ibidem ; LABAND P., Droit public de l’empire allemand, éd. française, 1900, T.1, p. 287.

107 l’Etat et son territoire comme un droit réel ne serait pas conforme à la réalité juridique530. Selon les défenseurs de la thèse du territoire-sujet dont FRICKER531 et JELLINEK532, l’Etat exerce son empire sur ses ressortissants dans un espace donné qui représente son territoire. Le territoire n’est pas un objet mais plutôt un élément constitutif de l’Etat533. Le territoire est l’espace dans lequel l’Etat exerce son pouvoir534. L’Etat ne peut donc exister, en tant que pouvoir politique, sans cet espace. Le territoire est une «condition nécessaire de l’Etat»535. En 1906, s’était produit un changement de perspective avec l’analyse faite par Ernst RADNITZKY qui exprime une position médiane, celle du territoire-limite. Pour lui, la définition du territoire ne doit pas être recherchée dans le monde réel mais plutôt au plan normatif. Par conséquent, il conçoit le territoire comme le domaine spatial du pouvoir de l’Etat. KELSEN précisera cette conception en écrivant que le territoire de l’Etat est le domaine spatial de validité des normes d’un ordre juridique de l’Etat536. DUGUIT et CHANTEBOUT s’inscriront dans cette perspective537. Cette conception du territoire-limite est largement adoptée par les auteurs en droit international public538. Il existe d’autres conceptions539 qu’il n’est pas aisé de classer dans les catégories sus évoquées.

530 BARBERIS J., «Les liens juridiques entre l’Etat et son territoire : perspectives théoriques et évolution du droit international», Annuaire français de droit international, vol. 45, 1999, p. 138.

531 FRICKER K. V., Gebiet und Gebietshoheit, Tübingen, 1901, réimprimé en 2010, Bibliobazaar, 124 p.

532 JELLINEK G., in L’état moderne et son droit, 1911, p. 16, définit le territoire comme «un élément constitutif de l’Etat en tant que sujet juridique».

533 FOURNIE F., op. cit., p. 108 : «Le territoire devient un élément de l’être et non plus de l’avoir étatique».

534 Pour ces auteurs, la domination exercée par l’Etat sur son territoire serait de l’ordre de l’imperium entendu comme puissance de commandement.

535 FORTI H., op. cit., p. 4. V. également CARRE de MALBERG R., Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris, Sirey, 1920, rééd. CNRS, 1962, T.1, p. 4.

536 KELSEN H., Principles of International Law, New York, 1952, p. 209.

537 DUGUIT L., Traité de droit constitutionnel, 3ème éd., E. de Boccard, 1930, T. II, p.51 ; CHANTEBOUT B., Droit constitutionnel et science politique, Paris, Dalloz, 20ème éd., 2003, p. 13.

538 SCELLE G., Manuel élémentaire de droit international public, Domat-Montchrestien, 1943, pp. 66-67 ; BASTID S., Droit international public. Principes généraux, Les cours de droit, 1966-67, p. 45.

539 BURDEAU G., Traité de science politique, 3ème éd., T. II, Paris, LGDJ, 1980, p. 97 développe que le territoire est à la fois cadre de compétence et moyen d’action de l’Etat. BEAUD O., La puissance de l’Etat, PUF, 1994, p. 129, considère que le territoire est la projection spatiale de la souveraineté.

108 Dès lors, il incombe au juriste d’opter pour la conception la plus juridique possible et d’adopter celle qui reflète le rapport de pouvoir entre les personnes publiques. A cet égard, le parti peut être logiquement pris pour la conception du territoire-limite. Il reste à en élucider la transposabilité aux personnes territoriales. En effet, comme l’Etat, les collectivités locales ont leur territoire. Pour expliquer et ordonner cette coexistence, EISENMANN suggère de dématérialiser le concept de territoire540. BEAUD quant à lui propose de faire appel à la souveraineté541. Les institutions pratiquent, vis-à-vis des citoyens et entre elles, une réelle imposition de territorialité542. L’Etat est l’unique personne territoriale disposant originairement du territoire national et de la souveraineté. La collectivité territoriale dispose d’un pouvoir dérivé sur son territoire543. Si elle ne saurait l’opposer à l’Etat, elle est fondée, à l’encontre des citoyens et des autres collectivités, à y imposer sa légitime violence.

2. La collectivité territoriale, une entité dotée d’une capacité limitée d’exercice de la «violence légitime»

Toute organisation s’impose par sa capacité à faire respecter sa volonté par un certain pouvoir de contrainte. Ce postulat est vérifiable dans la plupart des groupements humains544. Au-delà de quelques nuances545, il est largement admis que l’apparition de l’Etat, en tant que pouvoir institutionnalisé, est corrélée à l’utilisation de la violence pour éviter que se réalise la maxime «homo homini lupus».

540 EISENMANN Ch., «Les fonctions des circonscriptions territoriales dans l’organisation de l’administration», Mélanges Waline, LGDJ, T. II, p.422.

541 BEAUD O., op. cit., p. 129 : «En tant que manifestation spatiale de la souveraineté, le territoire étatique comprend les territoires intra-étatiques sur lesquels s’exerce le pouvoir d’autres personnes juridiques».

542Etymologiquement, le territoire, c’est le jus terrendi, le droit de terrifier. Voir RAFFESTIN C., Pour une géographie du pouvoir, Paris, Litec, 1980, 250 p.

543 VERPEAUX M., Les collectivités territoriales en France, Paris, Dalloz, 2002, p. 19 : «Le territoire de la République est en quelque sorte la somme des territoires des collectivités territoriales. En même temps, le territoire de chaque collectivité est aussi celui des autres collectivités territoriales plus grandes» ; FORTI H., op. cit., p. 8 : «Le territoire [communal] est toujours une partie de celui de l’Etat».

544 WEBER Max, op. cit., p. 125 : «Les groupements politiques les plus divers -à commencer par la parentèle- ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir».

545 En effet, certains phénomènes contemporains dont par exemple la globalisation ont affecté le monopole de la violence légitime. Voir à cet effet, la contribution de DELCOURT Barbara, «La question du monopole de la violence légitime dans un monde globalisé» parue dans Revista de Estudios Juridicos, n° 7, 2006, pp. 385-405 ; cf. également, COLLIOT-THELENE C., «La fin du monopole de la violence légitime ?», Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 34, 2003, pp. 5-31.

109 HOBBES546, LOCKE547, ROUSSEAU548 ont démontré à suffisance, chacun suivant sa logique propre, la nécessité d’un pouvoir légitime de domination549. Le pouvoir étatique moderne s’est construit et fonctionne sur ce fondement que WEBER et ELIAS ont davantage explicité à travers la théorie du monopole de la violence légitime550. C’est grâce à cette monopolisation qu’un pouvoir a pu se centraliser et s’incarner dans l’Etat551. L’une des fonctions majeures de l’Etat réside dans l’établissement de la justice dont la finalité est l’attribution des droits et devoirs et la répartition des avantages économiques et sociaux552. L’organisation du pouvoir judiciaire relève de l’Etat, notamment du pouvoir législatif553. Dans l’Etat unitaire moderne, le pouvoir judiciaire est exercé par les tribunaux et cours régulièrement créés554. Ses décisions s’imposent à tous555. Le pouvoir judiciaire est indépendant des autres pouvoirs556 et a fortiori, des collectivités territoriales. Toutefois, le maire intervient dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire. Au nombre des compétences qui lui sont déléguées par l’Etat, figure celle de police judiciaire557.

546 HOBBES Th., Léviathan, trad. G. Mairet, Gallimard, 2000, chap. 17, pp. 287 et ss.

547 LOCKE J., Le second traité du gouvernement, trad. J.-F. Spitz avec la collaboration de C. Lazzeri, PUF, 1994, p. 93 et s.

548 ROUSSEAU J.-J., Du contrat social, Librairie Générale de France, 1996, Livre I, pp. 45-60.

549 WEBER M., Le savant et le politique, traduit de l’allemand par Julien FREUND, révisé par E. FLEISCHMANN et Eric de DAMPIERRE, Paris, Plon, p. 124 : «S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’Etat aurait disparu et il ne subsisterait que ce qu’on appelle, au sens propre du terme, l’anarchie».

550 WEBER M., op. cit., pp. 123-222 [p. 123 : «Il faut concevoir l’Etat contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire donné (…) revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime».] ; ELIAS N., La dynamique de l’Occident, Pocket, 320 p.

551 Le pouvoir étatique se constitue donc lorsqu’une institution, différenciée des autres, parvient à monopoliser les activités de gestion d’un territoire à travers, entre autres, la production des lois, la justice, l’ordre public, la protection des frontières et la fiscalité.

552 RAWLS J., Théorie de la justice, trad. par C. Audard, Ed. du Seuil, 1993, pp. 91-92.

553 Const. du Bénin, art. 98. ; Const. du Niger, art. 99.

554 Const. du Bénin, art. 125 al. 2, Const. du Niger, art. 116. ; Loi n° 2001-37 portant organisation judiciaire en République du Bénin, art. 7.

555 Const. du Niger, art. 117 : «La justice est rendue sur le territoire national au nom du peuple (…). Les décisions de justice s’imposent à tous, aux pouvoirs publics comme aux citoyens…».

556 Const. du Niger, art. 116 ; Loi n° 2001-37 (Bénin), art. 2.

557 Bénin, Loi n° 97-029, art. 69 et 82 ; Niger, Ord. n° 2010-54, art. 77 et 91-92.

110 L’exécution des décisions de justice est assurée par le pouvoir exécutif558. DUGUIT note que l’idée de l’Etat souverain s’oppose à ce que toute autre collectivité soit titulaire de la puissance publique attachée à la souveraineté559. CARRE de MALBERG assimile souveraineté et puissance publique560. WEBER a fait de l’utilisation de la violence, pour maintenir l’ordre, un criterium essentiel du pouvoir étatique. Sachant que toute entreprise de domination exige que son initiatrice dispose des matériels nécessaires pour, au besoin, la réaliser par la force physique561, la constitution et l’utilisation de forces publiques de sécurité et de défense relèvent de la compétence de l’Etat562. Même si le maintien de l’ordre est assuré par la collectivité territoriale, personnel et matériel de maintien de l’ordre relèvent du pouvoir exécutif563. L’autorité locale y recourt, dès que nécessaire564.

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