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Paragraphe 2 : Le pouvoir inattendu de sanction de l’autorité étatique

A. Le pouvoir de sanction, un pouvoir ambigu

La sanction est «une punition, une peine infligée par une autorité à l’auteur d’une infraction». Elle est dite administrative lorsqu’elle «réprime l’inexécution de lois ou de règlementations»730. Les organes délibérants et exécutifs des collectivités territoriales peuvent être sanctionnés. L’exécutif peut être révoqué ; le conseil peut être dissout731. Les conseillers peuvent aussi être démis732. Est-ce l’exercice du pouvoir de contrôle de légalité qui s’étend à la sanction ou s’agit-il d’un

728 LABOULAYE E., Questions constitutionnelles, Paris, Charpentier, 1873, pp. 61-62 : «Il existe en tout Etat un certain nombre de pouvoirs distincts de leur nature, parce qu’ils représentent des forces diverses ; leur confusion est fatale à la liberté parce qu’elle entraîne le sacrifice injuste et violent de quelqu’un des grands intérêts de la société».

729 Ord. n° 2010-54, art. 314 et 315.

730 CORNU G., op. cit., p. 933.

731 Bénin : Loi n° 97-029, art. 54 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 42, 48 ; Bénin : Loi n° 97-029, art. 154.

732 Bénin : Loi n° 97-029, art. 26 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 42.

148 pouvoir distinct, voire hiérarchique? Les positions de la doctrine distinguent hiérarchie et tutelle (1). Le législateur semble vouloir nuancer les deux compétences : le pouvoir indirect de sanction conféré à l’autorité de tutelle n’est pas lié à sa prérogative de contrôle de la légalité mais à celle de régulation du fonctionnement des organes locaux (2).

1. Les positions convergentes de la doctrine

Il paraît surprenant de prévoir qu’une autorité élue ayant pour mandat d’assurer la libre administration de sa collectivité territoriale puisse être soumise à une sanction de nature administrative de la part de l’autorité étatique. A l’appui de cette disposition, il a été mis en avant, le double statut d’élu et de représentant de l’Etat du maire. Dans ses fonctions de représentant de l’Etat, le maire devient un fonctionnaire dont le responsable hiérarchique est le Préfet. Si l’argumentaire ne manque pas de logique, il convient de s’interroger sur l’impératif de rendre prépondérant le statut de responsable administratif plutôt que celui d’élu. HAURIOU fournit une justification. A propos de la tutelle des communes, il écrivait :

«le contrôle est très énergique ; à certains points de vue, il a été aggravé par la loi de 1884, et c’est un peu la conséquence de ce que le maire n’est plus choisi par le gouvernement, il faut bien assurer d’une façon ou d’une autre la subordination de la commune à l’Etat»733.

L’examen de la doctrine dominante révèle que le pouvoir disciplinaire rend plus compte des pouvoirs de sanction que détiennent les autorités étatiques sur les collectivités décentralisées. WALINE avait prévenu que «le domaine d'application du pouvoir disciplinaire est donc plus large que celui du pouvoir hiérarchique»734. En effet, le pouvoir de sanction se manifeste dans toute institution, abstraction faite de sa nature hiérarchique ou tutélaire. Il vise à

«assurer le maintien de la discipline en son sein»735, la discipline se définissant comme «l'ensemble des obligations auxquelles les membres d'une institution sont assujettis conformément aux exigences de ses finalités et pour en permettre l'accomplissement»736. La compréhension que suggère DUGUIT ne manque pas d’intérêt ; il considérait le pouvoir disciplinaire comme «la sanction du pouvoir de

733 HAURIOU M., Précis de Droit administratif et de droit public, Dalloz, Paris, 2004 12ème éd.), p. 221 et suivantes.

734 WALINE M., Droit administratif, Sirey, 1957, 7e éd., n° 1419.

735 MOURGEON J., La répression administrative, LGDJ, 1967, BDP, T. 75.

736 MOURGEON J., op. cit., p. 53 ; v. aussi CORNU Gérard, op. cit., p. 348.

149 surveillance qui appartient à l'administration supérieure sur les fonctionnaires subordonnés pour garantir l'accomplissement par eux de leurs obligations fonctionnelles». Il s’est en outre empressé de préciser qu’une telle surveillance «peut s'exercer sur tous les agents sans distinction, quel que soit leur mode de nomination, quelles que soient la nature et l'étendue de leurs attributions, sur les agents nommés et les agents élus»737. La discipline est indispensable pour le fonctionnement de toute institution, peu importe qu’elle soit centrale, déconcentrée ou décentralisée. Conséquemment, le pouvoir de sanction n’est pas lié à «l’opposition classique entre les pouvoirs hiérarchique et de tutelle»738. La question rejoint celle de la nature des rapports entre l’Etat et les collectivités décentralisées. Pour André de LAUBADERE : «L’agent soumis au pouvoir hiérarchique est constamment et pour la totalité de son activité, placé sous le contrôle de son supérieur. Il n’y a pas de zone d’activité pour laquelle celui-ci ne puisse imposer son point de vue sur le sens des mesures à prendre». Pour lui, la différence fondamentale entre hiérarchie et tutelle réside dans le caractère de droit commun de la hiérarchie, opposé au caractère exceptionnel de la tutelle. VEDEL aussi perçoit en la hiérarchie un pouvoir inconditionnel alors que la tutelle met en œuvre un pouvoir conditionné.

Sur les procédés de mise en œuvre, la tutelle exclut les pouvoirs d’instruction et de réformation. A ce sujet, deux positions se sont exprimées dans la doctrine. Pour certains, c’est la réformation qu’il faut exclure car elle «est incompatible avec l’idée de décentralisation et lorsqu’elle se rencontre, on ne saurait plus parler de tutelle mais de hiérarchie»739. Telle semble être la position de HAURIOU pour qui le droit de réformation constitue une différence caractéristique entre le pouvoir de tutelle et le pouvoir hiérarchique740. D’autres auteurs épousent cette conception741.

Cette thèse concède que les instructions préalables, les approbations et les annulations sont des procédés normaux de mise en œuvre du pouvoir de tutelle. Lesdits procédés ne

737 DUGUIT L., Traité de droit constitutionnel, De Boccard, 1930, t. 3, 3ème éd., p. 272.

738 SEILLER B., «Le pouvoir disciplinaire sur les maires», AJDA, 2004, p.1637.

739 MASPETIOL R., LAROQUE P., La tutelle administrative, Paris, Sirey, 1930, p. 270.

740 HAURIOU M., op. cit., p. 38.

741 JEZE G., ROLLAND, BOULOUIS.

150 constituent-ils pas des moyens subtils de réformation ? Une réponse affirmative n’est pas moins pertinente, le résultat étant le même quant au fond, c’est-à-dire, faire prévaloir la prétention de l’autorité de tutelle, sans l’intervention d’un juge.

2. Les interprétations divergentes de la présentation matérielle des textes

Les ambigüités proviennent de l’ordre dans lequel certaines dispositions sont présentées dans la loi. Ainsi, dans la Loi n° 97-029, les sanctions prévues à l’encontre de l’exécutif communal et des conseillers se retrouvent dans le Titre 2 relatif à l’organisation, au fonctionnement et aux compétences des communes (chapitre 2 consacré au statut et aux attributions du maire et de ses adjoints) 742. Il en est ainsi de l’Ord. n° 2010-54. La question y est abordée dans la partie relative au fonctionnement du conseil743. Il pourrait être conclu que le pouvoir de sanction ne relève pas directement de l’exercice du pouvoir de tutelle.

Une telle conclusion est sous-tendue, d’une part par les articles 142 et 143 de la Loi n° 97-029 au terme desquels la tutelle comporte deux fonctions et d’autre part, par la limitation de la compétence de l’autorité de tutelle qui ne peut prononcer d’office, la suspension ou la révocation744. En effet, la loi l’oblige à rendre compte au ministre en charge des collectivités territoriales.

La confusion peut s’expliquer par le positionnement dans les textes des articles relatifs aux sanctions à l’encontre du conseil élu. Le législateur béninois l’insère dans le Titre V relatif à la tutelle administrative (Chapitre III consacré à la suspension et à la dissolution de tout le conseil). Le code nigérien des collectivités territoriales l’évoque à son article 321 tout en renvoyant au livre II (Des collectivités territoriales et de leurs organes) notamment les articles 42 et 43. S’il n’est pas strictement de nature tutélaire, ce pouvoir disciplinaire ne demeure pas moins «un pouvoir de domination du gouvernement central…» sur les collectivités territoriales745.

742 Bénin : Loi n° 97-029, art. 54 à 57.

743 Ord. n° 2010-54, art. 42, 63 et 64.

744 V. aussi Ord. n° 2010-54, art. 305.

745 HAURIOU M., Principes de droit public, Paris, Dalloz, 2010, pp. 229, 709.

151 La jurisprudence constitutionnelle béninoise souscrit à la compréhension que la tutelle ne doit pas emporter le pouvoir de faire injonction. Dans sa Décision DCC n° 11-064 du 30 septembre 2011, 17ème consid. : «La tutelle, qui ne s’exerce que dans les cas et sous les formes prévus par la loi, ne comporte pas la possibilité de donner des ordres». A ce niveau de l’argumentation, il devient nécessaire d’examiner ce qu’est un ordre. Gérard CORNU le définit comme un «acte unilatéral par lequel une personne dotée d’un pouvoir de commandement…fait obligation à une personne qui y est tenue, de se conformer à la volonté qui y est exprimée…»746. Est-ce le caractère impératif qui fait l’ordre ou est-ce celui dont il émane ? En droit, les deux caractères objectif et subjectif doivent cumulativement être réunis. Une question se prête à l’esprit : comment qualifier un acte impératif qui émane d’une autorité qui n’est, ni hiérarchique, ni judiciaire ? Il s’agit d’un ordre, tout au moins, de facto.

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