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Les apports de la doctrine et de la jurisprudence

CHAPITRE II : LA FRAGILITE DE LA SEPARATION

A. Les apports de la doctrine et de la jurisprudence

Les controverses dans la doctrine (1) et la variété des solutions jurisprudentielles (2) illustrent la difficulté qu’il y a à distinguer nettement les affaires locales435 des affaires nationales.

1. Les affaires locales dans la doctrine

Traditionnellement, les publicistes admettent la distinction entre affaires locales et affaires nationales, différenciation elle-même fondée sur celle entre les intérêts locaux et les intérêts nationaux. Jean RIVERO affirmait à cet effet que la «reconnaissance d’une catégorie des affaires locales, distincte des affaires nationales, est la donnée première de toute décentralisation»436. Beaucoup d’autres auteurs437 l’ont précédé ou suivi dans ce sens. Selon HAURIOU par exemple,

«L’essence même de la décentralisation consiste en ce que la population d’une circonscription décide elle-même des affaires locales»438. Nul n’aura, mieux que de TOCQUEVILLE, formulé cette distinction lorsqu’il affirme que «Certains intérêts sont communs à toutes les parties de la nation tels que la formation des lois générales et les rapports du peuple avec les étrangers. D’autres intérêts sont spéciaux à

435 L’idée d’affaires locales a commencé par poindre à partir de la Constitution française du 3 septembre 1791 dont l’article 9 dispose que les officiers municipaux «sont chargés de gérer les affaires particulières de la commune». On retrouve les affaires locales dans la Constitution allemande de 1949, art. 28, al. 2 qui dispose que «Le droit doit être garanti aux communes de régler sous leur propre responsabilité, dans le cadre des lois, toutes les affaires de la communauté locale».

436 RIVERO J., Précis de droit administratif, Paris, Dalloz, 4ème éd., 1970, p. 286.

437 BENOIT F.-P., Le droit administratif français, Paris, Dalloz, 1968, §. 206 et ss., DEBBASCH Ch., Droit administratif, 1ère éd., p. 69 ; de LAUBADERE A., Traité élémentaire de droit administratif, T.II, éd. 1973, §. 123 et ss. ; PONTIER J.-M., L’Etat et les collectivités locales. La répartition des compétences, Paris, LGDJ, 1978, p. 76.

438 HAURIOU M., «Etude sur la décentralisation», Répertoire du droit administratif, §. 26, pp. 12-13.

89 certaines parties de la nation tels par exemple que les entreprises communales»439. On retrouve une telle suggestion dans la pensée de ROUSSEAU440.

D’autres doctrinaires ne partagent pas l’idée d’une démarcation possible entre affaires locales et nationales. Pour CHAPUISAT, la notion d’affaires locales n’existe vraiment pas en droit administratif français et la clause générale de compétence des collectivités locales n'est qu'un mythe commode dans la mesure où l'Etat conserve, le plus souvent, la haute main sur l'essentiel441. Quant à MONTAGNIER, il affirme que «Délimiter le champ de ce qui est proprement local de ce qui intéresse l’ensemble de la collectivité devient aujourd’hui une recherche de plus en plus vaine»442. BAGUENARD souligne que les affaires locales n’ont jamais été clairement explicitées, ni par le droit, ni par la doctrine. Elles n’auraient donc pas «d’existence juridique objective», l’absence de clarification étant «relayée par une subjectivité des appréciations au regard de l’abondante jurisprudence en la matière»443.

En France, avec l’adoption de la loi du 07 janvier 1983, la doctrine publiciste a continué d’être divisée sur la survivance de la règle générale de compétence et par ricochet du concept d’intérêt local qui en est l’origine. Pour certains comme de LAUBADERE444 et CHAPUISAT445, cette loi a annoncé la fin du règne de la clause générale de compétence.

Pour d’autres dont Francis-Paul BENOIT446 et Jean-Marie PONTIER447 par contre, cette clause a été plutôt maintenue et étendue aux autres niveaux de collectivités territoriales.

439 de TOCQUEVILLE A., De la démocratie en Amérique, Livre I, Chap.5.

440 ROUSSEAU J.-J., Du contrat social, Livre III, Chap. IV : «: «Il n'est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales pour la donner aux objets particuliers».

441 CHAPUISAT L.-J., «Libertés locales et libertés publiques», AJDA, 1982, p. 352.

442MONTAGNIER G., «Vingt années d’évolution du régime communal», AJDA, 1966, I, p. 210.

443BAGUENARD J., La décentralisation, PUF, Paris, 2004,7ème éd., p. 30.

444 de LAUBADERE A., Traité de droit administratif, Paris, LGDJ, 9ème éd.,, 1984, p. 93.

445CHAPUISAT L.-J., «La répartition des compétences, AJDA, 1983, p. 81.

446BENOIT F.-P. (dir), Encyclopédie Dalloz. Collectivités locales, T.I, p. 322.

447 PONTIER J.-M., «Semper Manet. Sur une clause générale de compétence», RDP, 1984, pp. 1140 et s.

90 Contrairement à certaines interprétations qui laissent penser qu’est d’intérêt local, seul ce que la loi reconnaît comme tel, la position défendue par F.-P. BENOIT résume l’actualité de la clause générale de compétence. C’est dire que la notion d’intérêt local constitue toujours un critère, tout au moins supplétif448, qui permet de compléter la liste des compétences explicitement attribuées aux collectivités.

Au-delà même de la pertinence du concept d’affaire locale, les débats doctrinaires se sont étendus à sa portée sur les rapports entre collectivités territoriales et Etat. L’intérêt local doit-il servir d’instrument de délimitation et de séparation entre l’action publique locale et l’intervention étatique ? La doctrine dominante accrédite la coopération. Le Doyen HAURIOU a posé le constat que depuis qu’il a été réalisé un peu de décentralisation, la plupart des services publics sont gérés en commun par plusieurs administrations449. Au-delà de l’autonomie, la dimension coopérative est cruciale pour garantir l’intérêt général, critère essentiel pour la jurisprudence.

2. Les apports de la jurisprudence

Pour la jurisprudence du Conseil d’Etat français, est affaire locale, toute affaire d’intérêt local qui n’a pas été explicitement attribuée par la loi à l’Etat ou à une autre personne publique450. Par conséquent, le juge administratif reconnaît «que le conseil municipal est de plein droit compétent pour régler les affaires de la commune, en l’absence de dispositions législatives attribuant expressément compétence à une autre autorité»451 et s’il agit «dans les limites de l’exercice des compétences

448FOURNIE F., Recherches sur la décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, LGDJ, 2005, p. 252.

449 HAURIOU M., La gestion administrative. Etude théorique de droit administratif, Paris, Larose, 1899, p. 31, note 1.

PONTIER J.-M., «Nouvelles observations sur la clause générale de compétence», La profondeur du droit local, Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Douence, Dalloz, 2006, p. 375, notera que «si l’on peut dire que telle catégorie intervient de manière privilégiée dans tel domaine, ce sont toutes les catégories de collectivités qui sont sollicitées dans un domaine déterminé». FORTIER J.-C., «Vers la régionalisation de l’éducation nationale ?», La profondeur du droit local, Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Douence, Dalloz, 2006, p. 227, fait la même analyse pour conclure que «ni la loi ni le règlement n’ont organisé de césure juridique en répartissant les rôles par blocs de compétences, et la dialectique de la décentralisation a installé sur tout le territoire national une collaboration avec l’Etat qui s’approfondit chaque jour selon une conception élargie -interinstitutionnelle- du service public…».

450 CE, 29 juin 2001, Mons -en- Baroeul : «Considérant que selon l'article L. 121-26 du code des communes en vigueur à la date de la délibération contestée et qui reprend des dispositions dont l'origine remonte à l'article 61 de la loi du 5 avril 1884 : "Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune" ; que ce texte, qui figure présentement à l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales, habilite le conseil municipal à statuer sur toutes les questions d'intérêt public communal, sous réserve qu'elles ne soient pas dévolues par la loi à l'Etat ou à d'autres personnes publiques».

451 BOUET J.-B., op. cit., p. 325.

91 du conseil municipal et dans un but d’intérêt général»452. Cette jurisprudence du prétoire administratif est analogue à celle du juge constitutionnel français453.

L’application relativement aléatoire qui a été faite par le juge de la clause générale de compétence explique les positions de plus en plus réservées du législateur et de la doctrine sur le sujet. En effet, en l’absence d’une définition légale claire et d’une répartition explicite des compétences, les marges d’interprétation du juge demeurent très larges. Du coup, la diversité des espèces a débouché sur des jurisprudences très controversées454.

La présence renouvelée dans des textes constitutionnels et législatifs de la clause générale de compétence et l’exploitation jurisprudentielle qui est faite de la notion d’intérêt local ont consacré toute leur valeur juridique. A cette valeur juridique se rattachent des effets qui ne sauraient se produire que si les organes locaux en charge de l’intérêt local disposent d’une autonomie organique qui leur permettent de décider, à l’abri de toute interférence intempestive de la part de l’Etat central.

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