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Une collectivité se définit comme «un groupe de personnes ayant des intérêts communs»227. La collectivité territoriale est un «ensemble d’habitants d’une même partie, d’un territoire national ayant des intérêts communs gérés par des organes administratifs»228 qui ne sont pas nécessairement étatiques. C’est pourquoi BACOYANNIS a pu décrire les collectivités territoriales comme

224 A l’appui d’une telle considération, les démonstrations ne manquent pas dans la pensée juridique. NEMERY J.-C.,

«Les institutions territoriales françaises à l’épreuve de l’Europe», in NEMERY J.-C., WACHTER S., (dir.), Entre l’Europe et la décentralisation, les institutions territoriales françaises, DATAR-Editions de l’Aube, 1993, pp. 11-17, écrit que la commune était considérée comme faisant partie de notre «patrimoine génétique institutionnel» ; elle constitue «l’un des fondements de l’idée républicaine». Pour BOURJOL M., «Statut constitutionnel-Sources», Juris-Classeur Collectivités territoriales, Fasc. 20, § 2, la commune est un «fondement constitutif de la Nation». V. également ROUSSILLON H., Les structures territoriales des communes, Réformes et perspectives d’avenir, LGDJ, 1972, pp. 222-225.

225RENAN E. parle, au cours de sa célèbre conférence à la Sorbonne le 11 mars 1882, du «vouloir vivre collectif» qui pour lui est «une âme constituée de deux choses : l’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble».

226 En Afrique noire, un tel sentiment d’appartenance renvoie explicitement à une structure sociale différente de la nation personnifiée par l’Etat central, lointain. C’est à un espace micro national et infra étatique que l’on se réfère, souvent l’ethnie. Ici réside une différence majeure avec le concept de nation dans le monde occidental.

227 CORNU G., op. cit., p. 190.

228 CORNU G., ibidem.

44 des «groupements naturels territoriaux vivant indépendamment de l'existence et de la volonté de l'État»229. S’il existe une institution publique qui peut se targuer d’un enracinement historique et d’un degré élevé de légitimité auprès des citoyens, c’est bien la commune230. Il en est ainsi dans le monde occidental qui en fournit les traditions les plus anciennes (1) de même que dans différents contextes géographiques et juridico administratifs en Afrique précoloniale (2).

1. La commune dans la civilisation occidentale

L’histoire de la décentralisation en Occident montre d’une part que la commune résulte de l’évolution de communautés de base que sont les paroisses, bourgs, villes et les chefferies et d’autre part que l’existence desdites communautés de base devenues collectivités territoriales est antérieure à celle de l’Etat dans sa forme actuelle de pouvoir politique organisé231.

En France par exemple, le Moyen-âge a connu des «communes libres» et des «villes franches» qui se sont développées surtout aux XIIème et XIIIème siècles. A l’origine de ces communes, se trouvaient, des associations religieuses, des corporations d’artisans, des alliances de familles aristocrates, des amitiés, fraternités, confréries en raison des liens forts qui unissaient leurs membres. Le bourg, endroit fortifié, devint alors une commune munie d’un corps municipal -du latin municipe- comprenant généralement un maire et des adjoints appelés échevins, consuls, jurats, capitouls ou encore syndics. Les premières municipalités étaient connues sous le nom d’échevinage, de consulat, de jurade et de magistrat. Les premières communes se sont donc constituées en vue de défendre les intérêts de groupements de personnes. En effet, jusqu'au XIème siècle, les habitants des villes, les paysans, les artisans, etc. étaient sous l’autorité d’un seigneur. Avec la renaissance économique, les citadins ont eu la volonté de défendre leurs propres intérêts avec de

229 BACOYANNIS C., op. cit., p. 29.

230 VANDELLI L., «La cellule de base de toutes les démocraties», Pouvoirs, n° 95, 2000, p. 7, affirmait : «La commune représente la première ligne des institutions publiques, c’est le terminal le plus proche du citoyen, il maintient avec lui un contact direct et constant, accompagnant sa vie depuis son commencement (en établissant l’acte de naissance) à sa fin (en établissant l’acte de décès et en attribuant une concession dans un cimetière qui relève lui aussi de la compétence communale)».

231 BACOYANNIS C., op. cit., pp. 19-34, a démontré que l'expression «collectivité territoriale», employée par DUGUIT L. dès 1903, par MICHOUD L. en 1906, CARRE de MALBERG R. en 1920 et ROLLAND L. à partir de 1935, désignait initialement un ensemble formé par tous les groupes humains, défini par leur rattachement à un certain territoire.

45 nouvelles normes plus égalitaires devant leur permettre de se libérer de tout tribut féodal232. Ils s’associent entre eux et conclurent un pacte «commun» qui fixait des règles autonomes d’exercice direct par la commune des fonctions de gouvernement. Suivant les pays, les libertés obtenues ont varié. Là où le pouvoir central était fort (Angleterre, France, Royaume Normand dans le sud d'Italie), les communes se sont vu concéder des droits limités à l’effet d’élire ses propres magistrats, d’édicter quelques règlements internes à la cité, de déterminer la charge fiscale. Par contre, là où l'État était quasi-absent (Italie du Nord, Germanie par exemple), les communes acquirent une autonomie bien plus large. Elles pouvaient avoir une armée, élire un gouvernement local, battre monnaie.

En Amérique, la commune a été aussi, dès ses origines, une entité de proximité. Elle réunissait des habitants ayant les mêmes intérêts233. De la commune américaine, Alexis de TOCQUEVILLE pense qu’elle «est la seule association qui soit si bien dans la nature, que partout où il y a des hommes réunis, il se forme de soi-même une commune»234. Quant aux libertés locales, il soutient qu’elles se développent en résistant à la volonté de l’homme235. Il idéalise236 l’institution communale au point qu’il trouve en Dieu sa source237. Une telle appréhension accrédite l’existence de collectivités locales en Afrique précoloniale.

2. La collectivité locale en Afrique précoloniale

Les libertés locales imprégnaient le fonctionnement des royaumes même si les préceptes juridiques conceptualisés y étaient encore inconnus. L’organisation territoriale dans beaucoup de royaumes était déjà décentralisée. Maurice AHANHANZO-GLELE l’a démontré en ce qui concerne le royaume d’Abomey (Bénin)238. Jacques LOMBARD ne le

232 Gestion des terres autour de l'habitat, gestion du patrimoine épiscopal, construction de nouveaux immeubles, approvisionnements en marchandises.

233 De TOCQUEVILLE A., De la démocratie en Amérique I, p. 65.

234 De TOCQUEVILLE A., De la démocratie en Amérique I, p. 63.

235 De TOCQUEVILLE A., ibidem : «La liberté communale échappe donc, pour ainsi dire, à l’effort de l’homme».

236 De TOCQUEVILLE A., ibidem : «Dans la commune, comme partout ailleurs, le peuple est la source des pouvoirs sociaux, mais nulle part il n’exerce sa puissance plus immédiatement».

237 De TOCQUEVILLE A., ibidem : «…la commune paraît sortir directement des mains de Dieu».

238 AHANHANZO-GLELE M., Le Danxomè. Du pouvoir Aja à la nation Fon, Paris, Nubia, 1974, pp. 150-151 : «Il y avait quatre provinces principales, subdivisées en canton : Agbomè, Allada, Glehue et Agbomè-Kalavi. Le royaume était

46 contredit pas dans son appréciation sur le royaume de Nikki dans le Nord Bénin239. Mieux, il constate que la souveraineté du royaume de Nikki était altérée par l’autonomie réelle de différentes chefferies. Partant desdites autonomies, Djibril MAMA DEBOUROU240 assimilera ce royaume à une confédération. Soungalo OUATTARA a relevé l’existence de libertés locales dans les empires mandingues241. La même tendance a été notée en Afrique centrale où des systèmes sociopolitiques de gouvernance traditionnelle sont organisés sur une base de forte décentralisation du pouvoir, au Cameroun ou en RCA242.

François ZUCARELLI dira des royaumes Wolof du Sénégal que «leur existence en tant que collectivités politiques ne fait pas de doute de même que leur organisation administrative féodale et décentralisée»243. Dans ces différents systèmes traditionnels, l’éveil des communautés, l’éloignement géographique, le sous équipement en infrastructures de communication, etc.

ont rendu insupportables l’absolutisme centralisateur du pouvoir royal.

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