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Chapitre 1. Le CESAP Éprouver la possibilité du soin pour les « arriérés profonds »

4. Le chemin vers le « polyhandicap » : 1970-1990

4.4. Reconnaissance politique de la catégorie : une prise en charge spécialisée locale/ de

4.4.3. La réforme des annexes XXIV

En 1988, la Sous-direction de la Réadaptation, de la Vieillesse et de l’Aide Sociale (Direction de l’Action Sociale, Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection Sociale) engage une réforme des annexes XXIV. Comme nous l’avons rappelé ci-dessus, ces annexes définissaient les conditions de fonctionnement des établissements en fonction de certaines catégories d’enfants71. Les enfants atteints de déficience auditive et de déficience visuelle étaient regroupés sous une seule catégorie « déficiences sensorielles ». Et aucune annexe ne concernait les enfants atteints de handicaps associés qui étaient accueillis dans des établissements agréés pour d’autres catégories ou dans d’autres types d’établissements (par exemple des « maisons d’enfants à caractère sanitaire », des « centres d’observation et de soins », etc…). Cette réforme est réalisée en plusieurs étapes. Elle commence en 1987 avec une réforme des annexes concernant les enfants atteints de déficiences sensorielles, puis se poursuit en 1989, par une réforme des annexes principales.

Cette réforme apparaît comme le résultat et l’aboutissement de réflexions et d’évolutions qui s’opèrent dans les années 1980 : la réflexion que nous venons d’évoquer autour des « personnes atteintes de handicaps associés », mais aussi celles autour de

l’intégration scolaire. Début des années 1980, deux circulaires72 promeuvent l’intégration à l’école des enfants relevant jusqu’alors des établissements « d’éducation spéciale ». Dans ce cadre, des réflexions se développent autour du besoin de pédagogie adaptée à chaque type de handicap. Les deux réflexions, autour de l’intégration scolaire et du « polyhandicap » se croisent, s’articulent, notamment parce qu’elles sont portées par les mêmes acteurs, dont Patrice Legrand, sous-directeur de la Réadaptation, de la Vieillesse et de l’Aide Sociale, entre 1983 et 1989. En 1988, il écrit, dans un article :

« Pour réussir l’intégration [scolaire] […], il faut diversifier la palette d’interventions de l’éducation spéciale et cesser de les définir comme devant accueillir ceux qui ne peuvent aller à l’école. Dès 1970, la formule des services d’éducation spécialisée et de soins à domicile a offert un nouveau moyen d’action aux IMP. Ces services sont devenus le support privilégié des actions d’intégration scolaire. Les circulaires de 1983 ont précisé l’éventail des possibilités. Il serait certainement souhaitable d’inscrire ceci directement dans les textes qui

définissent les établissements et services pour enfants handicapés. C’est ce qui a été fait dans le domaine des déficients sensoriels par les textes du 22 avril 1988. Ne serait-il pas temps de réformer les autres annexes XXIV, sur ce point ? De prévoir expressément que le SESSAD peut être un service d’intégration scolaire et que l’intégration scolaire fait partie des missions de l’établissement ou du service autorisé ? En reprécisant les conditions d’agrément, nous amènerions ainsi les

71 Pour rappel : les enfants atteints de déficience intellectuelle ou de troubles du caractère et du

comportement (annexe XXIV), les enfants atteints d’IMC (annexe XXIVbis), les enfants et adolescents atteints d’infirmité motrice (annexe XXIVter) et les enfants et adolescents atteints de déficiences sensorielles (annexe XXIVquater).

72 Autour et suite notamment aux deux circulaires « Questiaux » : Circulaire n°82-2 et 82-048 du 28 janvier 1982 relative à la mise en œuvre d'une politique d'intégration en faveur des enfants et adolescents handicapés, et Circulaire n°83-4 du 29 janvier 1983 relative à la mise en place d'actions de soutien et de soins spécialisés en vue de l'intégration dans les établissements scolaires ordinaires des enfants et adolescents handicapés ou en difficulté en raison d'une maladie, de troubles de la personnalité ou de troubles graves du comportement. Ces circulaires fixent trois orientations majeures : elles font de l’intégration scolaire officiellement un objectif prioritaire, elles tendent à instituer une démarche pragmatique, elles imposent à l’intégration de reposer sur un projet éducatif soutenu et accompagné (Legrand, 1988).

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équipes médico-éducatives à se poser nécessairement la question de savoir si le projet d’établissement doit ou non être révisé.

[…] Il faut définir des pédagogies adaptées à chaque type de handicap. […] Dans le domaine des handicapés mentaux profonds des actions ont lieu, des recherches existent, elles ne se sont pas encore traduites en orientations de la puissance publique. Il est évident que le ministère de l’éducation nationale et celui de la solidarité devront s’atteler à cette tâche lorsqu’ils disposeront du matériau nécessaire. En réalité cette question est fondamentale et mérite de clore notre propos, car on ne peut pas croire que des enfants doivent être intégrés totalement ou partiellement à l’école si on ne croit pas d’abord qu’ils doivent être éduqués »

(Legrand, 1988, pp.6-7).

La question de l’intégration scolaire rejoint celle du « polyhandicap » via celle de « l’éducation » et « de la pédagogie adaptée ». « Éducation » et « intégration scolaire » sont deux choses différentes, la première étant la condition de la seconde. On sent également, dans cette citation, la volonté de P. Legrand de réformer les annexes XXIV. En 1987,

l’Administration saisit l’opportunité d’une demande du Secrétaire d’État, M. Zeller, « de faire

quelque chose pour les sourds » (entretien, P. Legrand, avril 2016) et propose une réforme de

l’annexe XXIVquater. Deux nouvelles annexes sont créées, l’une pour les déficients auditifs (annexe XXIVquater), l’autre pour les déficients visuels (annexe XXIVquinquiès), cette distinction reposant sur le constat que les modalités de prise en charge ne sont pas les mêmes pour les deux populations. L’objectif est de mettre en place une prise en charge spécifique à chaque handicap sensoriel :

« En effet, l’évolution survenue ces vingt dernières années dans la connaissance et le traitement des déficiences sensorielles a permis de mettre au point des techniques éducatives et de mobiliser des moyens qui assurent aux enfants qui en sont atteints des possibilités plus complètes de dépasser leur handicap et ainsi de mieux réussir leur insertion sociale.

Ces techniques sont beaucoup plus spécifiques que celles utilisées dans le passé ; ainsi pour les enfants déficients auditifs l’accent est-il mis sur les techniques de communication tandis que pour les déficients visuels il est mis sur la

compensation du handicap. Elles entraînent une spécialisation des structures chargées de les mettre en œuvre afin d’adapter au mieux le soutien à apporter »

(Note concernant la modification des conditions de la prise en charge des enfants déficients sensoriels par les établissements et services d’éducation spéciale, Sous- Direction de la Réadaptation, de la Vieillesse et de l’Aide Sociale, Bureau RV1, Direction de l’Action Sociale, Ministère des Affaires Sociales et de l’Emploi, 1988, Archives Nationales, Fond 20000342/4).

Dans la foulée de cette première réforme, l’Administration s’engage dans la réforme des autres annexes : les annexes XXIV, XXIVbis et XXIVter73. Elle constitue d’abord un petit groupe de réflexion autour d’une demi-douzaine de personnes parmi lesquelles des représentants de l’Administration (issus de la Sous-Direction de la Réadaptation, de la Vieillesse et de l’Aide Sociale, du Bureau des Personnes handicapées, de l’Éducation

Nationale), mais aussi S. Tomkiewicz et E. Zucman. Progressivement, le groupe est étendu et intègre des représentants associatifs parmi lesquels Mme George-Janet, directrice médicale du CESAP. L’ensemble du processus est rapide puisque les textes sont écrits au premier semestre 1989 et publiés en octobre de la même année.

73 Nous n’avons pas retrouvé les archives relatives à ce groupe de travail. Nous nous basons ici sur les entretiens réalisés avec certains acteurs y ayant participé.

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Les changements apportés par cette réforme concernent tout d’abord les catégories organisant le secteur médico-social et servant de base à l’agrément des établissements. La réforme de 1988, nous l’avons vu, dissocie les établissements selon qu’ils accueillent des enfants déficients visuels ou auditifs. Avec celle de 1989, trois autres catégories

d’établissements et de services sont définies : pour les enfants et adolescents présentant des déficiences intellectuelles ou inadaptés (annexe de base), pour les enfants et adolescents présentant une déficience motrice, pour les enfants et adolescents polyhandicapés. La notion de polyhandicap est donc officiellement reconnue et définie. La définition donnée est calquée sur celle de la circulaire de 1986, à une différence près, il est ici question de « déficience

mentale sévère ou profonde » (souligné par nous) :

« […] des enfants ou adolescents présentant un handicap grave à expression multiple associant déficience motrice et déficience mentale sévère ou profonde et entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de

perception, d’expression et de relation » (Annexe XXIVter, Décret n°89-798 du

27 octobre 1989).

Cette reconnaissance de la notion de « polyhandicap » conduit à distinguer « le polyhandicap » des autres catégories de « handicaps associés ». Les « enfants

polyhandicapés » seront pris en charge dans des établissements spécifiques, la circulaire (n°89-19 du 30 octobre 1989) précise d’ailleurs qu’ « une préférence est donnée à la création

de sections pour enfants et adolescents polyhandicapés plutôt que d’établissements ». Les

autres enfants atteints de « handicaps associés » seront eux pris en charge dans les établissements accueillant des enfants atteints de déficience intellectuelle, motrice ou sensorielle.

Le deuxième changement important porte sur le contenu des Annexes XXIV. Alors que les anciennes annexes portaient essentiellement sur les « normes concernant les locaux, la salubrité, les effectifs… », les nouvelles annexes, notamment l’annexe XXIVter consacrée aux établissements et services dédiés aux enfants polyhandicapés, définissent « des modalités de prise en charge ». L’objectif est d’engager les établissements et services pour enfants et adolescents handicapés dans un processus de restructuration portant sur leur manière d’accueillir, de soigner, de prendre en charge.

« D’une manière générale, il indique qu’il n’y a pas de prescriptions quantitatives supplémentaires à remplir par les établissements, il s’agit de nouvelles

répartitions par sections des enfants, donc d’une restructuration des établissements. Il convient de donner aussi à ces établissements un service d’éducation spéciale, une mission d’intégration scolaire, d’acquisition de

l’autonomie ou d’éducation précoce, selon les cas, par une pédagogie adaptée. La fonction "soins" doit également être développée dans la vie quotidienne »

(Ministère de la solidarité, de la santé et de la protection sociale, Comité

interministériel de coordination en matière de sécurité sociale, réunion du 19 mai 1989, Archives Nationales, fond 19940293/5).

« Ces annexes et particulièrement l’annexe XXIVter ont apporté une profonde modification des conditions d’agrément : on sortait des normes concernant les locaux, la salubrité, les effectifs…pour définir des modalités de prise en charge : - un projet d’établissement ayant une triple dimension éducative, thérapeutique et pédagogique

- un projet individualisé prenant lui-même en compte ces trois dimensions et en même temps global, l’enfant étant un tout

- un projet défini avec la famille, mis en œuvre et suivi avec elle,

- une équipe pluridisciplinaire médicale, paramédicale, psycho sociale et éducative

- des modalités de prise en charge souples : externat, semi internat ou internat qui pour ce dernier peut se faire en regroupant les internats de plusieurs

établissements, en recourant au placement familial. L’accueil temporaire est possible » (Intervention de Madame A. Deveau lors du 30e anniversaire d’Handas, mai 2009).

Ces nouvelles annexes XXIV marquent à la fois une continuité et une rupture dans l’histoire du secteur médico-social. Elles sont dans la continuité dans la mesure où elles prolongent la logique de catégorisation qui structure ce secteur, en faisant correspondre des catégories d’enfants et des établissements « spécialisés » ou « spécifiques » à ces catégories. Mais elles sont également dans la rupture puisqu’elles insistent sur la qualité de la prise en charge74, sur sa nature qui doit associer éducation et soin, et ce via l’élaboration, pour chaque enfant d’ « un projet pédagogique, éducatif et thérapeutique individuel ». Dans la structure de la circulaire, la partie concernant l’éducation précède celle concernant le soin. Ces nouvelles annexes constituent, d’une certaine manière, l’aboutissement du combat du CESAP pour éprouver et prouver l’éducabilité des « arriérés profonds »75. Comme nous allons le voir dans la section suivante, les années 1990 constituent dans l’histoire du CESAP, une période de stabilisation et de développement de sa dimension « gestionnaire ».

74 Les Annexes sont publiées dans des numéros spéciaux du Bulletin Officiel dont le sous-titre est « Pour une prise en charge qualitative du handicap » (BO n°89-19bis).

75 En entretien, P. Legrand nous indiquera d’ailleurs que concernant le polyhandicap, les rédacteurs des nouvelles Annexes XXIV ont été « assez zucmanien ».

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5. Une association gestionnaire spécialisée, sur un territoire « inter-

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