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Chapitre 1. Le CESAP Éprouver la possibilité du soin pour les « arriérés profonds »

4. Le chemin vers le « polyhandicap » : 1970-1990

4.3. Développement et formalisation des dispositifs de prise en charge

4.3.3. Penser une organisation territoriale des établissements et services

Parallèlement à la question du financement de ces services, se posent également celle de leur organisation, dans un contexte plus général d’organisation de l’action sanitaire et médico-sociale, qui depuis 1es années 1960, promeut l’idée de secteur, telle qu’elle a émergé dans le champ de la psychiatrie (Henckes, 2007). En effet, en 1972, une circulaire62 revient sur la distinction, réalisée dans les annexes XXIV, dans la catégorie des « enfants

mentalement inadaptés » entre « ceux atteints de maladies évolutives » et « ceux atteints de

61 Cette difficulté est également notée par Lasry et Gagneux (1983) dans leur rapport. Ils y citent l’exemple des services du CESAP comme une expérience intéressante permettant le maintien à domicile des personnes: « Confondus dans la pratique, concourant à une démarche globale, ces services sont soumis à un financement

émietté, avec budget séparé pour chacun de ces types d’actions, et financement mixte, empruntant à la fois au système du forfait (pour les consultations) et du paiement à l’acte (pour les interventions de soins), ce qui est un obstacles à la souplesse d’action dont ils ont besoin et accroît les difficultés de gestion » (p.100).

62 Circulaire n°443 du 16 mars 1972 relative au programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales des enfants et des adolescents.

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déficience à prédominance intellectuelle », distinction reconnue comme ayant conduit à des incohérences dans la politique d’admission, de fonctionnement, et de création des

établissements. Elle reconnaît et fait état des progrès en matière de psychiatrie infanto- juvénile, progrès qui conduisent à revoir certaines conceptions des affections mentales de l’enfant : relativisation de la notion d’inéducabilité et de la signification du QI,

reconnaissance de l’enfant comme une personnalité qui évolue toujours, notamment en fonction des influences extérieures. Puis, elle énonce les principes d’une politique de secteur en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales de l’enfance et de

l’adolescence, et développe notamment la nécessité « d’harmoniser le secteur psychiatrique

avec les autres "secteurs" d’action sanitaire et sociale intéressant l’enfance et l’adolescence » :

« Les orientations définies dans la présente circulaire ont pour objet d’apporter aux autorités responsables les éléments destinés à les guider dans l’élaboration, au niveau de chaque département, du dispositif de lutte contre les maladies et déficiences mentales de l’enfant et de l’adolescent. Elles constituent un fait nouveau en ce qu’elles visent à assurer la synthèse des actions poursuivies auparavant d’une façon isolée dans des domaines dont la séparation rigoureuse apparaît aujourd’hui artificielle.

[…] Le deuxième grand principe dont il y a lieu de tenir compte est l’organisation de la concertation, grâce à quoi il sera possible d’éviter la dispersion des efforts et l’anarchie dans les prises en charge.

Dans cette perspective synthétique, il est indispensable d’aller au-delà de la seule articulation entre le secteur de lutte contre les maladies mentales et celui dit de l’enfance inadaptée. Des relations étroites doivent être nouées également avec la pédiatrie (et en particulier les services de protection maternelle et infantile), la santé scolaire, les commissions médico-pédagogiques, les services de l’éducation nationale, les autorités judiciaires et, enfin, un grand nombre de services sociaux (centres sociaux, clubs de prévention, etc.).

C’est à partir de ces liaisons et des actions concertées qui en seront

l’aboutissement que la planification des besoins exprimés et des interventions qu’ils impliquent sera poursuivie avec cohérence et efficacité » (Circulaire n°443

du 16 mars 1972 relative au programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales des enfants et des adolescents).

À partir du milieu des années 1970, le CESAP engage une réorganisation

géographique de ses services médico-socio-éducatifs, à partir des consultations spécialisées. Jusqu’en 1974, 9 consultations étaient organisées, dont 8 réparties sur 5 hôpitaux parisiens et 1 ouverte en janvier 1974 dans le cadre du centre d’observation de Thiais. À partir de 1975, l’idée est d’organiser les consultations spécialisées dans les différents départements d’Île-de- France, dans l’esprit d’une « sectorisation » et d’une harmonisation avec le secteur

psychiatrique, telle qu’évoquée ci-dessus. Dans le Rapport Moral de 1975, l’organisation des consultations est explicitement envisagée dans le cadre d’une « politique d’intégration

progressive aux secteurs et intersecteurs psychiatriques ». En effet, dans le cadre de la prise

en charge médico-sociale large de l’enfant et de sa famille mise en œuvre par les

Consultations et les services médico-socio-éducatifs, ceux-ci cherchent à réaliser un travail de mise en relation des différents organismes qui s’occupent, à un titre ou un autre, de l’enfant et de sa famille.

« Cet exposé sur le développement des Services médico-socio-éducatifs montre bien toute l’importance de ce service. Mais il lui faut assumer un très important

travail social et administratif afin d’établir des rapports étroits avec les

Directions d’Action Sanitaire et Sociale, les équipes des secteurs Psychiatriques, les Services Sociaux locaux, les Établissements existants, les Commissions Départementales d’Éducation Spéciale, les Associations de Parents. C’est dire que cette action qui s’intègre dans une prise en charge globale de l’enfant et de sa famille ne pourra être menée à bien que si on accorde au service les moyens nécessaires » (Rapport Moral du CESAP, 1976, Archives CESAP).

Pour réaliser ce travail « social et administratif », l’équipe pluridisciplinaire doit être située localement, et déployer son action sur un secteur géographique défini. À cet argument de l’ancrage territorial comme condition et ressource pour constituer une proximité

institutionnelle, s’ajoute un deuxième argument, celui de la proximité géographique pour les familles :

« Les préoccupations qui ont déterminé cette politique d'excentration étaient d'une part le rapprochement du lieu de consultation du domicile des parents, d'autre part et surtout la mise sur pied, au niveau d'un secteur géographique donné, d'une collaboration avec toutes les personnes et organismes s'occupant à un titre ou à un autre des enfants déficients mentaux profonds » (Rapport

d’activité des services médico-sociaux et éducatifs du CESAP, 1977, Archives CESAP).

Ainsi, entre 1976 et 1984, le nombre de consultations passe à 1963, réparties sur l’ensemble du territoire francilien et sectorisées. Puis, en 1987, les consultations et les services de suite sont remplacés par des Services de Soins et d’Éducation Spécialisée à Domicile (SSESD)64, départementalisés, ce qui résout le problème de leur financement65. 8 SSESD sont mis en place. Ils regroupent dans un même service les consultations et les services de suite (Aide éducative à Domicile et Journées éducatives). Ces SSESD départementaux sont considérés, à la fin des années 1980, comme soutenant l’action du CESAP régional. Le CESAP organise un dispositif médico-social qui s’articule à deux échelles territoriales : départementale et régionale.

« Chaque service s'inscrit bien dans le tissu administratif et social de son

département d'implantation et les contacts doivent être renforcés. Ainsi les SSESD doivent constituer les racines départementales du CESAP à vocation régionale »

(PV Assemblée Générale du CESAP, 1989, Archives CESAP).

En ce qui concerne les établissements, ils connaissent durant la période 1970-1989, des évolutions qui dans la période suivante, renforceront la politique générale du CESAP pour une organisation territoriale ; ces évolutions sont l’importance prise par la problématique de la prise en charge des adultes et la question, corrélative, de la « gestion des flux de population », dans un contexte, à la fin des années 1980, de régionalisation de l’action sociale et médico- sociale.

63 Paris est divisé en 4 secteurs, correspondant à 4 consultations dans 4 hôpitaux. Les autres départements d’Île-de-France sont divisés en deux secteurs (1 seul pour le 94, 3 pour le 92), avec deux consultations à des lieux différents. Le rythme des consultations est variable, de 1 à 4 fois par mois.

64 Services qui avaient été créés en 1970 dans le cadre de la réforme des annexes XXIV. Avant 1987, seule l’Aide Éducative à Domicile était agréée sous ce statut.

65 Nous n’avons cependant pas trouvé beaucoup d’indications sur la manière dont a été réalisé ce changement, en effet, les rapports moraux des années 1984 à 1988 sont manquants dans notre série.

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Jusqu’au début des années 1980, les rapports moraux du CESAP font état d’une

augmentation régulière de l’activité de ses établissements, à travers l’augmentation du nombre de prix de journée réalisé par ces établissements. Cette augmentation est liée à l’ouverture régulière d’établissements durant la décennie 1970-80. Le dernier qui a été construit et ouvert en 1980 par le CESAP est une Maison d’Accueil Spécialisée de 80 places, pour faire face à l’accueil des adultes polyhandicapés, question qui émerge dans le courant des années 1970. À partir de 1980 – 1982, cependant, cette tendance devient plus incertaine, voire, pour certains établissements, semble s’inverser, notamment parce que les demandes des familles semblent évoluer. Dans le Procès-Verbal de l’Assemblée Générale de 1984, il est noté que le CESAP est « de plus en plus sollicité par des familles pour garder quelques jours, quelques semaines,

un enfant qui sera repris dans un second temps ». En outre, le CESAP doit faire face à un

phénomène de « blocage » des populations qu’il prend en charge :

« Il a semblé intéressant de produire cette année un tableau où figurent par établissement, le nombre d’enfants présents au 31 décembre 1981, le nombre des enfants admis en cours d’année et celui des enfants réorientés […]. La

présentation de ces données fait penser à un blocage. Il apparaît ainsi que si le nombre des présents est sensiblement constant, celui des enfants réorientés a notablement baissé entraînant ainsi la réduction du nombre des admissions. Probablement deux raisons à ce phénomène : l’encombrement des internats par des enfants âgés de 5 à 6 ans lourdement handicapés, l’insuffisance du nombre de places réservées à de grands adolescents et à des "adultes" » (Rapport Moral du

CESAP, 1981, Archives CESAP).

Or cette question de la gestion des flux pose celle de la continuité de la prise en charge, c’est-à-dire des possibilités de passage d’un service à domicile ou d’un établissement pour enfants à un établissement pour adolescents ou pour adultes. Ces difficultés et évolutions conduisent le CESAP à faire évoluer ses établissements. En 1984, par exemple, l’IME « La Montagne », conçu initialement comme un internat pour 160 enfants est réorganisé en un internat de 115 places et un externat de 20 places. Mais ce réaménagement ne suffit pas à résoudre le problème de l’orientation des enfants, qui, durant les années 1980, s’accentue. Dans les établissements pour enfants, les enfants sont plus âgés et beaucoup sont en dérogation d’âge, par exemple :

-la pouponnière Amyot, initialement agréée pour des enfants de 0 à 16 mois, passe sur un agrément pour des enfants de 16 mois à 3 ans.

-en 1989, il est noté que « Les Heures Claires », établissements accueillant des enfants de 18 mois à 8 ans, n’a plus de liste d’attente.

-en 1989 également, pour « Le Poujal » (enfants de 0 à 6 ans), il est indiqué « l’âge des enfants constitue un obstacle grandissant au bon fonctionnement de

l’établissement ; à l’internat 28 enfants sur 40 sont en dérogation d’âge » (PV

Assemblée Générale, 1989)

-Pour « La Montagne » (6 à 16 ans) et « Le Château de Launay » (6 à 18 ans), il est indiqué des problèmes de réorientation pour les adolescents devenus adultes. La fin des années 1980 est une période difficile, de réorganisation des établissements et services et de transformation des populations prises en charge. La problématique des adultes devient proéminente. Ces transformations s’intensifieront après 1989 qui voit l’officialisation dans les textes de la notion de « polyhandicap » et, corrélativement, la reconnaissance d’établissements spécifiques pour les personnes « polyhandicapées ».

4.4. Reconnaissance politique de la catégorie : une prise en charge spécialisée

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