• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1. Le CESAP Éprouver la possibilité du soin pour les « arriérés profonds »

4. Le chemin vers le « polyhandicap » : 1970-1990

4.4. Reconnaissance politique de la catégorie : une prise en charge spécialisée locale/ de

4.4.2. Le groupe de travail sur les « handicaps associés » (1983-1984)

Plus important est le groupe de travail portant sur « les enfants atteints de handicaps

associés ». Ce groupe est organisé en 1983 par le CTNERHI à la demande de la Directrice de

l’Action Sociale, elle-même sollicitée par le Clapeaha67. Une dizaine de réunions sont organisées entre avril 1983 et avril 1984. L’objectif du groupe de travail est :

« -de rassembler, analyser puis synthétiser les connaissances actuellement disponibles sur les besoins spécifiquement créés par la co-existence de handicaps multiples chez l’enfant et sur la nature des réponses qui leur sont faites.

-d’énoncer des propositions d’actions et de recherches susceptibles d’améliorer à court, et à moyen terme :

. la connaissance des besoins.

. la pertinence qualitative et quantitative des réponses à ces besoins.

. la programmation des établissements et services à développer » (Groupe de

travail « les enfants atteints de handicaps associés », note préparatoire aux travaux du groupe, mars 1983, Archives Clapeaha).

Outre J.A. Spinga et E. Zucman (pour le CTNERHI), rapporteurs, le groupe de travail comprend des membres permanents, et selon la thématique de la réunion, des membres invités. Parmi les membres permanents, on trouve notamment trois représentants associatifs (CESAP, Clapeaha, APAJH), des représentants des administrations centrales et des

représentants des CREAI68. Parmi les membres invités, on trouve des représentants associatifs, des professionnels du médico-social, des représentants des administrations centrales, des chercheurs.

Le groupe de travail choisit le terme « handicaps associés » comme un terme générique pour désigner la « coexistence de deux handicaps sévères » (Zucman & Spinga, 1984, p.19). Puis le groupe décide de ne pas revenir sur l’analyse des types d’association de déficiences, et d’organiser son travail autour de trois groupes :

« Définition du champ et vocabulaire.

Le groupe juge superflu de s’étendre sur les définitions ; il est préférable d’être opérationnel en s’intéressant globalement à tous ceux qui sont rejetés ou mal accueillis.

En revanche, le groupe estime indispensable de redéfinir la division en trois groupes de la population hétérogène concernée. Il est décidé d’étudier la nature des réponses actuellement disponibles et les évolutions souhaitables au cours de trois journées consacrées chacune à un groupe particulier et dont le travail sera organisé selon une grille commune :

Groupe 1 : Les associations circonstancielles de handicaps [=plurihandicap] Groupe 2 : Les handicaps sévères à expressions multiples avec restriction extrême de l’autonomie. [=polyhandicap]

67 Ce groupe de travail montre les liens existants entre les associations, notamment le CESAP et le Clapeaha. Nous avons trouvé les archives du groupe dans le fond du Clapeaha.

68 La liste complète des membres permanents est la suivante : un conseiller médical du Bureau de Psychiatrie de la Direction Générale de la Santé (Ministère des Affaires Sociales et de la Solidarité) ; la vice-présidente de l’APAJH des Yvelines ; un administrateur du CREAI Île-de-France ; le directeur du CREAI d’Alsace ; S. Tomkiewicz, Directeur de recherche à l’INSERM ; A. Triomple, Chargée de recherche à l’INSERM ; le médecin conseiller technique national de l’Union des Caisses Centrales de Mutualité Sociale Agricole ; une représentante de la Direction de l’Action Sociale, Ministère des Affaires Sociales et de la Solidarité ; M. Faivre, Président du Clapeaha ; un conseiller technique au CREAI Région Centre-Orléans.

75

Groupe 3 : Les surcharges d’un handicap physique ou intellectuel par des troubles cognitifs ou affectifs. [=surhandicap] » (Groupe de travail sur « les

enfants atteints de handicaps associés », Compte-rendu de la séance du 7 avril 1983, Archives Clapeaha).

Or, ces trois groupes sont à la fois très proches des trois groupes définis par Salbreux à partir des enquêtes menées dans le cadre du service Recherche du CESAP et en constituent une reformulation. En effet, comme nous l’avons analysé dans la section 4.2., pour constituer ces trois groupes de « polyhandicap », R. Salbreux combinait plusieurs méthodes, mais surtout, gardait, comme critères discriminants, le QI et les troubles du comportement. Les trois

groupes auxquels il aboutissait, étaient alors, rappelons-le, les suivants (Salbreux, Deniaud, & Rougier, 1978, pp.396-397) :

1/ « les déficients mentaux sévères qui présentent de nombreuses surcharges », (=> ce groupe correspondant au groupe 2 ci-dessus)

2/ « les enfants porteurs de troubles du comportement rarement isolés, mais

souvent associés à une débilité légère »,

(=> ce groupe correspondant au groupe 3 ci-dessus)

3/ « les polyhandicapés vrais que l’on pourrait proposer d’appeler

"multihandicaps", car on y trouve des associations de déficiences motrices et sensorielles sans prédominance d’aucun handicap »

(=> ce groupe correspondant au groupe 1 ci-dessus)

Dans la constitution des trois groupes de population retenus par le groupe de travail « handicaps associés », la référence à la déficience mentale s’estompe. Dans la dernière version du rapport, la référence à la déficience intellectuelle sévère est rajoutée à la définition retenue initialement pour le groupe 2, « le polyhandicap », qui devient :

« Le handicap grave à expressions multiples avec restriction extrême de

l’autonomie et déficience intellectuelle sévère » (Zucman & Spinga, 1984, p.2),

c’est-à-dire « la population du CESAP »69.

Par rapport à l’usage qu’en faisait R. Salbreux, l’usage du terme « polyhandicap » est ici restreint et liée à une déficience mentale. Et ceux que R. Salbreux nommait « polyhandicaps » sont nommés « plurihandicaps », n’incluant pas nécessairement une déficience mentale.

Surtout, la méthodologie choisie, c’est-à-dire l’organisation de la réflexion à partir de ces trois groupes, aboutit à renforcer la relation entre type de handicaps associés et type de réponses (Winance & Barral, 2013), qui par ailleurs, était également déjà énoncée dans les travaux de Salbreux. Ainsi pour les « enfants plurihandicapés », dont il est indiqué qu’ils sont les moins nombreux, l’accent est mis sur les difficultés de communication et de perception qu’ils rencontrent et la nécessité, dans leur prise en charge, d’utiliser des techniques très poussées et spécialisées, leur permettant l’apprentissage de la communication (l’accent est mis sur la pédagogie). Pour les « enfants polyhandicapés », plus nombreux, une prise en charge globale, est nécessaire, articulant soins médicaux, rééducation, éducation, et reposant sur un personnel nombreux. C’est ici la conception de la prise en charge défendue par le

69 Nous n’avons pas retrouvé dans les compte-rendu des réunions pourquoi et qui a demandé d’ajouter cette référence à la déficience intellectuelle sévère, mais le rapport final contient une citation (pp.21-22) du Docteur Georges-Janet, directeur médical du CESAP, dans laquelle elle rappelle la présence « habituelle » de la

déficience mentale dans le cas des « handicaps sévères à expressions multiples », cette déficience n’étant pas synonyme d’absence d’évolution, mais nécessite « des mesures pédagogiques adaptées et réfléchies tenant

compte des autres handicaps ».

76

CESAP qui est reprise. Concernant le dernier groupe des « enfants surhandicapés », l’accent est mis sur la prévention et « l’éducation positive ». Chaque groupe est donc caractérisé par une prise en charge particulière, qui reflète pour le « polyhandicap » la conception développée par le CESAP, pour le « plurihandicap », la conception élaborée et défendue par le Clapeaha (cf. ci-dessous, chapitre 2).

Les conclusions du rapport rédigé par E. Zucman, à partir de la réflexion du groupe de travail, serviront de base à la rédaction de la circulaire n°86-13 du 6 mars 1986 « relative à

l’accueil des enfants et adolescents présentant des handicaps associés ». Cette circulaire

distingue, parmi les « enfants atteints de handicaps associés », deux groupes :

« -les enfants plurihandicapés, qui associent de façon circonstantielle deux handicaps : surdité – cécité, handicap moteur et sensoriel, déficience mentale et sensorielle ;

-les enfants polyhandicapés atteints d’un handicap grave à expression multiple, chez lesquels la déficience mentale sévère est associée à des troubles moteurs, entraînant une restriction extrême de l’autonomie.

Par ailleurs, on appelle surhandicapés les enfants dont le handicap ou les handicaps originels se cumulent avec un handicap acquis d’ordre cognitif ou relationnel : par exemple, les handicapés mentaux légers qui présentent des troubles de la personnalité ou du comportement » (circulaire n°86-13 du 6 mars

1986 relative à l’accueil des enfants et adolescents présentant des handicaps associés).

On reconnaît, dans les deux groupes distingués, « plurihandicap » et « polyhandicap », les groupes tels que définis dans le rapport Zucman, à une différence près, qui concerne le « polyhandicap », défini notamment par l’association entre troubles moteurs et déficience mentale sévère. Le « surhandicap » devient lui une notion transversale, désignant un handicap acquis surajouté.

La circulaire reconnaît ensuite l’insuffisance quantitative et qualitative des

établissements et services pour ces enfants, et « précise les conditions de prise en charge des

enfants atteints de handicaps associés, afin que les établissements et services de l’enfance handicapée puissent répondre à l’avenir aux besoins qui s’expriment encore dans ce secteur ». Pour cela la circulaire procède en deux temps, premièrement, elle énonce des

principes généraux devant orienter la prise en charge des enfants et adolescents atteints de handicaps associés, quels qu’ils soient, deuxièmement, elle se centre sur la prise en charge des enfants et adolescents « polyhandicapés ». Concernant le premier point, la circulaire privilégie l’intégration des enfants atteints de handicaps associés dans les établissements et services existants (qui doivent s’adapter à eux en créant des sections), pour une prise en charge de proximité. La création d’établissements spécifiques ne peut se justifier que pour des enfants nécessitant une prise en charge très spécialisée (l’exemple donné est celui des enfants « sourds-aveugles »). Elle défend une prise en charge précoce à domicile par une équipe pluridisciplinaire, la diversification des formes de placement institutionnel, le maintien des liens avec la famille, la prise en compte des soins et de la rééducation spécifiques à chaque enfant, la formation des personnels éducatifs et l’élaboration de projets thérapeutiques et éducatifs individuels.

Concernant la prise en charge des enfants polyhandicapés, la circulaire insiste sur la spécificité de ces enfants qui ont :

« -une perception restreinte et un univers relationnel limité et dépendant des facteurs affectifs ;

-des possibilités d’expression réduites ou inexistantes (pas de langage verbal) »

(loc. cit.).

Elle définit, en fonction de ces caractéristiques, 4 objectifs pour la prise en charge : 1/ établir la communication avec ces enfants, notamment via la dimension sensorielle et les actes du quotidien, 2/ développer les capacités d’éveil sensori-moteur de l’enfant, 3/ éviter la souffrance physique et 4/ aider les parents. Elle insiste enfin sur le taux d’encadrement

nécessaire au fonctionnement des établissements qui accueillent des enfants polyhandicapés et sur la présence de trois types de professionnels : médicaux, paramédicaux, éducatifs. Elle demande aux départements de donner la priorité, dans la politique de redéploiement des postes, aux structures qui se reconvertiront pour accueillir les enfants polyhandicapés.

De nouveau, sans que nous ayons pu tracer véritablement l’influence du CESAP sur la circulaire, on reconnaît une proximité importante entre celle-ci et la conception de la prise en charge des personnes polyhandicapées, prônée par le CESAP. La prise en charge des

personnes polyhandicapées repose sur l’organisation, localement, de sections ou

d’établissements et services polyvalents et suffisamment équipés, notamment en personnel formé et pluridisciplinaire. Enfin, s’il est difficile d’identifier concrètement les conséquences de la publication de cette circulaire, celle-ci paraît importante pour les acteurs qui la

connaissent. En outre, dans la suite de cette circulaire, en 1987, un fascicule des bulletins officiels spéciaux est publié, intitulé « Évolution de l’enfant accueilli dans les établissements et services médico-sociaux de l'enfance handicapée - (Méthode d'appréciation des acquis) » (n°87/11bis). Ce fascicule rassemble des grilles d’évaluation des enfants, destinées à servir d’outils aux équipes des établissements et services. L’une d’elle est consacrée au

polyhandicap. Voici ce qu’Annick Deveau70 écrit à son sujet :

« Cette grille a été élaborée par un groupe d’experts dans un groupe de travail au ministère, parmi lesquels une fois encore Elisabeth Zucman, Mme Georges-Janet, Stanislas Tomkiewicz…

Cette grille invite à identifier précisément les capacités d’autonomie en matière d’alimentation, de locomotion, d’habillage, de propreté, de rapport au temps, à l’espace, les possibilités de communication, le développement d’une vie

relationnelle…

Elle poursuit plusieurs objectifs à la fois : permettre une évaluation régulière afin de construire des réponses adaptées, amener à des évaluations partagées par les membres de l’équipe pluridisciplinaire, suivre l’évolution de l’enfant dans sa globalité.

Ces grilles étaient facultatives.

Ces grilles sont certainement restées peu utilisées. Cependant elles ont amorcé le grand chantier que fut la réforme des annexes XXIV » (Intervention de Madame

A. Deveau lors du 30e anniversaire d’Handas, mai 2009).

La troisième étape de ce bref parcours historique est la réforme des annexes XXIV, en 1988 et 1989.

70 Conseillère médicale à la Direction de l’Action Sociale

78

Outline

Documents relatifs