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Chapitre 2. Le Clapeaha Penser et organiser la « spécificité » de la prise en charge pour des

3. Organiser la prise en charge : d’une logique de places à une logique de soin

3.3. Les années 1980 : transformations du secteur médico-social

3.3.2. La réforme des annexes XXIV et l’amendement creton

Fin des années 1980, deux autres réformes sont importantes pour comprendre les transformations du secteur médico-social et les difficultés auxquelles sont alors confrontées les personnes atteintes de handicaps associés (notamment les enfants). La première, dont nous avons parlé dans le chapitre 1, est celle qui concerne la refonte des annexes XXIV. La

seconde concerne le fameux « amendement Creton ».

La réforme des annexes XXIV qui introduit la notion de polyhandicap et insiste sur les modalités de prise en charge des enfants (voir chapitre 1, section 4.4.3.) est saluée par le

Clapeaha, qui en souligne à la fois les points positifs et les points négatifs à ses yeux. Dans les points positifs, le Clapeaha salue la prise en compte par les nouvelles annexes, et ce pour la première fois dans un texte officiel, de la spécificité des enfants multihandicapés, et ce à travers deux modalités : d’une part la possibilité d’organiser dans les établissements de chaque catégorie, des sections spécifiques pour les enfants atteints de handicaps associés, d’autre part, l’organisation d’établissements spécifiques pour les enfants polyhandicapés. Il salue d’ailleurs tout particulièrement cette nouvelle annexe qui a le mérite :

« -de viser tous les âges de l’éducation,

-de réinsister sur la nécessité d’un « projet individualisé » pour chaque enfant, projet associant les visés thérapeutiques, pédagogiques et éducatives » (Clapeaha,

Rapport Moral, 1989).

Mais le Clapeaha énonce d’emblée certaines critiques. Une première critique concerne la définition donnée pour la notion de « polyhandicap »161. Selon lui, celle-ci est trop

restrictive car elle n’inclut que les enfants gravement atteints simultanément sur le plan moteur et mental. Elle exclut dès lors un certain nombre d’enfants et adolescents atteints de handicaps associés : ceux dont le handicap moteur ou mental n’est pas sévère en tant que tel, mais qui présentent néanmoins une restriction importante de l’autonomie du fait de

l’association avec d’autres handicaps (sensoriels notamment), ceux qui présentent d’autres types d’association de handicaps (sensoriels et moteurs, sans déficience intellectuelle, etc…).

« un certain nombre d’enfants étaient acceptés dans ces structures [consacrées à

l’accueil des enfants polyhandicapés] qui étaient de ce fait plus diversifiées, moins

ségrégatives. Qu’en sera-t-il désormais ? » (H. Faivre, document du Clapeaha,

« Les « centres de ressources » et les « points ressources » au service des enfants et adultes multihandicapés », juin 1990).

La crainte exprimée ici par le Clapeaha est celle de voir les établissements pour enfants polyhandicapés, agréés sur base de la nouvelle annexe, exclure les enfants atteints de handicaps associés et très dépendants qui ne correspondraient pas à la définition donnée dans les annexes. Cette crainte est liée à la deuxième critique émise, qui concerne la manière dont est organisée la prise en charge, dans des sections spécifiques, des autres enfants atteints de handicaps associés. Cette prise en charge est considérée comme insuffisante car faisant appel à des conventions entre établissements, au lieu d’une part de former les personnels spécialisés, d’autre part, de mettre en place des équipes pluridisciplinaires.

« L’administration a tendance en effet à résoudre le cas de ces enfants en recourant principalement à des conventions passées entre l’établissement

gestionnaire de la section et un ou plusieurs établissements compétents pour leurs handicaps surajoutés. Cette formule « fractionne » les interventions et ne peut en aucun cas remplacer les équipes pluridisciplinaires exigées par le

multihandicap » (Clapeaha, Rapport Moral, 1989).

Au lieu de mettre en place une prise en charge globale, cette technique des conventions conduit à prendre en charge chacun des handicaps, indépendamment les uns des autres, alors que c’est leur association/intrication qui engendre une spécificité.

Enfin, le Clapeaha exprime sa crainte que cette réforme renforce le mouvement de régionalisation enclenché depuis le début des années 1980, crainte dont il estime, dès l’année 1990, qu’elle se trouve confirmée. Suite à la réforme des annexes XXIV, l’ensemble des

161 Qui est, nous le rappelons : « handicap grave à expression multiple associant déficience motrice et déficience

mentale sévère ou profonde et entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation » (décret n°89-798 du 27 octobre 1989 remplaçant les annexes).

161

établissements médico-sociaux devaient présenter, dans les deux ans, un dossier de mise en conformité de leur agrément avec les nouvelles annexes. Or, selon le Clapeaha :

« l’examen de tous les dossiers, qu’il s’agisse des « mises en conformité » ou des projets nouveaux s’est déroulé au nom des seuls « besoins » du département »

Cette affirmation est accompagnée de plusieurs exemples :

« […] Tel projet parisien pour adolescents sourds multihandicapés s’est vu repoussé par la CRISMS au motif que le nombre de places pour enfants seulement sourds du département était globalement suffisant. Ces adolescents vont donc devoir attendre un hypothétique redéploiement […] » (Rapport moral du

Clapeaha, 1990, archives Clapeaha, souligné dans le texte).

La dernière évolution législative qui, selon le Clapeaha, a un impact important sur l’accueil en établissements des enfants et adultes atteints de handicaps associés, est le fameux amendement Creton, voté le 13 janvier 1989 (amendement à la loi 89-18 du 13 janvier 1989 portant diverses mesures d’ordre social), qui autorise un établissement à prolonger l’accueil d’un jeune au-delà de l’âge limite pour lequel est agréé cet établissement, lorsqu’aucune place n’est disponible dans un établissement pour adultes.

Le Clapeaha, avec d’autres associations, mène une action d’opposition à cet

amendement, qui pour lui, est une mauvaise solution au manque de places pour les adultes, et plus largement réagit aux propos tenus par Monsieur Creton dans les médias. Selon le

Clapeaha (et d’autres associations), l’adoption de cet amendement participe à accroître les difficultés que rencontrent les établissements et les familles, et ce pour les adultes comme pour les enfants. Ses arguments sont les suivants : maintien des adultes dans des

établissements pour enfants, et donc dans des établissements qui ne sont pas adaptés pour eux (du point de vue du projet éducatif, des personnels qui ne sont pas formés pour la prise en charge d’adultes, pour l’adulte lui-même, absence de rupture, de changement, reconnu comme bénéfique pour le passage à l’âge adulte), par ce maintien, les adultes « bloquent » des places qui ne sont pas rendues disponibles pour les enfants (allongement des listes d’attente des établissements pour enfants, non prise en charge d’enfants qui auraient besoin d’une prise en charge précoce), difficulté à évaluer les besoins de places (du fait du décalage entre nombre théorique et nombre effectif de places disponibles pour les enfants), refus par certains établissements de prise en charge de certains adolescents par peur de devoir la prolonger au- delà de leur âge limite, enfin difficultés financières de certains IME.

« Le texte finalement voté par le Parlement risque à l'évidence d'aggraver le problème des enfants : les établissements pour enfants multihandicapés font le plein. Ils ont pour la plupart d'importantes listes d'attente, aggravées dès avant la loi du 13 Janvier 1989 par des prolongations temporaires pour des jeunes

adultes. Si ces prorogations deviennent la règle, l'admission des plus petits sera gravement retardée, à un âge où l'intervention éducative est essentielle pour leur évolution positive. Les établissements accueillant des enfants très gravement handicapés risquent de se transformer progressivement, de fait, en établissements pour adolescents et adultes alors que les établissements fonctionneront selon un agrément et selon une visée éducative propre aux enfants. Les projets de

réalisations pour enfants seront d'autant plus difficiles à faire approuver que le nombre théorique de places pour enfants restera inchangé alors qu'il aura été, dans les faits, amputé de manière significative » (Clapeaha, Rapport Moral 1988).

Dans les rapports moraux et procès-verbaux des assemblés générales, de 1989 jusqu’aux années 2000, il est régulièrement question des « effets pervers de l’amendement Creton » ou des « dérives dues à l’amendement Creton ».

Ainsi, durant les années 1980, le secteur médico-social connaît un certain nombre de transformations qui sont interprétées par le Clapeaha comme accentuant les difficultés de prise en charge des personnes atteintes de handicaps associés.

[Le Clapeaha commence par saluer certaines avancées.]

« Mais d'une manière générale, la "marginalisation" des enfants et des adultes multihandicapés a tendance à s'accroître, en fonction de divers phénomène convergents dont certains sont déjà anciens (méconnaissance des besoins) et d'autres beaucoup plus récents: départementalisation et, pour les enfants, diminution du nombre de places agréées à l'occasion de la mise en application des annexes XXIV ainsi que du maintien de nombreux adultes au-delà de 20 ans (parfois jusqu'à 50 % du nombre de places) » (Clapeaha, Rapport Moral 1992).

Plus précisément, ces transformations rendent difficiles son action « en faveur d’une logique de création de places », c’est-à-dire l’action qu’il a entreprise pour soutenir des projets d’établissements spécialisés pour les enfants et adultes atteints de handicaps associés et pour demander aux autorités des plans de création. Ce contexte conduit le Clapeaha à poursuivre sa réflexion sur l’organisation de la prise en charge spécialisée, et le conduit à opérer un déplacement : penser la prise en charge non plus en termes de places dans des établissements spécialisés pour personnes atteintes de handicaps associés, mais penser et défendre l’organisation d’une prise en charge spécialisée dans tout établissement où se trouverait une personne atteinte de handicaps associés.

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