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Chapitre 1. Le CESAP Éprouver la possibilité du soin pour les « arriérés profonds »

2. Le CESAP, un comité d’études et de soins

2.2. La mission du CESAP : inventer et organiser le soin pour les « arriérés profonds », sur un

La dimension « para-publique » du CESAP s’observe également dans la manière dont il énonce sa mission dans ses statuts, puis la met en œuvre :

Article 2 (statut du CESAP, 1966) : l’Association a pour objet l’étude et la recherche de tous les moyens propres à résoudre les problèmes médico-sociaux posés par les arriérés profonds, principalement les enfants, leurs conditions de vie et leur insertion dans la société.

Elle peut, notamment, créer, gérer ou faire gérer des institutions spécialisées, contribuer à l’amélioration de l’équipement des établissements existants, passer des conventions avec des organismes publics ou privés destinés aux arriérés profonds, former le professionnel adéquat, promouvoir des recherches de caractères médical ou social, participer au recensement des besoins, informer l’opinion des problèmes en cause » (Statut du CESAP, 1966, Archives CESAP).

L’objectif du CESAP, formulé dans son nom (« études et soins aux arriérés profonds de la région parisienne ») et développé dans l’article 2 de ses statuts, repris ci-dessus, est « l’étude et la recherche de tous les moyens propres à résoudre les problèmes médico-sociaux

posés par les arriérés profonds ». Nous voudrions insister sur deux éléments de cette

formulation. Le premier est le terme utilisé pour désigner les personnes, celui « d’arriéré profond » ; le second élément est la manière dont le CESAP envisage, dans son histoire et donc progressivement, « tous les moyens propres à résoudre les problèmes médico-sociaux » posés par ces enfants.

L’usage du terme « arriérés profonds » est courant à l’époque, pour désigner les personnes atteintes d’une déficience mentale, dont le QI est inférieur à 50. Nous reviendrons plus loin dans le texte sur l’usage qu’en fait le CESAP à ses débuts, avant de l’abandonner. En effet, au cours de son histoire, le CESAP change de nom à 4 reprises (sans cependant changer de sigle), passant du terme « arriérés profonds », à celui de « déficients mentaux » en 1977, puis « polyhandicapés » en 1990 :

Les différents noms du CESAP dans son histoire :

-1965 : Comité d’Études et de Soins aux Arriérés Profonds de la Région Parisienne

-1977 : Comité d’Études, de Soins et d’Action Permanente en faveur des déficients mentaux

-1990 : Comité d’Études et de Soins aux Polyhandicapés

-2003 : Comité d’Éducation, d’Études et de Soins auprès des Personnes Polyhandicapées

Ce changement de terminologie est significatif dans l’histoire du CESAP, et nous permet de découper cette histoire en trois périodes. Durant la première période, entre 1964 et 1970, l’action du CESAP a pour objectif de déconstruire les notions « d’inéducabilité » et « d’irrécupérabilité » des « arriérés profonds », d’une part en mettant en place des services proposant leur prise en charge, qui tout en sortant de l’hôpital, s’articulent sur des

« consultations hospitalières », d’autre part, en faisant de la catégorie « d’arriérés profonds » une catégorie unique qui permet de « tirer vers le haut » les enfants « les plus atteints » au sein de cette catégorie. Pour cela, il utilise la notion de « déficience mentale ». Durant la seconde période, entre 1970 et 1990, le CESAP substitue progressivement la notion de « polyhandicap » à celle « d’arriéré profond ». La catégorie « polyhandicap » lui permet d’unifier une population hétérogène, revendiquée comme nécessitant une même prise en charge. Le CESAP officialise l’usage du terme « polyhandicap » dans son nom en 1990, c’est- à-dire 1 an après que ce terme ait été reconnu réglementairement lors de la réforme des annexes XXIV en 1989. La troisième période, entre 1990 et 2014, est celle de la stabilisation et de la consolidation d’un dispositif de prise en charge et de méthodes thérapeutiques. Mais cette dernière période est ambivalente pour le CESAP. D’une part, elle voit se développer et se diversifier les thérapeutiques, les modalités d’intervention et de soin pour les personnes polyhandicapées, les établissements, comme lieux de vie et de soin, connaissent d’importantes évolutions. D’autre part, elle est aussi pour le CESAP, une période de stagnation dans la mesure où sa dimension gestionnaire (et certaines difficultés notamment financières) devient centrale.

Comme nous le verrons, cette périodisation correspond également à l’évolution des « moyens » mis en œuvre par le CESAP pour « résoudre l’ensemble des problèmes médico- sociaux posés par les arriérés profonds ». Nous montrerons que « ces moyens » sont

diversifiés. Les acteurs du CESAP, dont certains ont écrit sur son histoire, ont déjà montré que ces moyens reposaient sur l’articulation de trois dimensions : soin, recherche et

formation, ces trois dimensions étant concrétisées dans différents dispositifs (certains pouvant remplir plusieurs fonctions) (Georges-Janet, 1997; Zucman, 2007). Nos analyses vont dans le même sens. Nous voudrions cependant insister sur une autre dimension de la construction progressive de ces « moyens » : leur dimension territoriale, et la manière dont celle-ci évolue au fil du temps. L’analyse de cette dimension est à relier au caractère « parapublic » du CESAP que nous avons souligné dans la section précédente.

En effet, le CESAP se donne comme mission de résoudre un problème : celui de la prise en charge des « arriérés profonds ». Les acteurs du CESAP, médecins et administratifs rassemblés dans le Conseil d’Administration, posent ce problème comme un problème général, lié à l’organisation des politiques de prise en charge des « enfants inadaptés », qui dépendent, en fonction de leur niveau de QI, de différentes institutions et de différents ministères. Et, dans les solutions qu’ils proposent, ils se situent au même niveau de

réflexion30, c’est-à-dire qu’ils imaginent les modalités d’organisation des dispositifs de prise en charge des « arriérés profonds », qui pourraient servir de modèle pour une politique publique en la matière. Mais, et c’est là la particularité de leur action, ils imaginent ces dispositifs en prenant comme référence un territoire local, en l’occurrence la Région Parisienne. Ainsi, la manière dont ils pensent le « soin aux arriérés profonds » est liée aux spécificités d’un territoire local, et à la manière dont ce territoire est administrativement défini.

Durant la première période de son histoire, le CESAP choisit comme territoire

d’implantation de son action la région Île-de-France. Il y organise la base de son dispositif de prise en charge à partir d’implantations historiques qui sont les lieux d’exercice des médecins pionniers du CESAP. Autrement dit, il s’appuie sur les ressources locales existantes. Durant

30 Comme nous l’avons mentionné en introduction, plusieurs associations se créent à cette époque pour mettre en place et gérer des solutions de prise en charge, puis des établissements, mais la plupart se situe à un niveau pratique. Elles créent et gèrent des structures sans construire une réflexion plus générale sur les modalités de la prise en charge des enfants « arriérés profonds » ou « multihandicapés ».

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la seconde période, sous l’évolution du contexte, il est amené à sectoriser son action et à la départementaliser, il se détache de ses appuis historiques pour penser une organisation géographique. Cette évolution se poursuit durant la troisième période. Cet ancrage sur un territoire local nous semble important pour comprendre l’émergence de la catégorie

« polyhandicap », défendue par le CESAP, en lien avec sa manière de concevoir le soin et les dispositifs de soin.

3. Déconstruire les notions « d’inéducables » et « d’irrécupérables »

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