• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Le Clapeaha Penser et organiser la « spécificité » de la prise en charge pour des

3. Organiser la prise en charge : d’une logique de places à une logique de soin

3.2. Organiser/concrétiser la spécificité du soin : via des établissements spécifiques ?

« Chaque multihandicapé constitue à lui seul une catégorie particulière. Chacun requiert en effet une éducation personnalisée et des solutions « sur mesure ». Mais pour pouvoir créer des structures, il a bien fallu tenter de

regrouper les personnes concernées en grande catégories » (Clapeaha, H. Faivre,

document « Les multihandicapés en 1986 », annexe au PV de l’AG 1985). Cette citation synthétise bien la difficulté à laquelle se heurte le Clapeaha durant les années 1970-80 : créer des structures de prise en charge collective autour de catégories présentant une certaine unité/homogénéité, pour une population hétérogène (pour des

personnes dont le seul point commun est d’avoir plusieurs handicaps, mais étant du fait de ces associations, toujours singulières), demandant un soin spécifique et spécialisé. Or, les enfants « multihandicapés », dans les années 1970, ne rentrent pas dans les catégories définies par les annexes XXIV qui organisent le secteur médico-social français (voir chapitre 1). D’où l’effort du Clapeaha, à travers ses enquêtes, pour constituer des catégories ayant une certaine unité, permettant l’organisation de structures, tout en défendant, très vite, la nécessité d’une prise en charge spécialisée. La réflexion sur cette tension entre « prise en charge catégorielle » et « spécialisation » est centrale dans la manière dont le Clapeaha pense l’organisation de la prise en charge.

Comme nous venons de le voir dans la section précédente, le Clapeaha, au début de son histoire, défend une vision classique de l’établissement : il s’agit soit d’internat, soit d’externat (IME, IMP, IMPro pour les enfants, foyers et MAS pour les adultes). La spécificité du soin est alors conçue en termes d’établissements. Le Clapeaha s’interroge cependant sur ce qu’est un établissement spécialisé pour personnes multihandicapées :

« Le qualificatif de spécialisé, s’il recouvre des réalités variées et ne correspond souvent qu’à un regroupement de diverses catégories de plurihandicapés qui n’ont en commun que le handicap principal, permet néanmoins de distinguer, au sein de la masse des établissements, ceux qui mettent en œuvre des techniques éducatives et des personnels spécialement orientés vers les plurihandicaps, cette orientation étant plus souvent sanctionnée par l’octroi d’un prix de journée plus important » (Clapeaha, Livre Blanc, 1976, p.3).

Ainsi, (et c’est liée à la réflexion du Clapeaha sur la spécificité de la prise en charge, évoquée plus haut), certaines catégories de personnes atteintes de handicaps associés, parce qu’elles requièrent des techniques éducatives spécifiques, doivent être accueillies dans des établissements « très spécialisés », pouvant mettre en place ces techniques et disposant des moyens matériels nécessaires à cette mise en place. Mais le Clapeaha se rend également compte, à partir d’une part de ses expériences de soutien aux établissements, d’autre part à partir des enquêtes qu’il réalise auprès des établissements, que cette conception de

« l’établissement spécialisé pour personnes multihandicapées » se heurte à un certain nombre de difficultés, et cela rapidement, puisqu’on trouve, dans le Livre Blanc de 1976, la citation suivante :

« Les difficultés les plus fréquentes signalées par les responsables tiennent au manque de locaux et à la carence de personnel réellement qualifié. Pour entreprendre l’investissement matériel et humain nécessaire, il faudrait, dans chaque cas, réunir un groupe suffisamment nombreux et homogène d’enfants de même catégorie.

Or les cas demeurent très dispersés : -dispersion géographique des familles,

-dispersion des enfants plurihandicapés d’âge scolaire dans de multiples établissements, faute de centralisation des renseignements, à la fois sur les cas existants et sur les établissements eux-mêmes » (Livre Blanc, Chapitre 1 « la

situation actuelle et les besoins qualitatifs », 1976, p. 2)

Dans cette citation, deux problèmes majeures apparaissent : d’une part, la question de la formation du personnel, d’autre part, celle de la dispersion géographique des personnes « multihandicapées » susceptibles de faire partie d’une même catégorie, parce que présentant les mêmes associations de déficiences. Ces deux problèmes le conduisent à concevoir la spécificité des établissements pour personnes atteintes de handicaps associés comme liée d’une part, à la spécificité du personnel et d’autre part, à l’aire géographique de recrutement des personnes accueillies.

Par rapport à la question de la spécificité des établissements, la première préoccupation du Clapeaha concerne les personnels : à la fois leur nombre (il faut un

personnel plus nombreux dans ces établissements), et surtout, leur qualification. Le Clapeaha développe, dès les années 1970, une réflexion sur la formation des personnels, et milite pour que les établissements spécialisés pour les personnes atteintes de handicaps associés, soient dotés de personnels spécialisés, c’est-à-dire spécifiquement formés et bénéficiant de soutien psychologique et technique.

« Le point peut-être le plus important pour l’avenir des plurihandicapés est celui de la FORMATION DES PERSONNELS.

Il est indispensable que ceux-ci reçoivent une formation supplémentaire,

notamment en cours d’emploi, afin qu’ils puissent adapter leurs interventions aux problèmes des plurihandicapés, et qu’ils puissent eux-mêmes bénéficier d’un soutien psychologique et technique indispensable.

Des initiatives ont été prises, notamment par l’ANPSA, l’Association Nationale des IMC et la fondation HANDAS. Elles sont mal connues : elles auraient besoin d’être développées et systématisées, en particulier au bénéfice des personnels travaillant dans les établissements pour handicapés mentaux qui accueillent des plurihandicapés » (Rapport Moral, Clapeaha, 1980, capitales dans le texte).

Cette réflexion sur la formation des personnels est liée à une interrogation sur leur motivation et sur la représentation « négative » des personnes multihandicapées. Dans les

années 1970 et 1980, le travail avec des personnes multihandicapées semble perçu comme « dévalorisant », car ces personnes sont considérées comme ne pouvant évoluer. Face à ces représentations, le Clapeaha défend une vision du travail auprès de ces personnes comme valorisant car demandant justement, une haute technicité et compétence.

« Il faudrait modifier l’existant en demandant qu’un IME accueille des multihandicapés dans une section particulière, mais pas au « rabais ». Ce

problème de reconversion est très délicat. L’étude de Madame Zucman comporte tout un chapitre sur ce point sur la grave difficulté des équipes à accepter des reconversions internes car elles se sentent dévalorisées par l’accueil d’enfants plus atteints et ce, faute de formation et d’information » (Clapeaha, PV d’AG,

1985).

« M. Faivre cite l’exemple d’un établissement pour enfants déficients sensoriels qui se vide progressivement grâce au programme d’intégration scolaire. À chaque rentrée, la proportion d’enfants plurihandicapés est plus forte.

Malheureusement, c’est toujours quelques jours avant la rentrée que l’on fait les affectations des professionnels et le fait d’être affecté à la section des

plurihandicapés est perçu, depuis des années, comme une « affectation sanction ». D’autres établissements de plus en plus nombreux existent où au contraire, aller vers ce travail, c’est faire confiance à ceux qui ont la personnalité la plus solide, la plus sereine et en même temps le sens de la recherche et sont capables de mettre dans leur travail une passion qu’ils ne mettraient peut-être pas dans un autre travail auprès d’enfants moins handicapés. C’est un travail qui doit

toujours se renouveler, où le pragmatisme doit être extrêmement important. Pour les personnalités qui aiment ce contact personnel avec les enfants, et cette

recherche permanente, c’est un travail qui peut être très valorisant à condition de bénéficier d’un soutien important de la Direction car il est très éprouvant » (PV

AG, Clapeaha, 1988).

Corrélative à cette question de la formation des personnels, se pose la question de la dispersion géographique des personnes atteintes de handicaps associés. Quand il est sollicité par un promoteur en vue d’une création d’établissements, le Clapeaha invite celui-ci à penser d’emblée un recrutement régional, voire national. Cela apparaît dans l’exemple suivant, qui est une réponse à un responsable voulant créer un établissement pour sourds plurihandicapés :

« M. (nom) nous a informé des difficultés que vous rencontrez pour mener à bien le projet d’ouverture du Centre (nom) pour sourds plurihandicapés.

D’après les indications qu’il nous a fournies, ce centre n’aurait pu ouvrir à la rentrée dernière parce que la très grande majorité des cas recensés par M. (nom), avec l’appui de nos associations, n’auraient pu être retenus pour des raisons diverses […].

Ce retard apporté à l’ouverture de votre centre nous inquiète vivement : de nombreuses familles avaient mis leur espoir dans la réalisation de ce projet […]. Nous savons certes, d’expérience, combien il est difficile d’apporter, notamment vis-à-vis de l’Administration, la preuve des besoins préalablement à l’ouverture d’un centre pour plurihandicapés. Les cas affluent par contre très rapidement dans les mois qui suivent l’ouverture du Centre, comme le montre l’exemple récent du Centre (nom) dans le Nord.

Le Sud-Ouest, dont la densité démographique est bien entendu inférieure à celle du Nord, recèle néanmoins sans aucun doute un nombre de cas de sourds

plurihandicapés justifiant pleinement une réalisation du type de celle projetée par

vous. Néanmoins, précisément en raison de cette densité moins grande, les familles sont très dispersées, les âges et les handicaps des enfants concernés sont très divers.

Il nous apparaît indispensable que la conception même du centre, pour que son ouverture se réalise, tienne compte de ces facteurs, c’est-à-dire :

1°que son aire géographique soit suffisamment large pour tenir compte de la dispersion démographique précitée.

La région de programme (contrairement au Nord) nous semble insuffisante et il n’est pas douteux que des régions limitrophes […] ne pourront envisager, au moins dans l’avenir immédiat, des réalisations propres.

Il nous apparaîtrait même tout à fait normal que, durant une première période, où les besoins ne se seraient pas encore fait connaître dans leur totalité, l’aire de recrutement d’un tel centre soit encore plus élargie, en particulier pour les cas les plus urgents.

Il n’est certes pas souhaitable de généraliser les expériences comme celle de (nom), qui rassemble plus d’une centaine d’enfants provenant de toutes les régions de France. Nous sommes très attentifs, en tant que parents, au maintien du maximum de liens avec les familles. Nous savons que certains parents seraient prêts à changer de région pour se rapprocher du centre susceptible d’accueillir leur enfant. Et d’autre part, dans l’avenir, il n’est pas douteux qu’un tel centre, une fois que tous les cas se seront fait connaître, pourra donner priorité aux plus proches.

2°Que, dans ces conditions, le régime d’hébergement soit suffisamment (sic) pour répondre aux différents besoins : semi-internat dans tous les cas où il est possible, internat de semaine pour d’autres, internat éventuellement jumelé avec une formule de placement familial pour les enfants trop éloignés. […]

3°Que les critères relatifs à l’âge, à l’admission et à la nature des handicaps soient suffisamment souples pour que soient pris en compte les adolescents, les cas de plurihandicaps sévères. Ceci suppose, bien entendu, une adaptation de la pédagogie, un grand nombre d’enfants nécessitant une prise en charge très individualisée […] » (lettre cosignée par le Président de l’ANPEDA, le Président

du Clapeaha, le Président de la FNADEDIDA, 26 janvier 1979, Archives Clapeaha, souligné dans le texte).

Cet exemple montre que dans les années 1970 et 1980, le Clapeaha pense des établissements spécialisés accueillant des personnes (ici des enfants) venant d’une aire géographique relativement étendue. Pour certains d’entre eux, par exemple pour les « sourds- aveugles » (ex. de l’établissement de Poitiers) est évoquée la nécessité d’un recrutement national. Seul ce recrutement géographiquement étendu peut assurer de rassembler

suffisamment de personnes atteintes des mêmes associations de déficiences pour ouvrir un établissement véritablement spécialisé pour ces associations de déficiences. D’emblée, également, les auteurs de la lettre pensent les conséquences, pour cet établissement, de ce recrutement géographique étendu, notamment en termes de diversité des modalités d’hébergement (semi-internat, internat de semaine, accueil de weekend). Dans les années 1980, cependant, un certain nombre d’évolutions plus générales vont conduire le Clapeaha à repenser la manière d’organiser « une prise en charge spécialisée » pour les personnes atteintes de handicaps associés.

Outline

Documents relatifs