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Chapitre 1. Le CESAP Éprouver la possibilité du soin pour les « arriérés profonds »

3. Déconstruire les notions « d’inéducables » et « d’irrécupérables » par l’épreuve de la réalité :

3.2. De l’équipe médico-sociale à un dispositif médico-social

3.2.2. Le développement des Services de Suite des consultations spécialisées

Dans un premier temps, 1 puis 2 auxiliaires familiales sont détachées par la CAF, et complètent l’équipe pluridisciplinaire de la consultation hospitalière. Ces auxiliaires sont chargées d’aller aider les familles, chez elles, deux ou trois heures par semaine. Chacune prend en charge environ 7 familles qu’elles aident 2 à 3 fois par semaine, pendant 2 à 3 heures. Rapidement (fin 1966), le CESAP décide d’étendre cette aide à domicile et crée un service d’aides familiales, nommé service d’ « aide éducative à domicile » (AED). Il est composé d’élèves éducateurs (recrutés dans les écoles de la Région Parisienne), placés sous la responsabilité de l’éducateur spécialisé intégré à l’équipe pluridisciplinaire, et rémunérés par le CESAP. En 1968, le service reçoit un agrément au titre de l’allocation d’éducation

spécialisée42, se développe (60 familles en bénéficient), et se structure.

42 Qui lui permet de remplir les dossiers de demande d’Allocation d’Éducation Spéciale (AES) pour les familles, qui peuvent dès lors participer aux frais du service grâce à l’AES. Ce montage financier posera des difficultés et poussera le CESAP à trouver une autre solution. Le service d’Action Éducative à Domicile sera agréé par la Sécurité Sociale en 1973.

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« Nouvelle structure du service : Une même éducatrice a dorénavant la charge des enfants aussi bien à la consultation hospitalière qu’au domicile de la famille. Cette éducatrice responsable, après avoir suivi l’enfant au domicile même

pendant un certain nombre de semaines, transmet ses indications éducatives à une monitrice, qui va poursuivre l’action à domicile aussi longtemps que nécessaire. Chaque mois, l’éducatrice responsable revient dans la famille pour contrôler et mettre au point l’action de la monitrice. Une telle structure doit permettre une bonne cohésion entre les indications précisées à la consultation par le médecin et son équipe, et l’action au foyer même. Elle fait de l’action éducative à domicile un élément d’observation fidèle de l’enfant et de son environnement. Cette structure est néanmoins assez souple pour permettre la prise en charge d’un nombre accru de familles : chaque éducatrice, aidée de 4 à 5 monitrices à temps partiel, peut prendre en charge simultanée une vingtaine de familles » (CESAP Information,

n°8, 1968, p.5. Archives CESAP).

Chaque service d’Aide Éducative à Domicile est rattaché à une consultation hospitalière et géré par l’éducatrice spécialisée de cette consultation, qui assure ainsi une continuité de la prise en charge entre la consultation et le domicile où interviennent les aides- éducatrices. En outre, pour alléger le coût du service (notamment les frais de transports des aides-éducatrices) et pour faciliter l’organisation de leur travail, ces services sont sectorisés. Les familles en effet, ne choisissent pas leur consultation hospitalière ; pour prendre rendez- vous, elles téléphonent au secrétariat du CESAP, qui recueille des informations sur l’enfant (âge, niveau « d’arriération », nom et prénom de l’enfant et des parents, adresse) et qui oriente la famille vers la consultation la plus proche de son domicile. Un regroupement géographique est donc opéré autour de chacune des 8 consultations43. À partir de cette distribution

géographique et en fonction des moyens dont dispose le CESAP, 5 secteurs géographiques sont définis, chacun d’eux étant attribué à un service d’Aide Éducative à Domicile.

L’Aide Éducative à Domicile prolonge, au domicile des familles, la prise en charge médico-sociale mise en place à la consultation spécialisée. L’objectif de ce service est de soulager les familles, en leur permettant de bénéficier d’une aide quelques heures par semaine et en développant une action éducative, telle que la conçoit le CESAP à ses débuts. Cette action vise d’une part l’enfant pour l’aider à acquérir des capacités de base (pratiques et relationnelles). D’autre part, cette action éducative vise la famille, et plus spécifiquement la mère, qui est souvent celle qui s’occupe de l’enfant. Il s’agit de lui donner « des conseils

pédagogiques adaptés à l’enfant inadapté et aussi à la fratrie éventuellement »44. Enfin, ces aides-éducatrices ont une mission d’observation. Comme il est dit ci-dessus : « Elle fait de l’action éducative à domicile un élément d’observation fidèle de l’enfant et de son

environnement ». Le médecin, et l’équipe pluridisciplinaire, pour définir la prise en charge

médicale de l’enfant, ont besoin d’informations sur « ce qu’il se passe en famille » :

Ancienne professionnelle du CESAP, ayant eu le rôle de responsable des aides- éducateurs allant à domicile :

« On m’avait confié les auxiliaires familiales. Ces auxiliaires familiales qui observaient beaucoup de choses à l’intérieur de la famille ; mais l’intérêt, c’était que j’aille aussi à domicile. […] L’idée de Tomkiewicz et de Georges-Janet,

43 Les documents du CESAP indiquent toutefois que pour les consultations, la sectorisation n’est pas parfaite, car en fonction de l’importance du nombre de demandes et pour les répartir entre les consultations, le secrétariat peut orienter vers une autre consultation que la consultation la plus proche.

44 Note sur le service de suite des consultations spécialisées, Aide éducative à domicile, avril 1968, document CESAP.

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c’était surtout que j’aille étudier, sur un plan aussi sociologique, comment ces familles vivaient, travaillaient. […] Il fallait que j’étudie tout ça en même temps et l’enfant. J’étais la personne pointue qui pouvait observer l’enfant, en même temps, je devais enseigner aux parents comment éduquer leur enfant. […]J’ai travaillé quatre ans en consultation. […] Par exemple, il y avait une maman dont le mari était colonel et dont la fille allait très mal. Elle l’avait intégrée dans une école religieuse, en maternelle. Ils l’ont gardée jusqu’à l’âge de 6 ans et à 7 ans, elle s’est retrouvée chez elle. La maman l’avait inscrite dans un cours de danse. Elle est arrivée au CESAP et elle m’a dit : "vous savez, elle sait danser". Et [nom du médecin] m’a demandé d’aller voir chez elle ce qui se passait. J’ai été reçue par le professeur de danse. J’ai eu droit au cours de danse. Cette petite fille était toute maigre. Le professeur a regardé l’heure et il m’a dit : "j’ai un cours, je m’en vais". Je lui ai dit : "mais pendant qu’elle danse, chaque fois vous la soutenez comme ça ? Vous devez lui lever la jambe, lui lever les bras ? C’est toujours cette musique ou il y en a d’autres ?". Là, le professeur qui était une femme avec un chignon tiré m’a dit : "je ne peux vraiment pas vous répondre, au revoir, j’ai un rendez-vous". Cette petite fille est venue s’asseoir à côté de moi. J’ai prononcé son nom, je lui ai dit : "tu sais, c’est très bien ce que tu as fait mais toi, tu voudrais encore danser ?" et elle m’a dit : "non, non". La maman s’est mise à pleurer mais à pleurer, je lui ai dit : "comment on va s’y prendre maintenant ? qu’est-ce qu’on va faire ? on va trouver". J’avais toujours un grand carnet et je lui ai dit : "mais ne vous inquiétez pas, on va trouver". […] Elle était débile moyenne, elle était à 50, quelque chose comme ça. Mais surtout elle avait une anorexie, elle ne mangeait plus, elle était très maigre. […] J’ai téléphoné à [nom du médecin] pour lui demander un rendez-vous supplémentaire. […] Mais surtout, la maman m’a avouée que l’enfant ne mangeait plus. On a parlé cuisine, on a parlé repas. Je lui ai donné trois rendez-vous supplémentaires, pour que je puisse parler avec cette enfant, qu’elle puisse remanger. Finalement, on a trouvé un IME pour elle. Voilà, des histoires comme ça. Ça n’avait rien à voir avec le polyhandicap, mais voilà ce qu’on avait aussi comme consultations. Des médecins qui avaient des cas dont ils ne savaient pas quoi faire, désarmés » (Entretien,

janvier 2016).

Pour remplir cette tâche d’observation, les aides-éducatrices sont dotées d’un carnet pour chaque enfant. Ce carnet ne contient pas de diagnostic ; il contient d’une part, les informations concernant l’enfant, dont elles ont besoin pour agir dans la famille, et d’autre part, une partie dans laquelle elles notent leurs observations. Il est classé dans le dossier de l’enfant à la consultation spécialisée. Des réunions sont également organisées qui rassemblent ces aides-éducateurs et l’éducateur spécialisé de la consultation, pour poursuivre la formation de ces aides-éducatrices, échanger les informations et faire le point sur les situations. Enfin, l’aide-éducatrice est présente aux consultations spécialisées avec les familles qu’elle suit, si la famille le désire. « Aller voir ce qu’il se passe dans les familles » est essentiel pour

comprendre l’état de l’enfant et pour trouver une « solution aux problèmes posés par les

enfants à leur famille » (cf. supra) et définir si « l’enfant peut ou ne peut pas rester dans sa famille, dans les conditions qui sont les siennes »45.

45 Dans les années 1970, ce service évoluera et intégrera outre les éducateurs spécialisés, les kinésithérapeutes, des travailleuses familiales, une psychologue et une orthophoniste. L’évolution de ces services montre

également l’évolution des professions qui s’occupent et s’intéressent à ces enfants.

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Parallèlement à la mise en place de l’Aide Éducative à Domicile, d’autres services sont créés et viennent compléter les « Services de Suite » des consultations spécialisées et leurs modalités d’action. Tous se présentent comme des formes d’aide aux familles, ayant pour objectif de renforcer les liens entre l’enfant et sa famille, même si parfois, cette aide et ce renforcement du lien supposent un placement de l’enfant (et donc une séparation, pensée au début comme temporaire).

« Les formes d’aide aux familles diffèrent selon que l’enfant est maintenu dans sa famille ou qu’un placement est immédiatement cherché pour dédramatiser une situation » (Note sur le service de suite des consultations spécialisées, Aide

éducative à domicile, avril 1968, document CESAP).

Dès 1966, 6 haltes-garderies sont ouvertes dans les grands ensembles de la banlieue parisienne. Elles sont ouvertes 1 ou 2 demi-journées dans les locaux de haltes-garderies traditionnelles. Leur but, au départ, est essentiellement de soulager la mère quelques heures par semaine, de la charge de son enfant « arriéré profond » et « lui permettre de s’occuper de ses autres enfants ». Elles sont tenues par deux professionnelles : une éducatrice ou jardinière d’enfant, responsable de la halte, et une aide éducatrice. Elles accueillent chacune une dizaine d’enfants par demi-journée. Le CESAP envisage également la création de crèche garderie spécialisée, fonctionnant tous les jours pour garder les enfants et permettre ainsi aux mères de continuer à travailler. Ce projet cependant, ne sera pas poursuivi. À partir de 196846, le CESAP organise des colonies d’été pour les enfants, qui s’appelleront ensuite « séjour éducatif d’été ». D’abord mises en place grâce à des subventions, elles seront dans les années 1970 agréées comme maison à caractère sanitaire temporaire spécialisée, par la Sécurité Sociale. Il cherche aussi à organiser des séjours temporaires pour certains enfants dont la famille connaît une situation difficile ou doit faire face à un imprévu. Il les organise dans les établissements de l’AP-HP qui accueillent des « arriérés profonds » (La Roche-Guyon, mais aussi l’hôpital d’Hendaye). Enfin, le CESAP est parfois confronté, et ce dès sa création, à l’impossibilité, de maintenir l’enfant dans sa famille, et à la nécessité de le « placer »,

temporairement ou à plus long terme, d’où la mise en place d’un placement familial spécialisé et de premiers internats.

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