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Chapitre 1. Le CESAP Éprouver la possibilité du soin pour les « arriérés profonds »

3. Déconstruire les notions « d’inéducables » et « d’irrécupérables » par l’épreuve de la réalité :

3.2. De l’équipe médico-sociale à un dispositif médico-social

3.2.3. Du placement temporaire aux internats

Le Placement Familial Spécialisé est créé par le CESAP au printemps 1966 à titre d’expérience, pour résoudre certaines situations familiales difficiles, repérées dans le cadre des consultations spécialisées, et donc, de nouveau, pour compléter et prolonger l’action de ces consultations.

« Dès le premier mois de fonctionnement en Mai 1966 des consultations spécialisées du CESAP, des cas d’urgence se sont présentés, cas pour lesquels nous n’avions aucune solution.

Il s’agissait le plus souvent d’enfants qui, du fait de la maladie ou de la maternité de leur mère, devaient quitter rapidement le foyer, ou d’enfants qui, mal tolérés dans le milieu familial, y créaient une tension telle qu’il était urgent de les en éloigner.

46 La colonie organisée durant l’été 1968 a accueilli 34 enfants entre 6 et 14 ans.

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Nous avons alors ressenti le besoin de créer rapidement un moyen permettant des placements temporaires ; et nous avons envisagé le placement nourricier »

(Rapport concernant le placement familial spécialisé au Conseil Scientifique et Technique, février 1967, Archives CESAP).

Ce service s’organise autour de l’hôpital de La Roche-Guyon, en juin 1966. Durant l’été 1966, 6 enfants sont accueillis par des nourrices, dans leur famille, pour une période de vacances. Suite à cette expérience considérée comme bénéfique pour les familles (« plus

détendues au retour de l’enfant »47) et pour l’enfant (« enfants améliorés physiquement, et

ayant fait quelques progrès »48), le service est développé, formalisé et structuré. Il est agréé par la Sécurité Sociale en mars 1967 (en tant que Centre d’Observation et de Traitement) et bénéficie dès lors d’un prix de journée.

Lorsque les pionniers du CESAP structurent ce service, ils mettent notamment l’accent sur son implantation géographique49. Le développement de ce service est lié aux ressources locales présentes dans une région, celle du Val-d’Oise. Si ce territoire semi-rural a été choisi, c’est essentiellement pour deux raisons. La première est la présence de l’hôpital de la Roche- Guyon, celui-ci servant de ressources pour les nourrices (des lits d’hospitalisation sont réservés à l’accueil des enfants du placement familial, en cas d’urgence, et des consultations médicales de suivi des enfants y sont organisées). La seconde raison est la présence à La Roche-Guyon de l’assistance sociale responsable des services sociaux du CESAP. Vivant dans la région depuis longtemps, et « connaissant parfaitement les différentes familles

susceptibles de devenir des familles nourricières »50, elle repère les potentielles nourrices, qui sont ensuite sélectionnées par l’équipe soignante. Ce service est ainsi composé de nourrices (24 en 1968) qui accueillent les enfants chez elles pour une période de 3 mois à 2 ans51 et d’une équipe soignante, elle-même composée d’une assistante sociale, d’une secrétaire gestionnaire, d’un kinésithérapeute, d’une jardinière d’enfants spécialisée. Certains des professionnels de cette équipe, l’assistante sociale et la jardinière d’enfants spécialisée, se déplacent au domicile de la nourrice, l’assistante sociale pour des visites ou pour répondre à des demandes des nourrices, la jardinière d’enfants pour aider les nourrices. En outre, les enfants sont vus en consultation médicale une fois par mois (consultation organisée à l’hôpital de la Roche-Guyon) par une « équipe volante » de trois médecins et une psychologue. En 1970, un deuxième service de Placement Familial Spécialisé est créé dans la région de Créteil.

On retrouve, dans l’organisation de ce service, l’articulation entre prise en charge médicale de l’enfant et intervention sociale sur son environnement, caractéristique des consultations spécialisées. Ainsi, loin de le considérer comme un simple mode de placement, les acteurs du CESAP insistent sur son « intérêt thérapeutique, social et économique »52.

« Après 2 ans de fonctionnement, on peut affirmer que le Placement Familial Spécialisé (PFS) est une solution positive pour un certain nombre d’enfants arriérés profonds :

-positive pour les parents en permettant une séparation provisoire et une dédramatisation des situations devenues parfois inextricables et trop chargées d’angoisse.

47 Rapport concernant le placement familial spécialisé au Conseil Scientifique et Technique, février 1967, document CESAP.

48 ibidem

49 On retrouve ici l’ancrage territorial de l’action du CESAP. 50 CESAP Information n°8, juin 1968, p.12.

51 Cette durée variera et s’allongera dans les années 1970.

52 Compte rendu de l’Assemblée Générale du 2 juillet 1969, document CESAP.

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-positive le plus souvent pour les enfants qui arrivent à faire des progrès très importants tant sur le plan psychomoteur que sur le plan relationnel par la dépsychotisation.

-positive pour les nourrices qui s’aperçoivent que ces enfants méritent autant de soins et d’amour que les autres ; elles se font dans leur milieu de véritables champions dans la lutte contre le rejet et contre la ségrégation de l’enfant arriéré » (CESAP Information, n°8, 1968, p.23, Archives CESAP).

L’ensemble de ces services mis en place par le CESAP sont conçus par lui, comme des solutions d’attente, permettant de repousser pour l’enfant, l’âge du premier placement, et d’ainsi donner le temps aux autorités publiques de créer les établissements nécessaires. Mais à la fin des années 1960, le CESAP est amené, un peu malgré lui, à créer des internats pour faire face au manque « de lits d’hospitalisation » pour ces enfants « arriérés profonds » et à l’urgence posée par de nombreuses situations familiales. En 1966, suite à une enquête, il estime à 480 le nombre d’enfants qui attendent un placement d’urgence.

« Ce chiffre de 480 qui est énorme semble encore au-dessous de la réalité […]. Nous sommes donc absolument cernés par le problème de l’accueil en institutions des enfants trop gravement atteints et dont les familles, pour des raisons

psychologiques ou sociales, ne peuvent garder la charge au foyer même. Et là, nous sommes extrêmement désarmés : lorsqu’il s’agit de création "lourdes" de murs, de lits, l’action d’un Comité tel que le nôtre est plus que légère sur le plan des investissements. Elle ne peut être qu’indicative quant aux besoins et aux solutions. […] Devant cette urgence, le CESAP estime actuellement utile de promouvoir des bâtiments légers dits "préfabriqués", de bonne qualité, qui pourraient s’implanter auprès des hôpitaux d’enfants déjà existants. L’étude technique et financière d’une telle implantation est en cours » (« L’action du

CESAP », Intervention d’E. Zucman, Séance d’Information sur l’Arriération Mentale, CESAP, 26 octobre 1966, p.41, Archives CESAP).

Deux projets voient effectivement le jour, pour faire face à cette « urgence ». Le premier est un internat ouvert en 1968 à proximité de l’hôpital de la Roche-Guyon, par la responsable des services sociaux du CESAP et du placement familial de la Roche-Guyon. Celle-ci propose au CESAP d’acheter, avec des fonds personnels, une maison pour la transformer en internat, qu’elle dirige et qui est géré par le CESAP. 32 enfants âgés de 18 mois à 5 ans, orientés par les consultations spécialisées, y sont accueillis à partir de septembre 1968. Ils sont répartis par petits groupes, chaque petit groupe occupant une unité de vie (comprenant une chambre, une salle d’activités et un service sanitaire). Le personnel

permanent est composé à la fois d’une équipe de maternage53 et d’une équipe éducative et est encadré par une équipe technique (médecin, kinésithérapeute, psychologue) issue des

consultations spécialisées. Cet établissement met en œuvre la conception du soin médical et éducatif, développée par le CESAP, et destinée à l’enfant et à sa famille. L’un des objectifs de l’établissement est notamment de préserver au maximum les liens entre l’enfant et sa famille.

53 Cette équipe de maternage deviendra par la suite une équipe composée d’Aides Médico-Psychologiques (AMP). Le CESAP participera activement à la création de la formation et du diplôme d’AMP, au début des années 1970. Cette formation est basée sur l’idée que le soin passe par l’éducation et inversement. Le CESAP devient centre de formation pour les AMP en 1973. Il perd son agrément début des années 1980 (nous n’avons pu retrouver la date exacte). Son centre de formation développe alors surtout une activité en direction de la formation permanente. En 2002, il est de nouveau agréé pour la formation des AMP. L’analyse de l’activité de formation du CESAP serait également importante pour comprendre l’évolution de la conception du soin « médico-social » du CESAP, et fera partie des pistes que nous continuerons à développer suite à ce rapport.

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En outre, cet établissement met en œuvre un autre principe d’organisation de la prise en charge, dont nous parlerons plus loin dans le texte, et qui est :

« l’absence de ségrégation : le Centre reçoit aussi bien des enfants arriérés profonds végétatifs que des enfants débiles semi-éducables ou des enfants déficients mentaux avec comportement psychotique » (Réunion du Conseil

Scientifique et Technique, 24 octobre 1968, Archives CESAP).

La population accueillie dans le centre est donc relativement hétérogène du point de vue des déficiences dont sont atteints les enfants, mais elle bénéficie d’une même prise en charge, médicale et sociale, décrite dans la citation qui suit :

« La Séance s’est terminée sur la présentation d’un petit film relatant une journée d’activités des enfants au Centre d’Observation et de Soins "Les heures Claires". [Nom de la responsable] a commenté avec beaucoup de simplicité et de chaleur les images de la vie journalière de ces tout jeunes enfants Déficients Mentaux. On est frappé devant ces images très simples par le contact chaleureux, direct, permanent entre ces enfants handicapés et l’équipe maternante qui en a la charge.

C’est dans la vie de tous les jours : les repas, les promenades, la toilette, que l’enfant est constamment stimulé par une équipe nombreuse et unie. Tous les essais de rééducation passent dans la vie quotidienne. On devine, à travers le montage d’amateur de ces images qui ont été prises sur moins d’un an, l’éclosion des contacts, de l’indépendance motrice, de la présence et d’une certaine joie de vivre chez la plupart de ces enfants très aimés » (Réunion du Conseil Scientifique

et Technique, 13 novembre 1969, Archives CESAP).

Un deuxième établissement, « La Montagne », est ouvert le 1er janvier 1970 pour 160 enfants de 6 à 16 ans, il est la réalisation du type d’établissement (léger, à proximité d’un hôpital) décrit plus haut par E. Zucman.

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