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Chapitre 2. Le Clapeaha Penser et organiser la « spécificité » de la prise en charge pour des

3. Organiser la prise en charge : d’une logique de places à une logique de soin

3.3. Les années 1980 : transformations du secteur médico-social

3.3.1. La régionalisation de l’action sociale et médico-sociale

Une première évolution, dès le début des années 80, est liée à la régionalisation. Celle- ci entraîne certaines conséquences pour les personnes atteintes de handicaps associés,

notamment la « régionalisation », voire la « départementalisation », du recrutement des établissements. Les raisons de cette départementalisation du recrutement sont différentes pour les enfants (les établissements pour enfants étant financés par l’Assurance Maladie, restent normalement liés aux autorités nationales) et pour les adultes (les Maisons d’Accueil Spécialisées –MAS– sont financées par l’assurance maladie, par contre les foyers sont eux financés par le département pour la partie « hébergement »153) ; elles apparaissent en partie financières (pour les adultes dans le cas des foyers, puis pour l’ensemble des établissements, en raison de la régionalisation des enveloppes), mais aussi comme résultant de certaines pratiques des CDES/COTOREP d’un côté (qui orientent les personnes vers des structures départementales) et des Commissions Régionales des Institutions Sociales et Médico-Sociales (CRISM) (qui privilégient la création de structures répondant aux besoins de leur région). Ainsi, certains établissements qui jusqu’alors accueillaient des personnes (enfants ou adultes) venant de plusieurs régions, soit refusent de le faire encore, soit se retrouvent, au fil du temps, face à des difficultés financières.

« Cette première étape [de la régionalisation] a générée elle-même des premières difficultés pour les catégories très minoritaires comme les plurihandicapés. Les CDES et les Commissions de Circonscription ne disposaient généralement pas d’équipes techniques spécialisées pour ces cas difficiles. Elles cherchaient néanmoins, très légitimement, à résoudre le mieux possible localement les cas qui leur étaient soumis. Faute d’équipement approprié, il leur est arrivé

d’« intégrer » des enfants trop atteints. C’est-à-dire de leur imposer des formules proches de la simple garderie.

Citons quelques anomalies plus flagrantes encore. Tel enfant plurihandicapé franchissait précédemment la « frontière » départementale toute proche et fréquentait à quelques kilomètres de chez lui, un établissement spécialisé. La départementalisation a amené la CDES à le confier à un autre établissement, moins adapté, mais situé à l’autre bout du département. Au coût du transport, s’est ajouté une fatigue insupportable pour l’enfant et un véritable

« surhandicap » de structure.

Les CRISM ont affronté des problèmes analogues. En zone urbanisée ou

démographiquement dense, les projets qui leur étaient soumis correspondaient à des listes de cas, même très spécifiques, issus de la région elle-même. Il n’en était pas de même pour les régions rurales. Le Limousin pouvait-il prendre en compte les besoins des sourds-aveugles s’ils se limitaient à un ou deux cas individuels.

153 La partie « soin » étant financée par l’Assurance Maladie. Ce sont les foyers à double tarification.

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Comment grever les enveloppes consacrées aux investissements de la région pour de si faibles minorités » (H. Faivre, « les plurihandicapés face à la

régionalisation », texte projet pour publication dans réadaptation, 1984).

Ou encore en 1983 :

« La régionalisation

Au cours des contacts avec les Pouvoirs Publics, une insistance très vive a été mise sur ce point à partir de cas concrets :

D’une part, certains établissements spécialisés se voient refuser bien qu’ayant des places vacantes, d’admettre des plurihandicapés au nom de la sectorisation. Il arrive que des enfants ou des adultes soient orientés vers des établissements beaucoup plus éloignés de leur domicile qu’un établissement plus proche, mais d’une autre région.

D’autre part, constituant des minorités parfois numériquement très faibles, les plurihandicapés exigent des réalisations pluridépartementales voire nationales. Ces réalisations se heurtent :

-aux réticences ou aux refus des collectivités locales de consentir des subventions pour des établissements accueillant des personnes étrangères au département ou à la région.

-au système des enveloppes départementales instituées en 1983 pour les créations de postes » (Clapeaha, rapport moral, 1983).

La circulaire de 1986 (n°86-13 du 6 mars 1986) relative à l’accueil des enfants et adolescents présentant des handicaps associés, même si elle est accueillie favorablement par le Clapeaha est aussi perçue comme renforçant cette tendance puisqu’elle privilégie « l’intégration

d’enfants présentant des handicaps associés en petit nombre dans les établissements de proximité, selon les opportunités locales et en fonction des déficiences […] ». Ce sera

également le cas de la circulaire de 1987 sur les personnes atteintes de déficiences auditives154.

Cette difficulté concernant le recrutement qui devient local se trouve majorée par la rencontre avec d’autres évolutions de l’époque. Début des années 1980, l’intégration des enfants handicapés en milieu ordinaire commence à être favorisée155, entraînant un

changement des populations accueillies en établissement : alourdissement des handicaps et retour, à l’adolescence, de jeunes ayant « peut-être été intégrés à tort et qui reviennent après

un échec scolaire avec des troubles graves de la personnalité surajoutés »156)157. Ce fait, 154 Circulaire n° 87-273 et 87-08 du 7 septembre 1987 (B.O.n° 32 du 17 septembre 1987) relative à l’organisation pédagogique des établissements publics, nationaux, locaux et des établissements privés accueillant des enfants et adolescents atteints de déficience auditive sévère ou profonde.

155 Notamment suite aux deux circulaires « Questiaux » que nous avons déjà citées: 1/ La circulaire n°82-2 et 82-048 du 28 janvier 1982, relative à la mise en œuvre d’une politique d’intégration en faveur des enfants et adolescents handicapés. Cette circulaire porte sur la démarche « d’intégration éducative » qui consiste à permettre la mise en place de solutions adaptées à chaque handicap et à chaque enfant et qui se traduit par des modalités différentes de l’intégration (en milieu ordinaire, en classe spécialisée, sur certains temps….). 2/ La circulaire n°83-4 du 29 janvier 1983 relative à la mise en place d’actions de soutien et de soins spécialisés en vue de l’intégration dans les établissements scolaires ordinaires des enfants et adolescents handicapés ou en difficulté en raison d’une maladie, de troubles de la personnalité ou de troubles graves du comportement. 156 Clapeaha, PV de l’Assemblée Générale, 1984, Archives Clapeaha.

157 Nous indiquons ce fait comme étant un élément de l’expérience concrète des personnes, qu’elles mobilisent dans leur argumentation et leur discours pour construire leurs revendications, cette critique étant récurrente et toujours actuelle.

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associé à la rigueur budgétaire qui s’instaure alors, entraîne une volonté de diminuer le nombre de créations et de favoriser le redéploiement des établissements existants.

« Les plurihandicapés sont encore plus atteints que les autres catégories par la politique de blocage des créations de postes et de limitation de la croissance des prix de journée, car les besoins non satisfaits sont encore très importants, même pour les enfants. Les Pouvoirs Publics préconisent un certain « redéploiement » des équipements en leur faveur, à la suite notamment de la chute des taux

d’occupation dûe au reflux démographique et à l’intégration scolaire progressive des autres catégories. Mais une telle politique, si elle exige moins

d’investissements matériels que des créations nouvelles, implique nécessairement des moyens humains importants, faute de quoi le redéploiement s’opère au rabais. Ce redéploiement n’est d’ailleurs souvent qu’un vœu pieux, puisqu’il reste à la discrétion des gestionnaires souvent freinés de plus par la résistance des

personnels et que ne leur sont pas donnés, le plus souvent, les moyens de l’opérer de manière qualitativement valable. D’autre part, nombre de structures ne se prêtent pas à un tel redéploiement, soit en raison de leur situation géographique, soit à cause de leur conception architecturale, soit en raison de certaines rigidités résultant du droit du travail et de la réglementation des prix de journée

(impossibilité financière d’opérer les licenciements rendus nécessaires par l’impossibilité de reconvertir totalement les équipes antérieures).

Rappelons enfin que le problème criant posé par les adultes plurihandicapés ne pourra être résolu sans un certain nombre de réalisations tout à fait nouvelles ainsi que des mesures susceptibles de faciliter un véritable maintien à domicile »

(Clapeaha, rapport moral, 1983).

Face à ces évolutions et difficultés, le Clapeaha évoque, dès la fin des années 70 et le début des années 1980, la question de l’échelle d’organisation des établissements pour personnes atteintes de handicaps associés. Alors que pour les handicaps simples, l’échelle ajustée est régionale, pour les multihandicaps, l’échelle ajustée est l’échelle nationale.

« La conception strictement départementale de l’appréhension des besoins et de la réalisation des équipements est en effet inadaptée à la solution de leurs problèmes. Ceux-ci ne seront réellement pris en compte que moyennant : -une récapitulation régionale et nationale des cas recensés (confiée à la Commission Nationale des équipements sanitaires et sociaux)

-une carte nationale des réalisations à promouvoir. La planification et la coordination des réalisations ne peuvent être envisagées qu’à ce niveau. -des enveloppes nationales tant en matière d’investissements que de postes à créer »(Clapeaha, Rapport Moral, 1985)

Le Clapeaha, en même temps qu’il s’investit et soutient des projets particuliers d’établissements spécialisés, est amené à s’engager, de par les difficultés rencontrées, dans une réflexion plus globale sur la manière d’organiser la prise en charge des personnes multihandicapées. Il pose la question du territoire de référence. Vue la dispersion

géographique des personnes, ce territoire doit être large : inter-régional, voire national. Il pose corrélativement la question de l’autorité compétente, qui est, selon lui, l’État, les autorités locales ne pouvant pas avoir la vision d’ensemble nécessaire. Il défend l’idée d’une carte nationale des besoins et des réalisations, et l’idée d’une compétence nationale.

« Ce problème de la décentralisation et de ses effets particuliers sur les plurihandicapés a donc fait l’objet de démarches réitérées auprès de Madame Dollander Conseiller Technique au Cabinet de Madame Dufoix, ainsi qu’auprès du Service des Études et du Financement de la Direction de l’Action Sociale.

Cette action doit être poursuivie pour que soient rectifiés les textes relatifs à la décentralisation afin qu’il soit tenu compte des minorités dispersées telles que les nôtres » (Clapeaha, Rapport Moral, 1984).

Lors des négociations et de la préparation de la loi de 1986 (loi n°86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière

d’aide sociale et de santé), le Clapeaha milite pour obtenir une prise en compte par cette loi,

des difficultés posées par la régionalisation pour la prise en charge des personnes multihandicapées. Il ne sera d’ailleurs pas le seul à porter cette demande. D’autres

associations comme l’ANPEA, l’ANPEDA, l’APF, l’UNAPEI et l’UNIOPSS (dont certaines sont membres du Clapeaha) se font également l’écho des difficultés posées par la prise en charge de certaines populations très handicapées. La séance du CNCPH, consacrée à la présentation et à la discussion de l’avant-projet de loi, datée du 17 septembre 1985, rend compte des prises de position de ces associations. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, durant cette séance, le terme « handicap rare » est utilisé par plusieurs de ces associations (dont le Clapeaha) :

« Le Clapeaha rappelle que pour les catégories les plus minoritaires de handicaps, il ne peut exister de solution départementale ou régionale. Les

handicaps très spécifiques doivent être l’objet d’études des besoins menées sur le plan national. La rédaction de l’art.12158 du projet de Loi Particulière n’est pas adaptée.

[…]

L’ANPEDA estime que les problèmes soulevés par les handicaps rares sont à traiter au niveau des individus et non des structures. […] Elle estime que le handicap rare doit bénéficier d’une prise en charge des problèmes à l’échelon régional.

[…]

L’APF souhaite une rédaction plus claire de l’art.13 de la Loi Particulière. Les plus handicapés ont besoin d’établissements très spécialisés. La question du domicile de secours doit être revue : les handicaps moteurs et sensoriels se déplacent et risquent d’être rejetés par un département autre que le leur. […]

L’UNAPEI déplore l’abandon du conseil départemental. La mise en place d’un Contentieux régional eût été utile. Il y a risque d’encombrement si tout le

Contentieux remonte au plan national. Elle poste la question de savoir quel est le domicile de secours des adultes handicapés sous tutelle. Elle estime qu’à chaque fois que se présente une personne atteinte d’un handicap rare, il y a risque de refus de signature de convention entre départements.

L’UNIOPSS estime que des garanties personnelles opposables aux départements sont indispensables. Il faut une vision dynamique de la planification des

Établissements. L’équipement en établissements recevant des personnes atteintes de handicaps rares doit se concevoir au plan national ou plurirégional. Les règles d’acquisition et de perte du domicile de secours risquent d’entraîner une perte de la liberté de choix. Les garanties des usagers doivent être préservées. Il y a un problème grave si un Président du Conseil Général n’habilite plus un

158 Dans l’avant-projet de loi, cet article prévoyait que les autorités compétentes pouvaient demander à un établissement de modifier son nombre de places en fonction de l’évolution des besoins. Or la régionalisation faisait craindre aux associations que les départements ajustent les capacités des établissements aux besoins locaux.

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établissement. La passation de conventions avec tous les départements concernés est une charge excessive.

L’UNIOPSS est en désaccord avec la rédaction de l’art. 12 de la Loi

Particulière : la modification de la capacité en fonction des besoins entraîne de graves difficultés.

[…]

Le Clapeaha souhaite que la question des établissements pour personnes atteintes de handicaps rares figure dans l’exposé des motifs.

[…]

En matière de handicap rare, M. Lasry159 regrette l’absence dans la loi d’un dispositif par lequel l’État aurait le pouvoir, à défaut de convention, d’imposer l’accueil des personnes intéressées.

L’UNIOPSS suggère d’introduire dans le texte de la loi la possibilité de schémas pluri-départementaux arrêtés conjointement par les présidents de conseil général concernés lorsqu’il est nécessaire de créer des établissements à recrutement pluri-départemental.

L’ANPEA souligne l’obligation de solidarité et la nécessité de l’action de l’Etat si le département est défaillant.

Madame Girard160 pense qu’il faut définir ce qu’est un handicap rare. Il faut une planification nationale et négocier ensuite avec les départements.

Le Clapeaha estime que la planification est absolument nécessaire ».

À ce procès-verbal est joint l’avis du CNCPH sur l’avant-projet de loi.

Avis du CNCPH sur l’avant-projet de la loi tendant à adapter la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétence en matière d’aide sociale et de santé.

[…] 2) Liberté de circulation des personnes handicapées sur le territoire français. Le conseil national rappelle son profond attachement à la liberté de circulation des personnes handicapées sur le territoire français. A cet égard, il craint que le jeu de l’acquisition du domicile de secours dans le département d’implantation de l’établissement d’hébergement ne conduise cette collectivité à limiter ses

habilitations et à refuser les autorisations de fonctionner aux établissements accueillant des personnes originaires d’autres départements.

Il est d’avis que la règle de non acquisition du domicile de secours dans le

département du lieu de l’établissement d’hébergement doit être étendue dans tous les cas où il n’existe pas d’établissement similaire dans le département d’origine. Le Gouvernement estime que les départements d’origine ne manqueront pas de passer des conventions avec les départements d’accueil afin d’assurer la charge de leurs ressortissants. Le conseil national souhaite qu’ils y soient vivement incités, que cette recommandation figure dans l’exposé des motifs de la loi et que celui-ci soit publié au Journal Officiel de la République Française.

Enfin et surtout, le conseil national attire l’attention du Gouvernement sur la prise en charge des personnes à handicap rare (ou handicaps multiples) qui ne peuvent être accueillies que dans des établissements à recrutement pluri- départemental. Dans ce cas, il souhaite qu’une disposition prévoie que des schémas pluri-départementaux seront établis conjointement par les présidents de conseil général des départements concernés » (avis joint au CR de réunion)

159 Président de l’époque du CNCPH.

160 Directeur de l’Action Sociale à cette époque.

159

(Procès-verbal de la réunion du CNCPH, mardi 17 septembre 1985, Archives Clapeaha).

Ce long extrait du procès-verbal le montre, les questions posées, à cette période, par la prise en charge des personnes multihandicapées sont liées à l’organisation géographique administrative des établissements. Parce qu’ils s’adressent à des « minorités », les établissements pour personnes multihandicapées ne peuvent, selon les associations, être rattachés à un territoire local, plus précisément, à un territoire administratif local, mais

doivent être « nationaux ». En outre, il est intéressant de noter que le CNCPH débute son avis en insistant sur « la liberté de circuler des personnes handicapées sur le territoire français », et donc, sur la liberté non seulement de choisir l’établissement qui convient, mais aussi celle de choisir la proximité ou l’éloignement.

Les associations, et le CNCPH, obtiendront, sur la question des territoires de

référence, en fonction du type de handicap (handicap ou plurihandicap), une modification du projet de loi. Les autorités intègrent, dans le projet de loi, la problématique du « handicap rare », telle que souhaitée par les associations.

Procès-verbal de la Réunion du CNCPH, 5 novembre 1985 :

« Madame le Ministre [] souligne que le Conseil a déjà beaucoup agi et aidé. Les avis donnés sur la Loi Particulière ont été précieux. Les remarques ont été

retenues dans toute la mesure du possible : une dizaine de modifications ont été faites dont une particulièrement importante relative à l’accueil des personnes atteintes d’un handicap rare.

La prise en charge par un département des personnes venant d’autres départements posait problème. Il a donc été décidé que le projet de création d’Établissements médico-sociaux pour personnes présentant un handicap rare serait soumis à l’avis de la commission nationale des institutions sociales et médico-sociales. On passe ainsi d’un échelon régional ou départemental à un échelon national.

Une dérogation à la règle du domicile de secours laissera la responsabilité de la prise en charge de la personne à son département d’origine.

Le projet de Loi Particulière a été adopté par le Conseil des Ministres du Mercredi 30 octobre 1985 et est déposé à l’Assemblée Nationale »

(Procès-verbal de la Réunion du CNCPH, 5 novembre 1985, Archives Clapeaha). La Loi Particulière de 1986 introduit donc une mesure concernant les établissements médico- sociaux accueillant les personnes atteintes d’un handicap rare, qui les rattache à la

commission nationale des équipements sanitaires et sociaux ; cette mesure cependant, ne donnera lieu à aucune application concrète dans l’immédiat.

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