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Chapitre 2. Le Clapeaha Penser et organiser la « spécificité » de la prise en charge pour des

3. Organiser la prise en charge : d’une logique de places à une logique de soin

3.4. Des établissements spécialisés à une prise en charge spécialisée

3.4.1. Les années 1980 : émergence d’une idée Des centres ou points ressources pensés

L’idée des centres ressources ou points ressources (les deux termes sont initialement employés), émerge au milieu des années 80, suite au groupe de travail et au rapport rédigé par le Docteur Zucman. Pour le Clapeaha, « le centre ou point ressource » apparaît d’emblée

comme la solution permettant d’articuler les deux axes de sa réflexion : d’une part celle sur la spécificité de la prise en charge des personnes atteintes de handicaps associés, d’autre part, celle de l’organisation de cette prise en charge en établissements. À partir de 1985, les rapports moraux et procès-verbaux des assemblées générales mentionnent systématiquement cette idée. Mais la manière dont ces « centres ou points ressources » sont conçus évolue au fil des années.

Dans le rapport rédigé par le Dr Zucman, issu d’un groupe de travail, les centres ressources sont conçus comme des centres spécialisés pour un type de handicaps associés, régionaux, dotés d’équipements et de personnels qualifiés. Ces centres seraient à la fois des centres pilotes permettant une prise en charge temporaire (« quelques semaines ou quelques

mois ») des enfants, pour leur permettre de progresser, et des centres de ressources régionaux

« pour le soutien technique, la formation complémentaire des équipements locaux spécialisés

mais a-spécifiques qui seront alors en mesure d’assurer un accueil quotidien avec un dynamisme suffisant » (Zucman & Spinga, 1984, p.9). Entre les années 1985 et 1989, le

Clapeaha reprend de cette proposition, l’idée de centres ressources, conçus comme des centres régionaux d’appui et d’aide pour les équipes non-spécialisées des établissements.

« À plus long terme, chaque grande région de notre pays devrait comporter, pour chaque catégorie de multihandicapés, un « centre de ressources » c’est-à-dire un établissement ou un service pilote auxquels pourraient s’adresser les personnels concernés (et éventuellement les parents). Par exemple, un tout petit sourd plurihandicapé doit être suivi, dans toute la mesure du possible, par une équipe très proche de sa famille, en principe celle du CAMSP (Centre d’Action Médico- Sociale Précoce). Mais, cette équipe, qui n’a jamais eu affaire à un cas si lourd et si particulier, est très démunie. Il lui faut pouvoir trouver, le moins loin possible, conseils et formation. Le « Centre de ressources » devrait, outre son rôle normal d’établissement, recevoir les moyens de faire face à ce rôle de soutien et de conseil à l’échelle de la région » (Clapeaha, PV AG extraordinaire, 1985).

D’emblée, le Clapeaha se détache de l’idée d’un établissement d’hébergement et de prise en charge directe des enfants pour promouvoir l’idée de soutien aux professionnels, et ce finalement, dans le prolongement de sa réflexion sur les professionnels (réflexion que nous avons évoquée ci-dessus). Par contre, il reste dans une logique territoriale, de répartition de ces centres ressources dans chaque région. Positionner le centre ressource au niveau régional pose par ailleurs la question de sa « spécialité » : s’agit-il d’un centre ressources

« plurihandicap » généraliste (concernant tous les plurihandicaps) ou d’un centre ressources « spécialisé » pour certains d’entre eux. La question n’est, au départ, pas clairement posée par le Clapeaha.

Lors de la publication de la circulaire (n°86-13 du 6 mars 1986) relative à l’accueil des enfants et adolescents présentant des handicaps associés, le Clapeaha, tout en soulignant les apports de ce texte, émet le regret que le texte ne reprenne pas l’idée des centres ressources. Dans les années suivantes, il continue de reprendre l’idée. On voit d’ailleurs poindre un premier glissement. Dans le contexte qui est celui de la régionalisation, le Clapeaha va progressivement appuyer l’idée des centres ressources sur l’argument selon lequel seul le centre ressource permet de combiner prise en charge de proximité et prise en charge spécialisée :

« Si l’on veut que les enfants multihandicapés soient pris en charge au plus près de leurs familles (CAMPS, petites sections créées par redéploiement), les

professionnels œuvrant dans ces structures très décentralisées doivent être soutenus, conseillés et formés par des équipes régionales ou plurirégionales

hautement spécialisées pour le type de multihandicap concerné » (Clapeaha,

Rapport Moral, 1986).

3.4.2. 1988-1990 : construire et développer l’idée des centres ressources.

À partir de 1989, le Clapeaha défend avec énergie l’idée des centres ressources. Il utilise pour cela le lobbying direct des autorités publiques, et surtout les arènes externes de discussion et de négociation (groupes de travail mis en place sur le multihandicap puis les handicaps rares) grâce auxquels il s’assure le soutien des autres associations sur ce point, et transforme une idée qui lui est chère en idée collective.

Fin 1988, M. Faivre préside la cellule XI du groupe de travail interassociatif mis en place par Michel Gillibert, Secrétaire d’État chargé des handicapés et des accidentés de la vie162. La cellule XI est consacrée aux personnes multihandicapées. L’un des chapitres du rapport (12 pages)163 est consacré aux « Points de ressources ». Et l’une des mesures

prioritaires proposées pour 1990 porte sur la création à titre expérimental, de quelques points ressources. En juin 1990, le Clapeaha reprend ce travail de réflexion sur les « points

ressources », le développe, et rédige un document de 23 pages intitulé « Les "centres de ressources" et les "points ressources" au service des enfants et adultes multihandicapés ».

Dans ces deux documents (le chapitre du rapport de la cellule XI et le document du Clapeaha), le Clapeaha adopte, pour défendre les points/centres ressources, une approche pragmatique. Il part du contexte de l’époque et des pratiques déjà développées par certains centres ou services, pour ensuite développer et construire l’idée des points/centres ressources : leurs rôle et missions, ainsi que la manière de penser le statut de ces structures dans le secteur médico-social. Cette démarche pragmatique, comme nous allons le voir, lui permet de

présenter les points/centres ressources comme la solution évidente.

Le constat de départ de sa réflexion, qui constitue pour le Clapeaha, le problème, est en effet formulé en quatre points :

« 1. Les cas sont souvent dispersés […]

2. Les spécialistes, établissements ou services compétents sont de plus en plus sollicités […]

3. Un certain nombre d’exemples actuels peuvent être donnés […]

4. L’évolution récente avive la demande, mais aussi l’urgence d’une définition claire de la fonction centre de ressources et des moyens dont elle doit

disposer […]»

(Document Clapeaha, « Les "centres de ressources" et les "points ressources" au service des enfants et adultes multihandicapés », 1990).

Le premier point repris par le Clapeaha est celui de la dispersion géographique des enfants et adultes atteints de handicaps associés ; il s’agit là d’un argument répété par le Clapeaha, et présent dans son discours depuis sa création et la réalisation des premières enquêtes. Les trois points suivants sont par contre des arguments nouveaux.

Dans le document de 1990, le Clapeaha liste des exemples de services ou

d’établissements dont les professionnels sont sollicités par d’autres professionnels ou par des familles pour les aider, les conseiller concernant la prise en charge d’un enfant ou d’un adulte atteint de handicaps associés. Ce listing présenté par le Clapeaha est constitué sous le modèle

162 Cf. chapitre 1.

163 Le rapport de la cellule n°XI est publié en mars 1989 (donc avant la réforme des annexes XXIV).

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des enquêtes, à partir d’un recueil d’expériences réalisé, cette fois, par les associations ayant participé notamment à la « Cellule XI ». Neuf exemples sont décrits, d’autres sont cités, la liste étant présentées comme non-exhaustive. Parmi ces exemples, on trouve des IME, EMP, un service hospitalier, les services régionaux d’aide et d’information (SRAI) de l’AFM164. Dans la présentation de ces services, l’accent est mis sur la partie informelle de leur activité, celle qui dépasse leurs missions initiales, et qui consiste à aider des familles, des

professionnels, des personnes atteintes de handicaps associés, qui soit parce qu’elles sont éloignées géographiquement, soit parce que la personne concernée n’est pas hébergée ou prise en charge par leur structure, ne relève normalement pas de leur structure. Les experts

sollicités répondent à ces demandes, mais :

« -de manière plus ou moins ponctuelle, sporadique et très variée quant au contenu de l’intervention,

-au détriment croissant de leur activité principale, et donc des personnes multihandicapées qui leur sont officiellement confiées, et ce faute de moyens financiers et de disponibilité suffisante » (Document Clapeaha, « Les « centres de

ressources » et les « points ressources » au service des enfants et adultes multihandicapés », 1990).

Autrement dit, cette activité informelle que certains centres sont appelés à jouer « malgré

eux » (citation du document), du fait des nombreuses sollicitations qu’ils reçoivent, entrent en

conflit avec leur mission officielle. Or, et c’est le dernier point du « constat-problème », les évolutions récentes qui ont touché le secteur médico-social tendent à renforcer l’isolement des personnes atteintes de handicaps associés :

« On peut donc estimer que loin de diminuer le nombre de cas de multihandicapés isolés, l’évolution a tendance à l’augmenter.

Seul un suivi à distance peut pallier à la fois : -la carence quantitative des places,

-le danger d’accueil au rabais (création de sections mal équipées, intégration individuelle « sauvage », etc…) » (Document Clapeaha, « Les « centres de

ressources » et les « points ressources » au service des enfants et adultes multihandicapés », 1990).

Ces experts sont donc amenés à être de plus en plus sollicités.

Dans la seconde partie du document, le Clapeaha développe le rôle que devraient avoir ces centres ressources et les moyens dont ils devraient disposer pour les remplir.

« Objectifs

Il s’agirait de répondre aux besoins des enfants et adultes non accueillis dans des structures (externats ou internats) réellement adaptées à leur cas.

Cette intervention viserait, suivant les cas :

-les personnes multihandicapées elles-mêmes et leur entourage familial (bilan, élaboration d’un projet individualisé, évaluations successives).

-les professionnels au contact de la personne multihandicapée, s’ils sont isolés ou s’ils travaillent dans une structure non adaptée au cas qu’ils ont en charge (notamment dans un établissement ou service pour monohandicapés). À leur égard, le centre de ressources aura un rôle d’information sur les

multihandicapés, de formation, de recours éventuel (pour le bilan, les évaluations,

164 Les exemples listés ne sont pas clairement identifiés, il est question d’un IME pour les enfants aveugles et amblyopes multihandicapés couvrant les régions Nord/Pas-de-Calais/Picardie, etc… On reconnaît cependant, parmi eux, les établissements et services qui seront à l’origine des centres ressources en 1998.

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pour des avis à solliciter etc…) » (Document Clapeaha, « Les « centres de

ressources » et les « points ressources » au service des enfants et adultes multihandicapés », 1990).

Ainsi, le Clapeaha pense le centre de ressources comme une structure de prise en charge, mais à distance. Il pense, finalement, le centre de ressources sous la forme d’un établissement spécialisé (tel qu’il les imaginait dans les années 70 et 80), mais sans la partie « hébergement » et en lui donnant par contre, la mission de se rendre dans les structures d’hébergement. Il reprend d’ailleurs la réflexion qu’il mène depuis sa création, concernant les professionnels : d’un côté, les professionnels traditionnels sont démunis face aux handicaps associés et ont besoin de soutien technique et psychologique, d’autre part, la prise en charge des différents types de multihandicap suppose des professionnels « hautement spécialisés ».

Enfin, une longue partie du document est consacrée à la manière d’inscrire ces centres ressources dans le paysage médico-social et dans le dispositif législatif actuel. Concernant l’intégration de ces centres de ressources dans le secteur médico-social existant, le Clapeaha reconnaît que depuis 10-15 ans, des services ont été créés qui assurent certaines tâches d’évaluation, de suivi, d’orientation, de formation, etc... On trouve, dans le document de 1990, l’inventaire de ces services. Mais ces services sont inégalement répartis sur le territoire, la plupart manque de formation technique spécifique, enfin, ces services ne couvrent pas l’ensemble des personnes, soit en termes de catégories, soit en termes d’âges. C’est le cas, par exemple les services dédiés aux enfants atteints de déficiences sensorielles :

« -l’intervention du SAFEP s’interrompt à 3 ans (4 ans pour les déficients visuels), alors que jusqu’à 6 ans la quasi-totalité d’entre eux ne peut être scolarisé.

-au-delà de 6 ans, les SSEFIS et SAAIS sont essentiellement orientés vers le soutien à l’intégration scolaire. Certes les enfants atteints de cécité acquise (atteinte tardive) seront pris en charge pour une sorte de « recyclage » avant réintégration dans le circuit scolaire. Mais pour la quasi-totalité des enfants multihandicapés, il n’est pas question d’intégration scolaire. Ni les 2 annexes, ni la circulaire commune d’application ne semblent avoir précisé si les SSEFIS et SAAIS pourront intervenir en leur faveur et avec quels moyens » (Document

Clapeaha, « Les « centres de ressources » et les « points ressources » au service des enfants et adultes multihandicapés », 1990).

Le centre de ressources aura donc pour rôle d’une part de combler les lacunes existantes (géographiques, techniques et juridiques) et d’autre part de coordonner les interventions autour d’une même personne.

« Chaque enfant, chaque adulte est une personne. Il ne peut être découpé en tranches. Et le multihandicap n’est pas une addition de handicaps, mais une conjugaison de problèmes qui interfèrent, interagissent et doivent être abordés de manière coordonnée. […] Les interventions diverses auprès d’une même

personne, qu’elles soient de « proximité » ou à distance, doivent impérativement être coordonnées » (Document Clapeaha, « Les « centres de ressources » et les «

points ressources » au service des enfants et adultes multihandicapés », 1990). Cette coordination est présentée de deux manières : « à la base et au sommet ». « A la

base », elle est envisagée en termes de formation des professionnels intervenant auprès de la

personne, formation qui évite la multiplication des professionnels. « Au sommet », elle est présentée comme la supervision à distance, par un professionnel « hautement compétent », des interventions réalisées autour de la personne, supervision ponctuée d’interventions directes

(bilans, mais aussi interventions très spécialisées telles que les techniques de communication, des accompagnateurs-traducteurs pour les « sourds-aveugles »…).

Concernant le statut juridique, le Clapeaha avait engagé, dès 1988, des échanges avec les autorités publiques. Celles-ci lui avaient indiqué que la création d’un statut spécifique « centre ressources » n’était pas justifiée dans la mesure où les nouvelles annexes prévoyaient la possibilité de signature de conventions entre établissements165. Cette possibilité permet à un établissement de faire appel à un autre établissement lorsqu’il est confronté à un handicap pour lequel il n’est pas compétent.

« Selon l’Administration Centrale, ce système de Convention permet d’éviter la « double prise en charge ». L’établissement prestataire de services facture le montant de sa prestation à l’établissement bénéficiaire de ces services. Ce dernier devra bien entendu intégrer cette dépense soit dans ses crédits de formation, soit dans la ligne budgétaire relative aux bilans médicaux ou médico-pédagogiques. Il devra pouvoir justifier de cette dépense vis-à-vis de la tutelle » (Document

Clapeaha, « les "Points-Ressources" (ou Centres de ressources) », octobre 1988). Dans le document de 1990, le Clapeaha répond à cette proposition en indiquant que cette formule des conventions ne peut convenir car la prise en charge du « multihandicap » ne se réduit pas à la prise en charge séparée de chacun des handicaps associés.

« Si une telle solution peut s’envisager pour traiter des problèmes d’origine accidentelle (bien distincte) ou des surcharges mineures, il ne peut en aucun cas permettre la prise en charge adéquate de personnes multihandicapées au sens propre du terme. Celles-ci ne peuvent en aucun cas être traitées « organe par organe », découpées en tranches. Les interférences des handicaps sont multiples et l’approche doit être globale » (Document Clapeaha, « Les "centres de

ressources" et les "points ressources" au service des enfants et adultes multihandicapés », 1990).

Ce système pose par ailleurs d’autres difficultés : il s’agit d’un financement ponctuel et irrégulier, qui ne donnerait pas au centre ressource la stabilité dont il a besoin ; très vite, les possibilités de répondre des équipes seraient atteintes, celles-ci devant rester disponibles pour les personnes dépendant de leur propre structure ; enfin, le système de convention ne permet pas le financement d’intervention en réponse à des demandes provenant de familles isolées (hors établissements). Ainsi, si les textes existant peuvent donner une certaine base juridique à ces centres ressources, ils ne suffisent pas et il est nécessaire de penser, pour ces centres, un statut et un financement spécifique (différentes formules sont proposées : budget global, budget global et budget spécifique pour les interventions techniques, etc.).

Ces deux documents posent les bases de ce que pourraient être les centres ressources, en s’appuyant sur des pratiques et expériences existantes. On voit comment à travers cette réflexion sur les centres ressources, le Clapeaha se détache d’une conception « spatiale » de l’organisation de la prise en charge des personnes atteintes de handicaps associés. Dans ces documents en effet, les centres ressources sont détachés d’un ancrage territorial. Le Clapeaha a ainsi résolu la question de l’organisation spatiale d’une prise en charge spécialisée. Enfin, dans ces documents, on ne trouve pas de réflexion sur les catégories de handicaps associés concernées. Au contraire, les auteurs adoptent la définition large du « multihandicap » telle que donnée par le rapport Zucman (Zucman & Spinga, 1984). Le polyhandicap en fait donc partie et nombre d’exemples donnés concernent d’ailleurs les personnes polyhandicapées.

165 Nous avons déjà évoqué ces conventions lorsque nous avons parlé de la réforme des annexes XXIV.

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