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Chapitre 2. Le Clapeaha Penser et organiser la « spécificité » de la prise en charge pour des

1. Le Clapeaha, un comité transversal aux autres associations de personnes handicapées ou de

1.4. Des « handicaps associés » aux « handicaps rares » et aux « handicaps complexes » Tenir

Comme nous venons de le voir, la fonction de « liaison » du comité évolue au cours de son histoire. Cette évolution est également visible lorsqu’on analyse l’évolution des termes utilisés par le Clapeaha pour désigner la cause qu’il défend. Tout au long de son histoire, le Clapeaha défend « les exclus des exclus », « les oubliés de la politique ». Ce sont là des termes génériques que l’on retrouve dans de nombreux documents internes, qui relèvent d’une certaine rhétorique117. Mais on trouve également, dans ces documents, des termes plus précis. L’identification de ces termes utilisés par le Clapeaha permet d’analyser d’une part

l’évolution de la cause collective qu’il défend, d’autre part, la manière dont il construit cette cause à l’articulation d’une cause transversale au champ du handicap et d’une cause

singulière. Dans cette section, nous retraçons brièvement cette évolution en identifiant les termes utilisés. Dans les parties et sections suivantes, nous reviendrons sur les modalités de construction de cette cause collective et sur les raisons de l’évolution des termes.

De la fin des années 60 jusqu’au début des années 80, plusieurs terminologies sont utilisées. Le premier terme, actuellement toujours présent dans la dénomination du Clapeaha, mais beaucoup moins utilisé dans ses documents ou discours, est celui de « handicaps

associés ». Ce terme, durant la période du début, coexiste avec les termes de « multihandicap », de « plurihandicap » et dans les années 1970, avec celui de

« polyhandicap », utilisé comme synonyme des précédents. Dans les années 1970, il est par exemple question de polyhandicaps sensoriels118. M. Faivre dans l’une de ses interventions parle, dans le même sens, des « sourds polyhandicapés »119. C’est aussi le cas dans le Livre Blanc de 1976 qui emploie « handicaps associés » et « polyhandicaps » comme synonymes. L’utilisation de ces termes reflète l’objectif du Clapeaha qui s’intéresse alors aux problèmes rencontrés par les parents d’enfants atteints de deux handicaps ou plus, « handicaps » étant utilisé pour « déficiences », quelles que soient la nature de ces déficiences. Durant cette période, si le Clapeaha essaie, comme nous le verrons dans la suite, d’identifier les personnes

117 Commune d’ailleurs à d’autres associations, dont le CESAP.

118 Notion liée aux recherches de Salbreux : Salbreux R. et Deniaud J.M., 1977, Handicaps et polyhandicaps

sensoriels. Fréquence des associations, Étude effectuée sur les données de l’Enquête épidémiologique sur les inadaptations sévères dans la population juvénile de la région parisienne, Service Recherche du CESAP.

119 Assemblée générale du 30 janvier 1976. UNISDA. Communication de M. Faivre.

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concernées et de qualifier les handicaps associés (c’est-à-dire de définir les catégories de personnes concernées : « sourds-aveugles », « sourds-plurihandicapés », « cardiaques avec handicaps associés », etc…), il défend une cause unifiée, celle des personnes atteintes de « handicaps associés ». Son entrée est l’association des déficiences, quelles qu’elles soient, même s’il tente de préciser ces associations.

A partir du milieu des années 80, la terminologie évolue dans les documents internes du Clapeaha. Après 1984, le Clapeaha adopte la terminologie telle qu’elle a été clarifiée dans le rapport Zucman (Zucman & Spinga, 1984) et utilise les quatre termes « multihandicap », « plurihandicap », « polyhandicap », et « surhandicap », avec les définitions qui en sont données dans le rapport Zucman, pour désigner des populations différentes.

« Multihandicap » est le terme chapeau, générique, qui englobe les « plurihandicaps », les « polyhandicaps » et les « surhandicaps»120. Mais le Clapeaha mentionne, dans ses

documents, à plusieurs reprises, les difficultés que rencontrent les professionnels (notamment des établissements et services) pour comprendre ces notions et classer les personnes en fonction de ces catégories121. Ainsi, il utilise ces notions, mais prend également en compte la dimension floue et mouvante de leur définition.

La notion de « handicaps rares » apparaît, à la même époque, en 1985-1986 lors des débats, avec les autorités politiques, concernant la loi relative à la décentralisation. Elle est au départ toujours utilisé en lien avec la notion de « minorité » (qui « souffrent d’un effet de

marginalisation aggravé »), pour désigner ceux qui parmi les personnes atteintes de

handicaps associés, sont les moins nombreuses et ont le moins de possibilité de prise en charge. Le terme « handicap de faible prévalence », qui est celui utilisé dans la loi de 2005, apparaît relativement peu dans les documents du Clapeaha.

À la fin des années 1990, de nouvelles terminologies apparaissent, elles coexistent durant les années 2000-2013 avec le terme de « handicaps rares », alors que les termes plus anciens (multihandicap, handicaps associés, plurihandicap) deviennent de moins en moins fréquents dans les documents du Clapeaha. Issu de la réflexion menée par un groupe de travail mis en place par le Forum Européen, le terme « personnes avec des problèmes complexes de dépendance » commence à être utilisé dans les documents du Clapeaha à partir de 1998. Il devient de plus en plus fréquent notamment dans les passages concernant la révision des lois de 1975 (à partir de 2001) puis concernant la rédaction de la loi de 2005 et de ses décrets d’application, et se décline sous différentes formes : « handicaps complexes de grande dépendance » (à partir de 2002), « personnes en situation complexe de dépendance », « personne en situation de handicap complexe », « personne en situation complexe de handicap » (à partir de 2006-7), « personne en situation très complexe de dépendance », « personnes très dépendantes qui ne peuvent se représenter elles-mêmes », « adultes en grand déficit d’autonomie », « personne en situation complexe de handicap avec un grand déficit d’autonomie », « personne en situation de handicap grave ou complexe ». Ce déplacement de « handicap associé » à « personne en situation complexe de dépendance/de handicap » est significatif d’un glissement conceptuel : d’une vision en termes de « déficiences »

(« handicaps » dans « handicaps associés » étant en fait synonyme de « déficiences ») à une

120 Pour un rappel des définitions, voir chapitre 1, section 4.4.2.

121 Ces difficultés lui apparaissent notamment lors des enquêtes qu’il mène auprès des établissements, et que nous décrivons dans la section 2.

Le Clapeaha note par exemple, dans un compte-rendu présentant les résultats de l’une de ces enquêtes :

« Tout d’abord les termes même de multihandicapés, plurihandicapés, polyhandicapés et surhandicapés prêtent à confusion. Nous en avons, quant à nous retenu les définitions indiquées en page 2 étant entendu que le terme de multihandicapé recouvre la totalité des pluri, poly et surhandicapés. Mais, il ne suffit pas de donner une définition pour qu’elle puisse s’appliquer dans les faits » (Rapport Moral Clapeaha, 1987, Archives Clapeaha).

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vision plus sociale et relationnelle du handicap, qui intègre l’idée que le handicap résulte d’une interaction entre la personne et son environnement (« sa situation ») (Winance, 2016; Winance, Ville, & Ravaud, 2007). Surtout, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, cette terminologie est celle qui permet au Clapeaha de faire cause commune avec d’autres associations et de construire une cause transversale au champ du handicap, au-delà de sa cause propre, celle des « handicaps associés ». Ainsi, à partir des années 2012-2013, deux terminologies sont dominantes dans les documents du Clapeaha : celle de « handicaps rares » et celle de « personnes en situation complexe de handicap » ou « personnes en situation complexe de dépendance »122.

L’évolution de la terminologie utilisée par le Clapeaha montre que la cause des « handicaps associés » n’est pas définie et fixée, il s’agit là d’une catégorie mouvante qui donne lieu à d’autres catégories, plus singulières ou plus transversales, mais tout aussi mouvantes. Cette évolution se fait en fonction des alliances que noue le Clapeaha. Les alliés de la première heure sont les grandes associations : APF, UNAPEI, ANPEDA, ANPEA. Dans les années 2000, ces associations restent alliées au Clapeaha et continuent de soutenir ses actions. Mais le Clapeaha noue d’autres alliances (avec la cause de l’autisme, celle des traumatisés crâniens, puis à la fin de la période étudiée, celle du polyhandicap123) qui lui semblent avoir plus de poids face aux autorités publiques. Enfin, tout au long de son histoire, ces catégories (ou terminologies) non-stabilisées sont l’objet de débats pour savoir qui est concerné, qui sont ces enfants et ces adultes. Dans la section suivante, nous montrons comment le Clapeaha, à travers des enquêtes, pose ces questions et tente d’y répondre.

122 Dans ce chapitre sur l’histoire du Clapeaha, nous utiliserons le terme « personnes atteintes de handicaps associés » pour désigner les personnes pour lesquelles se bat le Clapeaha. En effet, ce terme est celui que le Clapeaha a gardé dans son nom ; en outre, même si sa fréquence diminue au cours du temps, il est employé de la création du Clapeaha jusqu’à la fin de la période étudiée, et nous paraît dès lors comme significatif de la cause défendue par le Clapeaha.

123 Via un resserrement des liens entre le Clapeaha et le CESAP qui se traduit notamment par le fait que le président du CESAP devient vice-président du Clapeaha en 2014.

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2. Rassembler les témoignages, compter, recenser ou comment

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