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Paragraphe I- La portée de l'interdiction des pratiques anticoncurrentielles en droit de l’UEMOA

A- L'encadrement juridique des ententes d’entreprises

3- La notion de « marché » en droit de la concurrence

Au regard des développements précédents, nous pouvons retenir essentiellement que l’élément le plus important dans la qualification des comportements interdits des entreprises est sans doute l’effet anticoncurrentiel sur le marché commun. Cette appréciation de l'atteinte à la concurrence requiert au préalable la définition du marché dans lequel les entreprises sont en compétition, et sa délimitation est traditionnellement considérée comme une phase d'analyse tout à fait essentielle en droit de la concurrence128.

La notion de marché a plusieurs définitions qui partagent entre elles un fond commun.

125 En effet, l’article 3 du règlement 2/2002/UEMOA dispose que « Sont incompatibles avec le Marché

Commun et interdits, tous accords, décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées entre entreprises, ayant pour objet ou pour effet de restreindre (…) » et notamment ceux qui consistent en :- des accords limitant l’accès au marché et à la libre concurrence par d’autres entreprises ; - des accords visant à fixer directement ou indirectement le prix, à contrôler le prix des vente, et de manière générale à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant leur hausse ou leur baisse, en particulier des accords entre entreprises à différents niveaux de production ou de distribution visant à la fixation du prix de revente ; - des répartitions des marchés ou des sources d’approvisionnements, en particulier des accords entre entreprises de production ou de distribution portant sur une territoriale absolue ; -des limitations ou des contrôle de la production, des débouchés, du développement technique ou des investissements ; - des discrimination entre partenaires au moyen des conditions inégales pour des prestations équivalentes ; - des subordinations de la conclusion des contrats à l’acceptation, par le partenaires, de prestations supplémentaires, qui, par leur nature ou selon leurs usages commerciaux, n’ont pas de liens avec l’objet de ces contrats ».

126 La note 2 de l’annexe n°1 du Règlement précité dispose à cet effet que, « (…). En ce qui concerne la forme

juridique qu’emprunteront ces actes, la Commission appliquera une interprétation large des notions d’accord, de décisions et de pratiques qui peuvent être regroupés sous le terme ‘‘ententes’’».

127 Voir Mor BAKHOUM, op. cit. p.88.

128 Voir M-C. Boutard LABARDE, G. CANIVET, E. CLAUDEL, V. Michel-Amsellem, J. VIALENS,

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Elle se définit de façon générale comme le lieu de rencontre entre l'«offre et la demande »129. Juridiquement, il est « un espace constitué du territoire des États membres de l'Union européenne, dans lequel la libre circulation est assurée130 ». On peut identifier plusieurs types de marché, d'une part, par des critères d'ordres géographiques et, d'autre part, par secteurs d'activités.

Sur le plan géographique, il existe un marché mondial (mis en place principalement par l'OMC et accessoirement par d’autres organisations internationales), des marchés communautaires (mis en place par les organisations sous-régionales, telles que l'UE, l’UEMOA... etc.) ainsi que des marchés nationaux (ceux des différents États). Ainsi, en droit européen, le législateur employait déjà l’expression « marché commun », puis celle de « marché intérieur » avant que la Commission emploie celle de « marché en cause »131. Le

droit de l’UEMOA semble emprunter cette appréhension de la notion de marché132. Ainsi, le

marché géographique se définit comme « le territoire sur lequel les entreprises concernées contribuent à l'offre de produits et de services, qui présente des conditions de concurrence suffisamment homogènes et qui peut être distingué des territoires limitrophes par le fait notamment que les conditions de concurrence y sont sensiblement différentes »133. On

constate que cette définition législative de l’UEMOA est entièrement inspirée du droit européen134. En outre, la Cour de justice de l' UEMOA a précisé que, « le traité de Dakar

consacre(...) un nivellement par le haut du marché de l'union ; en somme, il s'est produit en quelque sorte un processus de phagocytose du droit national de la concurrence par le droit communautaire qui exerce la plénitude de sa primauté par pure substitution qui ignore toute stratification des marchés nationaux et communautaires »135. Cette appréhension du marché s’éloigne profondément du système de l’UE, puisqu'en effet, la coexistence en matière de droit de la concurrence ne se traduit pas dans l’UEMOA par une juxtaposition d'un droit communautaire et d'un droit national identiques de par leur domaine, mais différents de par leur champs d'application comme c'est le cas en droit européen, qui applique la théorie de la

129 L'offre ou pollicitation se définit comme une manifestation de volonté par laquelle une personne propose à

un tiers la conclusion d'une convention. La demande n'est rien d'autre que les besoins de consommation des ménages.

130 Voir l’article 26 et suivants du TFUE.

131 Pour de plus amples développements, voir André DECOCQ, Georges DECOCQ, op. cit., p.85 et suivantes. 132 Voir note 4 de l’annexe n°1 du Règlement précité relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de

position dominante à l’intérieure de l’union économique et monétaire ouest africaine.

133 Ibid, note 4. Voir, Commission européenne, communication sur la définition du marché en cause aux fins du

droit communautaire de la concurrence, JO, n° C-37 du 9 Dec. 1997, pt. 2.

134 Ibid.

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« double barrière »136. En application de cette théorie, le droit européen de la concurrence aménage une coexistence entre le droit communautaire et les différents droits nationaux, sous réserve des domaines (concentration et aides d’États) qui sont de la compétence exclusive de l’UE et du respect de l'application pleine et uniforme du droit communautaire137. Autrement dit, il y a une coexistence entre les marchés nationaux et celui de l’Union Européenne. Ainsi, il y a d'un coté, le droit communautaire qui s'applique aux échanges intracommunautaires et, de l'autre coté, un droit national applicable dans le territoire des États membres. Cela ressort implicitement dans l'articulation de l'article 101 TFUE qui parle d'ententes « susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet (...) », contrairement à la théorie de la « simple barrière » en vigueur dans le système de l’UEMOA, en vertu de laquelle les entreprises ne sont soumises qu'à un seul droit de la concurrence138. Cela fait

présumer l'intention expresse du législateur de l’UEMOA de suppléer l'absence de dispositions nationales sur la concurrence de certains États membres. Cette théorie a été confirmée par un avis de la Cour de Justice de l'UEMOA du 3/2002/UEMOA139. Cette

différence de formulation entre les deux textes communautaires, même si elle apparaît théoriquement sans importance, pourrait soulever d’importantes difficultés dans la pratique des affaires140. Nous pouvons donc soutenir que sur ce point la législation de l’UEMOA est légèrement en avance par rapport à celle de l’UE et semble tirer les expériences de la jurisprudence européenne.

Sur le plan des domaines d'activités, nous avons une multitude de marchés des différents biens et services (par exemple le marché des finances, des assurances, de la téléphonie, des transports...) qui peuvent aussi se subdiviser de façon verticale ou horizontale. En s'inspirant de la définition de la notion de « marché des produits » donnée par la Commission européenne, le législateur de l’UEMOA dispose qu'il « comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés »141.

Par ailleurs, il y a un intérêt majeur à étudier la notion de « marché » parce qu'en réalité, il est le facteur permettant de déterminer finalement le caractère prohibitif des

136 Mor BAKHOUM, op. cit. p.26-27. 137 Ibid

138 Ibid, p.31.

139 Voir l’annexe n°1 du règlement précité.

140 Voir sur cette question, l'affaire. Walt Wil helm c/Bundeskartellant dans l'arrêt de la CJCE du 13/02/1969. 141 Voir l’annexe n°1 du règlement précité.

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« accords », des « décisions d’association d'entreprises », et des « pratiques concertées ». En effet, on observe qu’en droit l'UE, ce sont les théories de « la territorialité » et de « l'extraterritorialité » qui sont appliquées simultanément, contrairement au droit de l'UEMOA. Même si ces deux théories semblent a priori s’opposer, elles sont en réalité complémentaires. En vertu de la première théorie, les « accords », « décisions d’associations d'entreprises » ou les « pratiques concertées » ne sont pas systématiquement interdits, mais leur interdiction tient compte de leurs effets sur le marché en cause. Cela implique que s’ils n'ont aucun effet qui puisse nuire au fonctionnement normal de la concurrence sur le marché intérieur, ils seront dépourvus de toute sanction et même lorsque ces dites pratiques portent atteinte à une concurrence extérieure ou déséquilibrent l'intérêt économique des consommateurs situés en dehors du marché commun. Dans ce dernier cas, la compétence de contrôle reviendrait aux organes de contrôle étrangers dont le marché a été victime d’acte anticoncurrentiel142. En revanche, en vertu de la deuxième théorie, notamment celle de

l’« extraterritorialité », les organes de contrôle peuvent contrôler des comportements d'entreprises étrangères ayant des effets négatifs sur leur marché commun143. Cette dernière

pratique n’est pas encore en vigueur en droit de l’UEMOA et semble être une bonne mesure pour mieux contrôler les pratiques effectuées à l’extérieur de la zone de l’UEMOA mais susceptibles de porter atteinte à la concurrence sur le marché intérieur.

Les développements précédents nous permettent de bien cerner que les ententes interdites sont, tous faits ou actes (accords, décisions d’associations, pratiques concertées) entre des entités économiques jouissant d’une autonomie économique et juridique, susceptibles d’entraver le jeu normal de la concurrence sur le marché commun. La portée des ententes interdites ayant été cernée, il serait désormais opportun d’examiner les implications de leur interdiction sur la situation des consommateurs.

4- L’implication de l’interdiction des ententes anticoncurrentielles

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