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Paragraphe II- L'interdiction des concentrations d'entreprises

A- La notion de « concentration d'entreprises » en droit de la concurrence

Selon le législateur européen, « une concentration est réputée réalisée lorsqu'un changement durable du contrôle résulte : a) de la fusion de deux ou plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou b) de l'acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant le contrôle d'une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l'ensemble ou des parties d'une ou plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrats ou tout autre moyen »184. Sur

ce point le droit français185 est quasiment similaire au droit européen. Quant au droit de l’UEMOA, il dispose que, « la concentration peut résulter d'une fusion entre deux entreprises indépendantes, d'une acquisition, d'une prise de contrôle ou de la création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome »186. Ensuite c'est la Commission de l'UEMOA dans sa décision n°002/2005/CM/UEMOA qui va préciser la notion d'entreprise commune. Ainsi, il ressort de cette décision que l'entreprise commune187 est toute entreprise soumise à un contrôle exercé

en commun par deux ou plusieurs entreprises économiquement indépendantes les unes des autres188. Enfin, en lieu et place de la notion de « concentration d'entreprises », une partie de

la doctrine africaine parle de « groupe de sociétés »189, une notion qui est méconnue du droit

des sociétés commerciales de l'OHADA190. Au vu des détails des différents textes, nous

pouvons retenir qu'une entreprise commune peut résulter d'une fusion, ou d'une prise de

184 Voir l’article 3 du règlement paragraphe 1 n°4064/89 CE.

185 Voir l’article L. 430-1 du C. com. français, dispose qu'« une opération de concentration est réalisée : 1°

Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes se fusionnent ; 2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises acquièrent directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de partie d'une ou de plusieurs autres entreprises ».

186 Voir l’article 4.3 du règlement 2/2002/UEMOA.

187 Voir le Livre IV de l'acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement

d’intérêt économique de 17 Avril 1993 intitulé « Les liens de droit entre les sociétés ».

188 Voir Pt. 33 de la Décision 002/2002/COM/UEMOA.

189 Voir Abdoulaye SAKHO, Les groupes de sociétés en Afrique : Droit, pouvoir et dépendance économique, éd.

KARTHALA-CRES, 2010.

190 Voir François ANOUKOUHA, Abdoullah CISSE, Ndiaw DIOUF, Josette NGUEBOU TOUKAM, Paul-

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participation, etc., mais il faut nécessairement que l'entreprise commune qui résulte de ces opérations de concentration soit sous le contrôle des précédentes entreprises.

1- Les différentes formes de concentration d'entreprises

Il existe essentiellement deux formes de concentration d'entreprises, à savoir la concentration par la fusion d'entreprises et celle par acquisition d'un contrôle d'entreprises.

S'agissant d'abord de la fusion qui est le modèle idéal de concentration d'entreprises, elle se définit comme l'opération par laquelle deux sociétés au minimum se réunissent pour n'en former qu'une seule, soit par création d'une nouvelle, soit par absorption de l'autre191.

Nous distinguons alors la fusion simple par création d'une entité nouvelle ou la fusion complexe par absorption. Dans le premier cas, il s'agit d'une personne morale nouvelle résultant de la disparition de deux ou plusieurs entreprises. Dans le second cas, l’une des entreprises disparaît pour laisser survivre l'autre, qui incorpore tout le capital de l'entreprise disparue. Outre ces cas de fusions juridiques, l'entreprise commune peut aussi résulter d'une fusion de fait192.

S'agissant maintenant de la seconde modalité de concentration d'entreprises, notamment la concentration par acquisition du contrôle dont dispose le point (b) du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement CE et de l'alinéa 2 de l'article 4. 3 du règlement 2/2002/UEMOA, il convient de souligner qu'il faut d'emblée une influence déterminante d'une entreprise sur l'activité d'une autre antérieurement autonome pour qu'on puisse parler de « contrôle ». Ainsi la pratique décisionnelle a permis à la Commission de l'UEMOA de

191 Voir l’article 189 de l'AUDSCGIE.

192 Voir la communication du 21 février 2009, JOUE page 5, pt. 10 : « Il y a également concentration au sens de

l'article 3, paragraphe 1, point a), du règlement sur les concentrations lorsque, même en l'absence de concentration sur le plan juridique, la combinaison des activités d'entreprise antérieurement dépendantes aboutit à la création d'un seul et même ensemble économique. Il en est ainsi, notamment, lorsque deux ou plusieurs entreprises, tout en conservant leur personnalité juridique propre, établissent, sur une base contractuelle, une gestion économique en commun ou adoptent une structure à double cotation. Si cette opération entraîne une fusion de fait entre les entreprises concernées avec création d'un seul et même ensemble économique, il s'agit d'une concentration. Une condition préalable pour déterminer si nous sommes en présence d'une telle concentration de fait est l'existence d'une direction économique unique et permanente. D'autres facteurs, tels que la compensation des profits et des pertes ou la répartition des recettes entre les différentes entités à l'intérieur du groupe, ainsi que leur responsabilité solidaire ou un partage des risques externes, peuvent aussi entrer en considération. La fusion de fait, si elle peut parfaitement s'appuyer su les simples dispositions contractuelles, peut également être renforcée par les participations croisées entre les entreprises qui constituent l'ensemble économique ».

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circonscrire avec précision la notion de « contrôle ». À cet effet, lors d'une affaire de concentration déjà citée, il a été décidé par la Commission de l'UEMOA que « le contrôle peut découler des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent seul ou conjointement, compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité de l'entreprise »193. Cette conception prétorienne de l’UEMOA sur la notion de

« contrôle » ne s'éloigne pas des définitions législatives européenne et française194. De plus

les législateurs européen et français ont été plus précis en ajoutant que, pour que le contrôle soit effectif, il faut nécessairement « (…) Notamment, des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ; des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise »195. Il ressort des deux derniers alinéas de ce texte que les sources de

« l'influence déterminante » qui caractérisent essentiellement le contrôle sont variables. Elles peuvent, d'une part, provenir des droits de propriété ou de jouissance, d'autre part, provenir de la majorité dans les organes de l'entité qui exploite l'entreprise. Elles peuvent aussi provenir de tout autre moyen196 en dehors des seuls cas listés dans le texte, car le texte en question

emploie l'adverbe « notamment » en début de liste197. En tout état de cause, quels que soient

les moyens ou les sources d'un contrôle, en droit européen et de l’UEMOA, le plus important est que le contrôle soit tenu de façon durable et complète. Ainsi il ressort expressément des derniers alinéas de la législation de l’UEMOA que « (…) la création d'une entreprise commune nécessite l’accomplissement de manière durable de toutes les fonctions d'une entité économique autonome »198. Sur ce point, la doctrine européenne prétend que l'autonomie dont il est question ici s'apprécie au sens économique et non pas dans le sens d’une autonomie juridique, c'est-à-dire l'aptitude à exercer seule l'ensemble des activités qui aboutissent à la mise sur le marché des produits et des services199. À ce niveau la Commission de l'UEMOA a

eu l'occasion lors d'une affaire de concentration précitée de préciser, qu'en fonction de l'objet, on peut distinguer deux types d'entreprises communes. D'une part, une « entreprise commune

193 Voir le point 34 de la Décision 2/2005/COM/UEMOA.

194 Voir Paragraphe 2, al. 1 de l'art. 3 du règlement n°4064/89 CE : « le contrôle peut découler des droits,

contrats ou autres moyens qui confèrent seul ou conjointement, compte tenue des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité de l'entreprise... » et l'art. L. 430-1, paragraphe III du C.com. français.

195 Ibid, al. 2 et 3.

196 Voir la communication du 21 fév. 2009 précitée parle de contrôle à base de contrat ou de dépendance

économique.

197 Voir André DECOCQ et Georges DECOCQ, op. cit., p. 197.

198 Voir l’article 4 point 3 du règlement 2/2002/UEMOA et alinéa 1 de l'article 3 règlement n°4064/89 CE

précité.

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de plein exercice » qui opère sur le marché en y accomplissant les fonctions qui sont normalement exercées par les autres entreprises200. Partant sur ce raisonnement, la Commission de l'UEMOA a décidé que West African Pipeline Corporation (WAPCO) et N-

Gas, créées dans le cadre de la réalisation du projet de Gazoduc de l'Afrique de l'Ouest,

constituent des entreprises communes au sens des textes sus visés. En se prononçant ainsi, la Commission de l'UEMOA a suivi la position de la Commission européenne, précisément dans l'affaire Saint-Gobain/Wacker-Chemie/NOM du 4 décembre 1996201. D'autre part, une

« entreprise commune de nature coopérative » qui a pour objet ou pour effet d'établir entre les entreprises fondatrices ou entre les entreprises fondatrices et les filiales communes, la coordination des comportements202. Cette position de la Commission fait une ouverture vers

une jurisprudence du Conseil d'État français dans l'affaire Société Casino-Guichard

Perrachon du 31 mai 2000203.

Par ailleurs, au-delà des formes de concentration des entreprises, il y a aussi les stratégies ou les techniques d'exercice du pouvoir dans le groupe qui peuvent souvent et surtout causer obstacles au jeu normal de la concurrence.

2- Les différentes techniques d'exercice des pouvoirs dans le groupe

Le pouvoir de marché se manifeste dans les formes et techniques de la concentration204. Ce pouvoir de marché varie en fonction de la technique de concentration qu'utilise le groupe d'entreprises. Nous distinguons autant de types de pouvoir de marché que de types de groupe d'entreprises. Ainsi, nous avons d'abord le « groupe horizontal » qui n'est rien d'autre qu'un regroupement d'activités situées au même stade de production (produits substituts) et détenant parallèlement un « pouvoir horizontal » qui lui permet de fixer un prix de marché proche du prix de monopole205. Ensuite, on a le « groupe vertical », contrairement

au premier cas, il regroupe des activités situées à des stades successifs de production (produits

200 Voir Pt. 36 et 37 de la Décision de l’UEMOA précitée. 201 Voir JOCE n° L 247 du 10 sept. 1997.

202 Voir Pt. 36 et 37 de la Décision UEMOA précitée.

203 Dans cette affaire, le CE a déclaré que « Considérant qu'une filiale commune à plusieurs entreprises ne peut

être regardée comme une concentration au sens des dispositions l'art.39 de l'ordonnance du 1 décembre 1986 que si elle assure de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome ; que le ministre n'a, par suite, commis aucune erreur de droit en se fondant sur le motif que la société Opéra n'était pas autonome de ses maisons- mères dans son fonctionnement quotidien pour conclure que la création de cette société ne constituait pas une concentration ».

204 Voir Abdoulaye SAKHO, op. cit., p. 32. 205 Ibid.

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complémentaires) consistant à contrôler le circuit d'approvisionnement, de production et de distribution206. Il possède un « pouvoir vertical » lui permettant d'assurer la réalisation des opérations d'acquisition des matières premières jusqu'à la distribution du produit fini207. Enfin, nous avons le « groupe conglomérat », qui réunit les activités qui, du point de vue de la demande, ne sont ni des substituts ni des compléments, mais un groupe ayant un « pouvoir conglomérat » consistant à diversifier les produits dans le but de minimiser les risques208.

Ces divers pouvoirs du marché résultant des opérations de concentrations peuvent entrainer un progrès considérable pour l'économie nationale et parallèlement impacter considérablement le bon déroulement du marché commun. D'où la nécessité de les contrôler au niveau communautaire.

B- Un regard croisé sur l'interdiction des concentrations d'entreprises

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