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CHAPITRE VI : LE RESPECT DE CERTAINES VALEURS SOCIALES AU PROFIT DU BIEN COMMUN

6.4 Le rapport entre l’Eglise et l’Etat : autonomie et coopération

6.5.2 Les limites de l’intervention de l’Église dans les affaires politiques

Les chrétiens, en tant que citoyens mus par l’esprit évangélique, peuvent prendre des positions par rapport à l’action du gouvernement. Les actions qu’ils posent en union avec leurs pasteurs, engagent la responsabilité de toute l’Église et doivent être nettement distinguées des actions isolées et individuelles. Dans le domaine politique, cette distinction est très importante et permet de lever toute ambiguïté et toute confusion.

Le concile affirme sans aucun doute possible que l’Église a une mission d’ordre religieux au service d’un humanisme intégral.1095 Cela signifie qu’elle n’entre pas et ne doit

pas entrer dans le jeu des politiciens car elle « n’est liée à aucun système politique, économique ou social, par cette universalité même, elle peut être un lien très étroit entre les différentes communautés humaines et entre les différentes nations, pourvu que celles-ci lui fassent confiance et lui reconnaissent en fait une authentique liberté pour l’accomplissement de sa mission ».1096 Ce qu’elle vise c’est de chercher et de réaliser le développement intégral de l’homme et du bien commun de tous.

Le paragraphe cinq nous sert de conclusion. Ce paragraphe précise que l’Église elle- même « se sert d’instruments temporels dans la mesure où sa mission le demande »1097, parce que le temporel et le spirituel sont intimement liées. Ainsi foi chrétienne et action politique se retrouvent en ce sens que l’Église est incarnée dans l’histoire et dans le temps. C’est ce qui l’amène à se servir des instruments temporels pour manifester la gloire de Dieu et le salut des hommes dont elle a la charge. Toutefois, elle ne doit pas placer son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir politique car elle risque de faillir à sa mission en se compromettant, sans prêcher la foi avec une authentique liberté.1098 L’Eglise est d’autant plus crédible qu’elle

s’impose de respecter les limites de son intervention dans les affaires politiques en vue de sauvegarder l’unité de tous les chrétiens au service du bien commun. Pour cette raison, garder les limites de l’intervention de l’Eglise dans les affaires politiques est une nécessité pour la réalisation du bien commun. Si l’Eglise respecte ses limites, elle est libre d’accomplir

1094 Cf. BENOÎT XVI, Caritas in veritate, n° 1. 1095 Gaudium et spes, n° 42, 2.

1096 JEAN PAUL II, Discours aux membres du corps diplomatique accrédité près du Saint-Siège, janvier 1990. 1097 Gaudium et spes, n° 76, 5.

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convenablement son devoir sans risquer de tomber dans l’ingérence politique mutuelle, comme cela fut le cas de Madagascar.

Conclusion

L’Église est consciente qu’elle a une grande responsabilité à assumer dans le monde en tant que sacrement visible du Christ sur la terre. Grâce à cette prise de conscience, elle arrive à quitter sa conception « neutre » par rapport aux besoins fondamentaux de l’homme au sein de la société. C’est pourquoi elle essaye d’apporter sa contribution à la communauté politique par le biais de la doctrine sociale. Elle est convaincue que pour que le bien commun de tous soit bien assuré, il faut que l’autorité politique qui en est le premier responsable assume sa charge. Car sa raison d’être n’est que de réaliser le bien commun. Cette prise de responsabilité de l’autorité politique doit être toujours accompagnée par le respect profond de la prise en compte des droits humains et de la démocratie. Ces deux valeurs sociales jouent un rôle très important pour la concrétisation du bien commun. Il va de soi que le bien commun ne se réalise jamais sans respecter profondément les droits de l’homme et la démocratie.

Enfin l’Église, en raison même de sa mission reçue du Christ, se sait contribuer et travailler à la recherche de la paix sociale. Elle est consciente que l’action pour la paix n’est jamais dissociée de l’annonce de l’Évangile. Car la paix est inhérente au sacrifice du Christ. Elle est le fruit de la justice et de la charité. Elle est une valeur et un devoir universels.1099 Elle

trouve son fondement dans l’ordre rationnel et moral de la société dont les racines sont en Dieu lui-même.1100 Elle dit que la paix n’est pas simple absence de guerre, mais elle se fonde sur une conception correcte de la personne : le respect de sa dignité requiert l’édification d’un ordre selon la justice et la charité, la coexistence sociale orientée vers le bien commun. La paix est le fruit de l’amour : la paix véritable est plus de l’ordre de la charité que de la justice. C’est la raison pour laquelle l’Église actuelle lutte à tout prix pour faire régner la paix et la justice. Or une paix véritable n’est possible que par le pardon et la réconciliation qui sont les garants de la restauration de l’unité de la nation. Cette contribution de l’Église au service du bien commun ne signifie pas qu’elle s’autorise une ingérence dans les affaires purement politiques. Elle veille soigneusement à préserver son indépendance et son autonomie. Elle assume dans sa totalité sa mission pastorale qui est le domaine de sa vraie compétence. Car elle ne sait agir autrement. Voilà pourquoi elle respecte fermement ses limites.

1099 Cf. JEAN PAUL II, Message Mondial pour la paix, 1986. 1100 Cf. JEAN PAUL II, Message Mondial pour la paix, 1982.

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Conclusion de la deuxième partie

L’Église, en tant qu’institution sociale, a une conscience effective de la valeur inestimable de tout homme et de toute vie humaine. Elle dénonce toutes les atteintes à la dignité de l'homme comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments , sans égard pour leur personnalité libre et responsable.1101 Ce respect de la dignité de la personne humaine est un absolu aux yeux de l’Eglise, car il est impossible de réaliser le bien commun sans respecter la dignité de l’homme.1102 Le respect de la dignité de l’homme ne se réalise que dans la sauvegarde du

principe de solidarité, car l’homme est par nature un être social c’est-à-dire que la socialité de l’homme est un fait naturel.

Le bien commun comprend l’ensemble des conditions qui permettent à la communauté de conserver, d’enrichir et de transmettre son patrimoine tant matériel que spirituel. Il concerne le tout de l’homme et il n’a pour objectif que d’atteindre l’épanouissement intégral de la personne humaine.

La concrétisation du bien commun requiert le respect et la mise en œuvre des principes de solidarité, de justice, de subsidiarité et de participation. Ces principes d’action permettent à chaque individu ou citoyen, aux groupes, aux associations, aux syndicats, en un mot aux corps intermédiaires de la société, de participer activement à la réalisation du bien commun. C’est le principe de subsidiarité qui engage chaque individu à reconnaître les éléments dont il a la responsabilité en tant que disposant d’une capacité d’autonomie propre. Il trace également les limites de l'intervention de l’État. Il vise à harmoniser les rapports entre les individus et les sociétés.1103 Le principe de participation permet aux corps intermédiaires de s’engager dans les affaires publiques et celui de solidarité exhorte la famille humaine à s’entraider en cherchant ensemble le bon chemin pour l’accomplissement du bien commun. Enfin le principe de justice encourage de partager à tous équitablement les biens de la création, selon la règle de la justice inséparable de la charité, étant donné que ceux-ci ne sont pas l’apanage de la minorité. Ce principe permet donc de promouvoir une approche équilibrée de la propriété privée, comme disait Paul VI : « Tous les autres droits, quels qu'ils soient, y compris ceux de propriété et de libre commerce, y sont subordonnés : ils n'en doivent donc pas entraver, mais bien au contraire faciliter la réalisation, et c'est un devoir social grave et urgent de les ramener à leur finalité première ».1104 D’ailleurs le principe de justice garantit également l’existence de la paix. Au premier rang de ces exigences, se situe le maintien de l’ordre public dans la justice et dans la paix, ce qui constitue la mission essentielle de l’État sans laquelle aucune société n’est viable. Cependant la mise en œuvre de ces grands principes

1101 Cf. Gaudium et spes, n° 27.

1102 Cf. A. DESPAIGNE, Comprendre la doctrine sociale de l’Eglise, op. cit., p. 65. 1103 Cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, nn° 1883-1885.

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nécessite le respect de la vérité, de la liberté et surtout de l’amour-charité. C’est l’amour qui incite l’homme à agir et à rendre service à son prochain.

Le concile rappelle la valeur primordiale de la responsabilité de l’autorité politique. Il considère avec la plus grande estime les responsables politiques : « L’Église tient en grande considération et estime l'activité de ceux qui se consacrent au bien de la chose publique et en assurent les charges pour le service de tous ».1105 Elle appelle ces mêmes responsables

politiques à s’engager dans un véritable esprit de service tout en luttant contre certaines tentations, comme le recours à des manœuvres déloyales, au mensonge, au détournement des fonds publics au profit de quelques-uns ou à des fins de clientélisme, l'usage de procédés équivoques et illicites pour conquérir, maintenir et élargir le pouvoir à tout prix.1106 Ce service que l’autorité politique est appelée à rendre au peuple, doit aussi mettre l’accent sur le respect et l'attention des plus faibles. C’est ce qui donne son véritable caractère humain à toute société ou groupe social. Par son enseignement social, l'Église «…désire seulement un État humain. Un État qui reconnaisse que son premier devoir est la défense des droits fondamentaux de la personne humaine, spécialement les droits du plus faible ».1107

La protection de ces droits est l’expression de la prise en considération de la démocratie qui est à la fois considérée comme garante du pluralisme et source de la contribution de tous les citoyens au profit du bien commun. Nul ne peut être exclu de coopérer dans le processus de la concrétisation du bien commun du peuple1108, c’est-à-dire toutes les institutions sociales existantes au sein de la société, y compris l’Eglise sont impliquées.

Quelle que soit l’importance de la contribution de l’Église au service du bien commun, celle-ci demande à être exercée avec prudence. Car un impératif s’impose à l’Eglise : veiller à garder son indépendance et son autonomie par rapport à la communauté politique. Il va de soi que l’Église, tout particulièrement les évêques et les prêtres, en vertu de leur propre charge et de leur mission, garde toujours une neutralité politique. L’unité des chrétiens dont ils sont les pasteurs est à préserver avant tout. L’Église, en plus, évite de s’engager dans des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence. C’est, selon le Compendium, en s’engageant ainsi au service de l’humanité au sein de laquelle elle vit, que l’Eglise déploie le plus adéquatement tous les éléments nécessaires à la réalisation du bien commun.

Par rapport aux principes d’actions et aux valeurs de références sociales définis par le

Compendium, en tant que bons outils servant l’Eglise dans le cadre de la mise en œuvre d’une

nouvelle évangélisation du social, comment l’Église catholique à Madagascar, face aux problèmes sociopolitiques, économiques, religieux et même environnementaux, peut-elle améliorer encore sa manière de voir, de juger et d’agir en vue de concrétiser le bien commun. Est-il indispensable pour l’Eglise catholique à Madagascar d’avoir une nouvelle vision de la

1105 Gaudium et spes, n° 75, 1.

1106 Cf. JEAN PAUL II, Christifideles laici, n° 42. 1107 JEAN PAUL II, Evangelium vitae, n° 101.

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pratique pastorale sociale afin de pouvoir mieux servir au bien commun ? C’est ce que la troisième partie de notre dissertation va s’employer à traiter.

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