• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE VI : LE RESPECT DE CERTAINES VALEURS SOCIALES AU PROFIT DU BIEN COMMUN

6.2 La sauvegarde des droits humains

6.2.2 La conception de la doctrine sociale de l’Église sur les droits humains

La réflexion chrétienne s’est attachée à préciser la nature et la force des droits de l’homme, bien avant l’aube de la Révolution française. Les étapes les plus significatives en sont : la théologie scolastique, l’Ecole de Salamanque (XVIe s) et l’Ecole hollandaise du droit naturel (XVIIe s.), enfin la doctrine sociale de l’Eglise (XIXe et XXe siècles). Les droits de l’homme ont fait l’objet de plusieurs déclarations solennelles (1789 et 1948).960 Hier on

disait : les droits naturels ; aujourd’hui, on préfère parler des droits de la personne ou des droits humains. Le mot change, non point la réalité.

Toutefois, quand il s’agit de la position de l’Eglise catholique par rapport à la Déclaration universelle des droits de l’homme, il faut bien reconnaître qu’au début elle était réticente en raison du caractère anticlérical et même antichrétien de la Révolution française. C’est seulement à partir de la deuxième moitié du XXe siècle que l’Eglise catholique reconnaît la valeur substantielle des droits de l’homme.961 Plusieurs encycliques des papes et

constitutions de l’Eglise témoignent de cette reconnaissance. La Constitution pastorale

Gaudium et spes consacre un chapitre entier pour parler et expliquer l’importance des droits

de l'homme. Jean XXIII, dans son encyclique Pacem in terris, affirme que la Déclaration universelle des droits de l’homme est l’un des actes les plus importants accomplis par l’ONU.962 Il ajoute ensuite : « Nous considérons cette déclaration comme une première étape

vers l'établissement d'une organisation légale et politique pour la communauté du monde ».963 Mais se pose la question : Pourquoi l’Eglise catholique reconnaît-elle les droits humains ? La réponse qu’elle apporte est assez simple. Sa réflexion part de la création de l’homme à l’image de Dieu et selon sa ressemblance. L’homme en tant qu'être créé à l’image de Dieu, dit saint Thomas, est considéré comme « id quod est perfectissimum in tota natura » ce qui se traduit, « ce qui est le plus parfait dans toute la nature ».964 Cet homme en question a une dignité. Et celle-ci est inviolable parce qu’elle ne dérive ni de l'État ni d'une autre autorité humaine, qu’elle est inhérente à la nature de la personne elle-même. C’est dans ce sens que l’Eglise reconnaît l’égale et infinie dignité de tous les êtres humains. Cette reconnaissance est au cœur de sa foi.965 Par rapport à la reconnaissance de l’Eglise des droits de l’homme, Jean

XXIII rappelle que le bien commun réside surtout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine ; dès lors « le rôle des gouvernements consiste à garantir la reconnaissance et le respect des droits, leur conciliation mutuelle, leur défense et leur expansion ».966 Ces droits que l’Etat doit défendre sont universels, inviolables et

inaliénables.967 C’est dans ce sens que nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas de

960 Cf. J.-L. BRUGUÈS, Précis de théologie morale générale, op. cit., p. 154.

961 Cf. L. LEMOINE, Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, op. cit., p. 662. 962 JEAN XXIII, Pacem in terris, n° 47.

963 Ibid.

964 Somme théologique, IIae, q. 29, a.3.

965 Cf. J. GENEVIEVE, Les droits de l’homme et l’impunité des crimes économiques, op. cit., p. 44. 966 JEAN XXIII, Pacem in terris, n° 60.

166

développement possible et de réalisation du bien commun sans protéger et respecter les droits de l’homme.

Travailler pour le respect des droits humains fait partie intégrante du message de l’Evangile. La deuxième assemblée du Synode des évêques pour l’Afrique en 2009 a souligné que la lutte pour le respect des droits humains est intrinsèquement liée à la poursuite de la lutte pour la justice. Travailler pour faire régner la justice c’est travailler pour faire régner les droits de l’homme. Ainsi justice et droits de l’homme sont inséparables.968 Combattre pour la

justice signifie lutter pour la libération des pauvres. C’est dans ce sens-là que le pape François invite «…chaque chrétien et chaque communauté à être instrument de Dieu pour la libération et la promotion des pauvres ».969 C’est pour ce travail de libération que l’Eglise fait appel à tous les groupes de chrétiens, leur confiant l’option préférentielle pour les pauvres. Libérer les pauvres de toutes sortes d’oppression donne naissance à la théologie de la libération en Amérique latine. La Déclaration universelle des droits de l’homme, dans son préambule, confirme que la réalisation des droits humains implique la libération de l’homme de la terreur et de la misère.970 Pour l’Eglise, ce travail de libération est fondé sur l’amour et la fidélité de Dieu, révélés en Jésus Christ. Afin de le réaliser, Paul VI, dans son exhortation Evangelii

nuntiandi, réaffirme : « L’Église a un devoir d'annoncer la libération à des millions d'humains,

dont un grand nombre sont ses enfants spirituels. Elle a un devoir de promouvoir cette libération, de témoigner, et de faire tout en son pouvoir pour la réaliser entièrement ».971

A son tour, Jean Paul II confirme que, sans aucun doute, la Déclaration universelle des Droits de l'homme de 1948 ne présente pas les ultimes fondements anthropologiques et éthiques des droits humains que l’Eglise proclame. Dans ce domaine, « l'Église catholique a une contribution irremplaçable à apporter, car elle proclame que c'est dans la dimension transcendante de la personne que se situe la source de sa dignité et de ses droits inviolables ».972 C'est pour cette raison que l'Église a favorablement accueilli la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies, approuvée lors de l'Assemblée générale du 10 décembre 1948. Elle est en effet profondément convaincue qu’elle a le devoir de travailler au service des droits humains en vertu de sa foi et sa mission. En même temps, elle proclame que la dignité de la personne, qui a son fondement dans sa qualité de créature faite à l'image et à la ressemblance de Dieu, doit être respectée.973 Pour Jean Paul II, la reconnaissance de ce fondement anthropologique et éthique des droits humains est la meilleure protection contre toute violation et abus de ceux-ci. Le plus fondamental des droits humains est, disait-il, le respect du droit à la vie, parce que le pontife polonais effectivement convaincu que «…la vie humaine est sacrée et inviolable dès sa conception à sa fin naturelle. De même qu'une vraie culture de la vie garantit le droit de venir au monde à celui qui n'est pas encore né, de même elle protège les nouveau-nés, en particulier les filles, du crime

968 Cf. Deuxième assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques, L’Eglise en Afrique au service de la

réconciliation, de la justice et de la paix, n° 15.

969 PAPE FRANCOIS, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n° 187.

970 Cf. J. GENEVIEVE, Les droits de l’homme et l’impunité des crimes économiques, op. cit., p. 48. 971 PAUL VI, Evangelii nuntiandi, n° 37.

972 JEAN PAUL II, Discours au corps diplomatique, novembre 1989, n° 7. 973 Cf. ibid.

167

d'infanticide. Pareillement, elle assure aux porteurs de handicap le développement de leurs potentialités, et aux malades et aux personnes âgées, des soins adaptés ».974

Jean Paul II met aussi l’accent sur le respect profond des autres droits qui sont directement liés à la vie sociale de l’homme en vue de l’épanouissement intégral de la personne humaine et du bien commun de tous. Ces droits dont il parle dans ses encycliques, sont le droit à ne pas être discriminé pour des motifs de race, de langue, de religion et de sexe ; le droit à la propriété privée, qui est valable et nécessaire, mais qui ne doit jamais être séparé du principe plus fondamental de la destination universelle des biens975 ; le droit à la liberté d'association, d'expression et d'information, toujours dans le respect de la vérité et de la dignité des personnes ; le droit de participer à la vie politique dans le but de promouvoir organiquement et institutionnellement le bien commun976 ; le droit à l'initiative

économique 977; le droit à l'éducation et à la culture978; le droit au travail et les droits des travailleurs. Enfin le droit au logement, c'est-à-dire le droit au logement pour chaque personne avec sa famille. Pour Jean Paul II, ce droit tient une grande place parce qu’il est un bon outil pour la famille afin de lutter contre les usurpations intolérables de la société et de l'État.979

Jean Paul II évoque également l’importance du droit à la liberté religieuse lorsqu’on parle des droits de l’homme. Car le droit à la liberté religieuse est, dit-il, effectivement lié au respect fondamental des droits humains fondamentaux.980 Il est considéré comme base de tous les droits reconnus par la Déclaration universelle des droits de l'homme981 et par la Convention sur les droits de l'enfant.982 Le droit à la liberté religieuse n'est pas simplement un droit parmi les autres droits humains, mais il est celui auquel tous les autres se réfèrent, car la dignité de la personne humaine a sa première source dans le rapport essentiel avec Dieu. Cette dignité tire son origine de la création de l’homme à l’image et à la ressemblance à Dieu. C’est grâce à cela que l’homme est capable d’être en relation non seulement avec ses semblables mais aussi avec Dieu. Donc s’il est capable d’être en relation avec Dieu, il va de soi qu'il a la liberté de choisir la religion à laquelle il veut appartenir.

C’est dans cette perspective de Jean Paul II que Benoît XVI nous rappelle que le droit à la liberté religieuse exprime à la fois le droit sacré de l’être humain à la vie et à une vie spirituelle.983 Il ajoute encore qu’il n’est pas possible pour l’homme de trouver des réponses aux interrogations de son cœur sur le sens de la vie, si on ne reconnaît pas son être spirituel et son ouverture à la Transcendance. Sans liberté religieuse les droits humains sont violés et bafoués. Dans cette mesure s’il y a violation de ces droits, la réalisation du bien commun est aussi remise en cause. Donc pour que le bien commun soit bien réalisé, il faut que les droits

974 JEAN PAUL II, Message pour la Journée mondiale de la Paix, 1999, n° 4. 975 Cf. JEAN PAUL II, Sollicitudo rei socialis, n° 15 ; Centesimus annus, n° 15. 976 Cf. JEAN PAUL II, Christifideles laïci, n. 42.

977 Cf. JEAN PAUL II, Centesimus annus, n. 6 ; Sollicitudo rei socialis, n° 42

978 Cf. JEAN PAUL II, Discours pour l’Année mondiale de l’alphabétisation, 3 mars 1990. 979 Cf. JEAN PAUL II, Familiaris consortio, n° 46.

980 Cf. JEAN PAUL II, Discours au corps diplomatique, 1989, n° 6. 981 Cf. Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 18. 982 Cf. Convention sur les droits de l’enfant, art. 14.

168

de l’homme soient respectés. Cela signifie qu’il y a un rapport entre droits de l’homme et bien commun.

Outline

Documents relatifs