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ÉTHIQUE SOCIALE ET REALISATION DU BIEN COMMUN SELON LE COMPENDIUM DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’EGLISE

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Introduction de la deuxième partie

Dans la première partie, nous avons présenté les analyses et les descriptions des causes de l’échec du bien commun à Madagascar. Nous avons évoqué le fait que la première cause de cet échec était les violations des principes de l’éthique politique par les politiciens et surtout les dirigeants au pouvoir. Ces violations entraînent le non-respect des principes de la démocratie : celui de solidarité, de justice, de subsidiarité, de participation, des droits humains et de justice sociale ainsi que celui de séparation du pouvoir entre les Eglises et l’Etat. La violation de cette dernière est la raison principale de la confusion au niveau des prises de décision de l’une et l’autre : en raison de cette confusion, ni l'un ni l'autre n’est capable d’accomplir sa mission propre. Ces violations ont des impacts négatifs sur tous les plans : politique, économique, social, religieux et environnemental. Il n’est pas donc étonnant si la réalisation du bien commun est un fiasco.

De ces problèmes complexes, toutes les institutions sociales au sein de la société malgache, y compris l’Eglise, sont responsables. Par rapport à cette responsabilité, l’Eglise catholique a-t-elle donc des principes permettant de sortir de cette impasse ? Oui, il est clair qu’elle a la doctrine sociale, qui est la seule discipline qui s’occupe de la pastorale sociale.618

Sa raison d’être est d’étudier, de proposer et définir des principes619 vis-à-vis de la réalité

complexe de la société. Elle est une branche de la théologie morale qui étudie ainsi : «…les actes humains pour les conformer aux valeurs qui contribuent à l’épanouissement intégral de l’homme et cela à la lumière de la révélation ».620 Au sein de cette discipline, il y a un lien

intrinsèque entre morale individuelle et morale sociale. Ce lien a un fondement anthropologique : l’homme est une personne dont l’agir a une dimension sociale.621 C’est

cette dimension sociale de l’homme qu’éclaire la doctrine sociale de l’Eglise. Celle-ci concerne la vie sociale de l’homme. Elle ne se situe pas au même rang que les doctrines centrales de la foi concernant la Trinité, l’Incarnation, la Rédemption, les sacrements, l’Eglise et les fins dernières.622

J.-Y. Calvez en parlant de « doctrine sociale »623, tant au sujet de la théologie de la libération que de la théologie politique, met les assertions sociales du christianisme au rang de la théologie même.624 Pour René Coste, cité par J.-Y Calvez, l’important n’est pas le choix du terme mais son contenu. Il en ressort que les termes doctrine sociale ou enseignement social sont des propositions critiques de la vie en société que l’autorité ecclésiale formule au nom d’une sagesse puisée dans la lumière de l’Evangile.625 Jean Paul II, à son tour, parle de

doctrine626, terme qui s’impose en définitive de lui-même. Le terme doctrine évoque le

caractère stable et dogmatique des positions de l’Eglise en matière sociale. Il évoque aussi le caractère central des réflexions sociales : elles ne sont pas un complément accessoire. Il est

618 Cf. Compendium de la doctrine sociale, n° 10.

619 Cf. J. THORAVAL, Pensée et action sociales de l’Eglise, op. cit., p. 20.

620 S. PINCKAERS, Les sources de la morale chrétienne. Sa méthode, son contenu, son histoire, Cerf, Paris, 2007, p. 17. 621 Cf. ibid., p. 60.

622 Cf. R. MINNERATH, Doctrine sociale de l’Eglise et bien commun, Beauchesne, Paris, 2010, p. 12.

623 Cf. J.-Y. CALVEZ, Chrétiens penseurs du social. Après le Concile « 68 » (1968-1988) Cerf, Paris, 2008, p. 143. 624 Cf. ibid.

625 Ibid., p. 138.

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vrai, dit-il encore, que : «…l'Eglise ne propose pas des systèmes ou des programmes économiques et politiques, elle ne veut pas énoncer une idéologie de plus : pourtant, elle a une parole à dire sur la nature, les conditions, les exigences et les fins du développement authentique et aussi sur les obstacles qui l'entravent, cette parole constituant sa doctrine sociale ».627 C’est la raison pour laquelle J.-Y Calvez confirme que le terme doctrine sociale a connu une revalorisation officielle en vertu des prises de position de Jean Paul II.628

Avant le Concile Vatican II, les grandes lignes de l’enseignement social catholique étaient basées sur la conviction que la raison humaine est la seule apte à déchiffrer les principes fondamentaux de ce qui est bien pour l’homme.629 De Léon XIII à Jean XXIII, la

doctrine sociale a comme fonction la réflexion critique sur les institutions économiques, politiques et sociales. L’enseignement social se réfère beaucoup à la « loi naturelle »630 tandis

que les références scripturaires sont peu nombreuses.631 Après Vatican II, dans son enseignement social, l’Eglise fait appel à la fois à la raison et à la foi, au droit naturel et à la révélation.632 Comme le souligne Benoît XVI, cité par Roger Baudoin, les deux dimensions rationnelle et spirituelle doivent demeurer associées dans le discours social de l’Eglise : « L’appel à la raison le rend compréhensible par tous ; l’appel à la foi purifie la raison et nourrit le dynamisme spirituel nécessaire à sa mise en œuvre concrète ».633 Cela signifie qu’à

partir de Vatican II, la réflexion de la doctrine sociale de l’Église unifie davantage les plans temporels et spirituels, avec de fréquents appuis scripturaires et une dimension théologique très présente.634 Dans cette visée, la constitution pastorale Gaudium et spes présente le regard de l’Église sur le monde dans une perspective où les dimensions temporelles et spirituelles sont unifiées.635

Paul VI, dans l’encyclique Populorum progressio de 1967, lutte contre une conception purement économique du développement. Pour être authentique, celui-ci doit être intégral, c'est-à-dire promouvoir « tout homme et tout l'homme ».636 Le développement intégral humain vise un épanouissement qui implique que l’homme soit plus instruit pour devenir capable d’être l’agent responsable de sa situation matérielle, «…de son progrès moral et de son épanouissement spirituel ».637 Jean Paul II met en évidence l’articulation centrale : la

627 JEAN PAUL II, Sollicitudo rei socialis, n° 41.

628 Cf. J.-Y. CALVEZ, Chrétiens penseurs du social. Après le Concile, op. cit., p. 127.

629 J.-Y. CALVEZ et A. KRASSIKOV, Eglise et Société. Un dialogue Orthodoxe Russe-Catholique Romain, Cerf, Paris,

1999, p. 92.

630 La pensée grecque, reprise par la pensée sociale catholique, appelle cet ordre de valeurs humanisantes la loi naturelle.

Celle-ci peut être appréhendée comme la loi non écrite qui est inhérente à ce qui est proprement humain. Elle est ce que la raison discerne comme juste et bon pour tous les hommes. Ce qu’on appelle loi naturelle « n’est pas la loi de la nature physique, qui décrit un ordre immuable de relations contraignantes. Elle n’est pas aussi synonyme de loi biologique, car l’être humain ne se réduit pas à ses conditionnements biologiques. Elle n’est pas la loi positive de telle ou telle société. La loi naturelle est de type éthique. Elle est la dynamique qui porte l’homme à réaliser sa propre finalité. Affirmer qu’il existe une loi naturelle, c’est affirmer qu’il existe un ordre éthique à discerner ». R. MINNERATH, Pour une éthique sociale

universelle, op.cit., p. 23.

631 Cf. R. BAUDOIN, Doctrine sociale de l’Eglise, une histoire contemporaine, Cerf, op. cit., p. 23.

632 Cf. J.-Y. CALVEZ et A. KRASSIKOV, Eglise et Société. Un dialogue Orthodoxe Russe- Catholique Romain, op. cit.,

p. 92.

633 R. BAUDOIN, Doctrine sociale de l’Eglise, une histoire contemporaine, op. cit., p. 23. 634 Cf. ibid.

635 Cf. Gaudium et spes, n° 1.

636 Cf. PAUL VI, Populorum progressio, n° 14. 637 Cf. ibid., n° 34.

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personne humaine et sa vocation naturelle et surnaturelle, dont la vérité s’éclaire en référence à la personne du Christ. Il situe pleinement cette perspective, en donnant une large place à une anthropologie qui est à la fois personnaliste et théologique.638 Si Jean-Paul II met la personne humaine au centre de sa réflexion et de la doctrine sociale, Benoît XVI en un regard complémentaire mettra l’accent sur l’amour et la charité. La charité est la force qui permet à l’homme de vivre ce don dans les différents domaines de son existence, dit-il, elle est la «…force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière ».639 Tout cela est le contenu de la doctrine sociale de l’Eglise que reformule d’une manière plus synthétique et approfondie le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise catholique.

C’est pourquoi, dans cette deuxième partie de travail, nous essayerons de présenter les principes de l’éthique du bien commun selon la doctrine sociale. Et ce, en tenant compte de la responsabilité sociopolitique de l’Église en vue de la réalisation du bien commun. La question qui se pose ici est de savoir si la mise en œuvre des principes de l’éthique du bien commun est vraiment nécessaire à la concrétisation du bien commun. Ces principes facilitent- ils l’agir politique de l’Eglise en faveur du bien commun, avec les limites qu’elle doit s’imposer ?

Cette deuxième partie comporte trois chapitres. Le premier est consacré à la présentation des fondements éthiques du bien commun : nous essaierons d’y donner les différents points de vue sur ce qu’on entend d’abord par dignité de la personne humaine et tous les éléments qui la constituent. Ensuite encore dans ce chapitre 4, nous allons montrer ce qu’on entend par bien commun selon la conception des différentes doctrines et auteurs, tout particulièrement selon la conception du Magistère de l’Eglise catholique.

Puis, le deuxième chapitre consistera à exposer que le bien commun ne se réalise que par le respect de la pratique des principes d’action de la doctrine sociale. Ces principes englobent ceux de solidarité, de justice et de participation, et également de subsidiarité. Cependant il ne faut pas oublier que la mise en œuvre de ces principes a effectivement besoin du respect des valeurs de référence : la vérité, la liberté et surtout la charité ou l’amour. Tout cela est une condition sine qua non pour la réalisation du bien commun.

Enfin, le troisième chapitre présentera d’abord la vision politique de Vatican II, puis la conception la doctrine sociale de l’Eglise sur le fondement et la finalité des rôles de l’autorité politique. Dans ce chapitre également, nous tâcherons d’exposer les droits de l’homme et de la démocratie, en montrant pourquoi l’Eglise catholique est intransigeante sur le respect des droits humains et sur la mise en œuvre de la démocratie, et pourquoi également la doctrine sociale a mis l’accent sur la nécessité du respect des droits humains et de la démocratie comme condition sine qua non pour la réalisation du bien commun. En conclusion de ce dernier chapitre de la deuxième partie, nous présenterons l’Eglise en tant qu’institution sociale autonome et indépendante qui doit apporter sa contribution en promouvant le développement et l’épanouissement intégral de la personne humaine, c’est-à-dire le bien commun. Pour cette

638 Cf. I. BERTEN, Enterrée, La doctrine sociale ? Actes de la session pour membres des équipes d’aumôneries près des

mouvements, Lumen vitae, Bruxelles, 2009, p. 19.

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raison, elle participe activement à l’œuvre sociopolitique pour la paix. Cependant l’intervention politique de l’Eglise au sein de la société a des limites car elle ne peut pas agir au-delà de ses compétences.

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CHAPITRE IV : LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DU BIEN COMMUN

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