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CHAPITRE III : LES VIOLATIONS DES PRINCIPES DE L’ETHIQUE POLITIQUE Introduction

3.1 Les comportements des politiciens et de l’autorité politique

3.1.3 La corruption et l’affairisme

Corruption et affairisme ne sont pas des éléments nouveaux, ni des pratiques propres à Madagascar. Dans certains pays, ce taux de corruption est bas, dans d’autres, il est élevé. Corruption et affairisme existent autant dans les pays développés que dans ceux en voie de développement. Pourquoi la corruption et l’affairisme n’empêchent pas certains pays de se développer, alors que Madagascar trébuche sur ces obstacles qui obèrent son développement et conduisent à l’échec du bien commun ?

3.1.3.1 La corruption435

La lettre de la Conférence épiscopale de Madagascar affirme : « Qui dit corruption, dit détérioration, pourriture, que ce soit au physique, au moral ou sous l’aspect social. La corruption se révèle de différentes manières et elle atteint presque tous les aspects de la vie. Elle est connue sous différents noms spécifiques (spéculation, clientélisme, népotisme…) qui ont chacun leur particularité mais qui ne sont en réalité qu’un aspect de la corruption. On peut regarder également comme des aspects de la corruption tout comportement malveillant qui porte préjudice aux autres tels que la fraude, le vol, les pillages tant en ville qu’en campagne, le détournement de fond public, le blanchiment d’argent sale ».436

La corruption est un des fléaux qui plombe le décollage d’un pays à tout point de vue. Tout le monde en est conscient, nationaux comme étrangers.437 Elle est définie, en général,

comme l’abus d’une fonction publique à des fins d’enrichissement personnel. Le conseil de l’Europe entend par corruption le fait de solliciter, d’offrir, de donner ou d’accepter directement ou indirectement, une commission illicite, ou un autre avantage indu ou la promesse de tel avantage indu qui affecte l’exercice normal d’une fonction ou le comportement requis du bénéficiaire de la commission illicite, ou de l’avantage indu ou de la promesse d’un tel avantage indu ».438

434 Cf. E. JOVELIN, Le travail social face à l’interculturalité, comprendre la différence dans les pratiques

d’accompagnement social, L’Harmattan, Paris, 2013, p. 219.

435 Cf. Lettre de la Conférence épiscopale de Madagascar, La lutte contre la corruption et la promotion de la justice, in ESM,

Vol. VI (2001-20059), pp. 23-69.

436 Ibid., p. 27.

437 Cf. A. RAMAROLAHIHAINGONIRAINY, La corruption à Madagascar, Journal Tribune Madagascar, 19 mai 2011, p.

3. Disponible sur : hptt/www.Madagascar-tribune.com.corruption-madagascar. Consulté le 17 juin 2012.

438 Rapport présenté au Conseil Supérieur de Lutte contre la Corruption (CSLCC) Antananarivo Madagascar, par Casals &

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En ce qui concerne Madagascar, la notion de corruption recouvre la concussion, l’ingérence, le favoritisme, la corruption proprement dite et le trafic d’influence, infractions qui se sont dangereusement généralisées, non seulement au sein des pouvoirs et entreprises publiques mais également au sein du secteur privé, au point d’être qualifiées de fléau national. Le code pénal définit la corruption ainsi : « Quiconque aura sollicité ou agréé des offres ou des promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents pour, étant investi d’un mandat électif, fonctionnaire public de l’ordre administratif ou judiciaire, militaire ou assimilé, agent ou préposé d’une administration publique ou d’une administration placée sous contrôle de la puissance publique, ou un citoyen chargé d’un ministère de service public, faire ou s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste ou non, mais non sujet à salaire ».439 De même, il y a aussi corruption lorsqu’un « employé ou préposé, salarié ou rémunéré sous une forme quelconque, soit directement, soit par personne interposée, aura à l’insu et sans le consentement de son patron, soit sollicité ou agréé des offres ou promesses, soit sollicité ou reçu des dons, présents, commissions, escomptes ou primes pour faire ou s’abstenir de faire un acte de son emploi ».440

L’organisation Transparency vient de publier son rapport 2011 sur la corruption dans le monde. Elle constate que Madagascar a amélioré sa lutte contre la corruption, car le pays est désormais classé 100e alors qu’il était 123e en 2010, 106e en 2009 et 115e en 2008. Nous avons maintenant un score de corruption de 3,0 alors qu’il était de 2.6 auparavant. Mais il reste encore beaucoup de progrès à faire par rapport à nos voisins, car l’île Maurice est classée 46ème, les Seychelles 50ème.441 Malgré tout, la corruption constitue à Madagascar un

phénomène social suffisamment grave et préoccupant qui dérègle profondément le fonctionnement normal de l’administration ainsi que des entreprises publiques, et porte gravement atteinte à l’image des fonctionnaires de l’État.

Face à ce constat actuel, la Loi sur la lutte contre la corruption s’inscrit dans le cadre du programme d’action prioritaire entrepris par le gouvernement, en vue d’un renforcement de la bonne gouvernance, de l’instauration de l’État de droit et de la protection des droits humains. Malgré la présence de cette loi, il est difficile de lutter contre la corruption à Madagascar, et cette loi reste assez impuissante par rapport aux actes répréhensibles de la corruption. Si les auteurs de la corruption ne sont pas tenus comme coupables, du moment que les victimes se sentent impuissantes à réagir, les pratiques en question entrent de nouveau dans la catégorie des actes légaux, ou considérés comme légaux parce que consacrés par la coutume. De plus, la corruption dont on parle affecte déjà les couches les plus profondes de la société et de l'économie et détériore la vie économique du pays.

Dans ces conditions, certaines personnes abusent de la population, surtout si elles occupent un poste tant soit peu important. Cela peut être une simple brigade qui surveille un député insignifiant ou même une personne riche qui impose sa loi. Ce qui est dramatique, c’est que la population du monde rural se retrouve dans un état de précarité extrême à cause de cette corruption. On laisse délibérément les gens dans l’ignorance pour mieux les exploiter.

439 Cf. Article 177 du Code pénal malgache sur la lutte contre la corruption, Loi n°2004-030. 440 Cf. ibid., Loi n° 2004-031.

441 Cf. Conférence présidée par S. GANEDIE, Madagascar, amélioration de la lutte contre la corruption en 2011,

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Dans ce domaine, le bilan plutôt favorable de la confiance faite aux institutions contraste fortement avec la perception d’une corruption endémique qui affecte tous les rouages de l’administration économique et de la sphère politique. La police, puis les juges et magistrats, les agents des impôts et des douanes, ainsi que les députés, sont dénoncés par la population comme les plus corrompus.442 Mais ce qui est dramatique c’est que certains jugements reposent moins sur l’intime conviction des magistrats que sur le poids de l’argent. Tout dépend de celui-ci. Si on veut ne pas faire traîner ou faire accélérer le traitement des dossiers, il faut faire appel à la corruption, qui devient comme une pratique légale.

Les victimes principales de la corruption sont les contribuables. Ceux-ci subissent au moins deux prélèvements: ils doivent s'acquitter des impôts et des taxes prévus par la loi, et débourser des sommes parfois importantes aux agents corrompus.443 La corruption gagne du

terrain à Madagascar. Ce qui est désolant, c’est de penser que c’est quelque chose de normal. Chaque fois qu’on veut entreprendre la déposition, la préparation, la demande de dossiers, au niveau de l’administration publique ou du bureau de l’équivalence, cela implique, pour que le dossier ne s’enterre pas, un « pourboire ».444

En outre, au-delà de la corruption administrative, l’augmentation des crimes financiers en tous genres est qualifiée d’inimaginable par un magistrat. Pourtant leurs auteurs sont rarement inquiétés. Par conséquent, ceux qui sont chargés d’enquêter sur les abus semblent aujourd’hui désarmés et découragés et se contentent de menaces pour ne pas être ridicules lorsque leurs décisions ne sont pas appliquées. La corruption dans le milieu judiciaire aurait repris de plus belle.445

En fait, la corruption dont on parle est un obstacle majeur à la réalisation du bien commun. Car tous les secteurs existants au sein de la vie sociale sont affectés par la corruption. Il est difficile de penser qu’il y ait un développement social intégral, si la corruption existe et persiste encore. Donc si les Malgaches veulent sortir du gouffre de la pauvreté, il faudrait qu’ils fassent des efforts pour diminuer et faire disparaître petit à petit la corruption. Par quel moyen peut-on sortir de l’impasse ? Tout d’abord, l’État en tant que premier responsable du pays doit agir. Un des facteurs qui contribue au développement de la corruption est assurément le poids de l’État dans la vie économique et sociale. Plus l’État intervient, dit Randriambelomiadana, plus les lois et les règlements se multiplient. Plus les textes foisonnent, plus il y a matière à corruption. L’administration chargée d’appliquer les règlements, « prend un malin plaisir à vous les imposer, tout en moyennant la décision de faire ou de s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi ». 446

Enfin, si l’État veut supprimer petit à petit la corruption, il faut qu’il trouve un bon moyen pour payer des salaires appropriés à tous les agents de l’administration publique. Si la corruption s'est étendue, c’est parce que la majorité des Malgaches se sont appauvris, surtout

442 Cf. Rapport présenté au Conseil Supérieur de Lutte contre la Corruption (CSLCC) Antananarivo Madagascar, mars 2006.

Cf. R. ANDRIAMBELOMIADANA, Libéralisme et développement à Madagascar, op. cit., p. 31.

443 Cf. ibid., p. 32.

444 Cf. R. RALIBERA, Souvenirs et témoignages malgaches, op. cit., p. 115.

445 Lorsqu’ils sont arrêtés, bon nombre paieraient le représentant du pouvoir central et seraient alors relâchés. Cf. Entretien de

Crisis Group Magistrat, Juillet 2010.

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la classe moyenne, c’est-à-dire les agents de la fonction publique. L’inflation a rongé leur pouvoir d’achat sans que l’employeur, l’État, puisse ajuster leur rémunération. « Supprimons donc la pauvreté, la corruption disparaîtra ».447 Néanmoins, il ne suffit pas de donner des salaires appropriés, il faut aussi appliquer très sévèrement, sans exception, toutes les lois concernant la corruption. La faiblesse des sanctions contre les corrupteurs est cause de la corruption aujourd’hui.

L’affaiblissement du pouvoir caractéristique de la période de transition et la volonté des autorités d’empêcher les institutions de jouer leur rôle favorisent un sentiment général d’impunité. Alors qu’auparavant, le tenant du pouvoir avait centralisé les décisions financières et instauré un système dans lequel seuls ceux qui y étaient expressément autorisés osaient agir sous peine de subir ses foudres ou de faire l’objet d’une investigation des Bureaux indépendants anti-corruption tels que le BIANCO et le SAMFIN, la faiblesse du régime en place a fait tomber ces barrières. De l’avis général, ces bureaux n’ont plus d’effet dissuasif.448

Si les pratiques de corruption existaient auparavant, leur intensité avait diminué, mais elles auraient repris de plus belle et de manière plus visible depuis le début de la crise,449 au point de former un système que certains qualifient de mafieux.450

Ensuite, pour que la corruption disparaisse progressivement, il faudrait que tous ceux qui sont au pouvoir et s’occupent de l’administration publique soient prêts à se soumettre à la loi, c’est-à-dire qu’ils soient témoins vivants au niveau de la pratique de la loi, du respect de la justice et de la vérité. Sinon, il ne sera pas possible d’éradiquer ou au moins de diminuer la corruption. Il est également dramatique que la corruption reste inséparable de l’affairisme à Madagascar.

3.1.3.2 L’affairisme451

Ce phénomène de l’affairisme est indissociable de celui de la corruption. Il y a entre eux un lien intrinsèque, pour ne pas dire que le corrupteur et l’affairiste travaillent toujours ensemble en vue de la réussite de leurs affaires. Les affairistes seront obligés de trouver des hommes s’occupant de l’administration publique afin qu’ils puissent travailler ensemble à leurs intérêts. Cette coopération se trouve plus souvent à Madagascar qu'ailleurs. Expliquons ce qu’on entend par affairisme.

L’affairisme au sens négatif, ronge la société et détruit l’économie du pays. Affairisme : le sens qui nous intéresse ici se réfère toujours à une activité dont l’objectif primordial consiste à générer des profits. L’homme d’affaires par contre est celui qui entreprend, avec compétence et habileté, des activités présentant des perspectives de profits. Par contre, l’affairiste est celui qui ne cherche qu’à faire des affaires avec la complicité d'une personne ayant une charge importante dans l’administration publique ou dans le

447 Ibid., p. 34.

448 Leurs capacités de travail ont été grandement réduites par la diminution des fonds qu’ils recevaient des bailleurs

internationaux.

449 Transparency International confirme que Madagascar recule à trois sur dix en 2009, le niveau de 2002, un score qui

indique que la corruption est perçue comme endémique, et régresse encore en 2010 en passant à 2,6%. Disponible sur : hptt/www.transparency+international+corruption+perception. Consulté le 13 mars 2012.

450 Cf. International Crisis Group, Madagascar : La crise a un tournant critique ?, n° 166, Antananarivo, 2 juin 2010, p. 33. 451 Cf. R. ANDRIAMBELOMIADANA, Libéralisme et développement à Madagascar, op. cit., p. 29.

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gouvernement du pays. Dans ce cas, le sens du mot affairisme ou activité affairiste a une connotation purement péjorative, ce qui n’est pas du tout le cas de l’homme d’affaires, qui a une connotation positive.452

Quels sont les impacts négatifs de l’affairisme sur la vie de la société en général ? L’affairisme ronge et empêche d’une manière effective la réalisation du bien commun dans un pays ou dans une société. Tout d’abord, l’affairisme ne recherche pas l’amélioration de l’économie d’un pays. Les affairistes travaillent dans les seuls secteurs qu’ils jugent favorables à leurs affaires : tout ce qui entoure la production, l’achat et la vente de produits précieux comme le bois de rose, le saphir, le cristal, le diamant, l’or, et la prestation de services annexes.453 En un mot, les affairistes n’ont aucune préoccupation du bien commun, pas même du bien des personnes engagées dans l'extraction des pierres précieuses ou le travail des bois précieux ou semi-précieux. Ils n’ont d’autre visée que leurs intérêts personnels.

En outre, l’affairisme touche également le domaine de l’escroquerie et du détournement des fonds publics. Les affairistes de l’administration, ceux de la classe politique au pouvoir, utilisent à leur profit personnel les informations dont ils ont la primeur, pour faire miroiter aux investisseurs étrangers les facilités et les privilèges qu’ils peuvent leur octroyer du fait de leurs fonctions. A l’instar de la corruption, l’affairisme effectue une nouvelle répartition des revenus au bénéfice surtout des décideurs. Les décideurs du reste se retrouvent aussi bien dans les secteurs public et privé que parmi les politiciens au pouvoir.454

Depuis la 1ère République, le système affairiste et clientéliste en vigueur sous les régimes successifs n’a pas été modifié, mais ses bénéficiaires ont par contre changé. Durant le mandat de Ravalomanana, la réussite dans les affaires passait par le soutien du président, ce qui a incité les exclus de ce système à soutenir le maire de la capitale à l’époque, Andry

Rajoelina.455 En dépit des discours de Rajoelina sur la mauvaise gouvernance de Marc Ravalomanana, la relation entre les secteurs public et privé est qualifiée d’« incestueuse » par

certains, et le pouvoir ou sa proximité reste l’une des sources majeures d’enrichissement. Pour un des conseillers du président, si la situation est bloquée après plus d’un an et demi, «…c’est simple, c’est parce que certains font du business ».456

Tous les pouvoirs successifs à Madagascar pratiquent la corruption et l’affairisme, tant dans le cadre de l’exercice du gouvernement que dans l’administration publique. L’implication est généralisée dans le domaine de la corruption et de l’affairisme. Randriambelomiadana, expert en matière d'économie, a confirmé que le rôle important que prend l’État dans le développement économique et social ne peut qu’amplifier l’affairisme. En plus, a-t-il ajouté, « L’État, à travers son budget, est le plus grand fournisseur de capitaux. Les multiples commandes et marchés de l’État, y compris des collectivités locales, font l’objet de

452 Cf. International Crisis Group, Madagascar : La crise a un tournant critique ? art. cit., p. 6. 453 Cf. P. RAJERIARISON et S URFER, Madagascar, op. cit., pp. 45-49.

454 Cf. International Crisis Group, Madagascar : La crise a un tournant critique, art.cit., p. 8.

455 Ravalomanana avait cessé de privilégier l’élite tananarivienne traditionnellement au pouvoir. L’émergence actuelle de

jeunes qui ne font pas partie de ces réseaux poserait problème aux membres de ces familles puissantes. Cf. M. PELLERIN,

Madagascar un conflit d’entrepreneurs. Politique africaine, n° 133, mars 2009, p. 8.

456 Cf. International Crisis Group, Madagascar : une sortie de crise superficielle ?, n° 218, Antananarivo, 19 mai 2014,

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discrètes tractations au cours desquelles l’essentiel de l’ordre du jour repose sur le partage du magot ».457

En un mot, l’institution BIANCO faite pour la lutte contre la corruption et l’affairisme à Madagascar n’a pas de répercussions directes sur le plan socioéconomique, faute d’indépendance totale. Il est donc évident que la corruption et l’affairisme provoquent encore des dérèglements de l’économie de marché à savoir : la mauvaise allocation et l’utilisation inefficace des ressources, la répartition inégale et inéquitable des revenus. C’est pourquoi il est impossible de réaliser le développement intégral de l’homme et de tout l’homme ainsi que de la société en général, c’est-à-dire le bien commun. Rien ne changera aussi longtemps que les gouvernants et tous ceux qui travaillent dans l’administration publique ou privée n’auront pour objet que leurs intérêts personnels et ceux de la minorité favorisée ou encore privilégiée au pouvoir. Cette pratique politique témoigne des violations des droits humains fondamentaux.

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