• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE IV : LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DU BIEN COMMUN Introduction

4.2 La notion du bien commun

4.2.3 Le bien commun dans la conception africaine et malgache

Cette présentation du bien commun selon ce que pensent les Africains va s’appuyer pour l’essentiel sur des exemples. Quand nous parlons du bien commun en Afrique et à

739 Cf. ibid., n° 1909.

740 Compendium de la doctrine sociale, n° 167. 741 Cf. supra, Pourquoi le choix du bien commun, p. 3. 742 BENOIT XVI, Caritas in veritate, n° 7

743 Cf. P. COULANGE, Vers le bien commun, op. cit., p. 117.

744 BENOIT XVI, Caritas in veritate, n° 7, dans COLL., Le discours social de l’Eglise catholique, de Léon XIII à Benoît

XVI, op.cit., p. 924.

134

Madagascar, la manière dont il est conçu est différente de celle de l’Occident à cause de la complexité même des cultures traditionnelles africaines et malgaches. Voilà pourquoi la familiarité avec ces cultures traditionnelles est une nécessité pour l’appréhender. Rien ne peut être compris sans opérer un détour historique et ethnologique sur les manières de voir, de penser et de sentir des peuples qui constituent cette partie du monde.746

En général, tant en Afrique qu’à Madagascar, la subordination du projet individuel au projet collectif constitue le socle de la vie communautaire et le pilier de la cohésion sociale. Les acquis du clan constituent l’ensemble des éléments de ce bien commun que chacun des membres cherche toujours à préserver. Ils comprennent essentiellement le patrimoine clanique, les brousses, les forêts, les champs, le bétail, les rivières, les unions matrimoniales, les vieux, les jeunes voire les enfants à éduquer.747 En Afrique et à Madagascar, la solidarité

ou le fihavanana748 et l’enfant sont considérés comme faisant partie du bien commun. Dans

l’analyse qui va suivre, deux éléments fondamentaux sont donc à retenir, à savoir la solidarité ou le fihavanana et les enfants que les Africains et les Malgaches considèrent comme des éléments primordiaux du bien commun.

En parlant de la solidarité ou fihavanana, la première question est de savoir pourquoi les Africains considèrent la solidarité comme un élément primordial du bien commun. La réponse est simple et claire. L’homme africain et malgache a le sens de la solidarité et la vie des gens dans les campagnes le démontre bien à travers des dynamiques d’entraide ou des logiques communautaires que l’on observe çà et là749 : par exemple, la constitution des

greniers dans les villages pour des besoins de conservation des récoltes communes, ainsi que l’organisation des manifestations autour d’un mariage, d’une naissance, d’un deuil et d’un famadihana (le retournement d'un mort), tout particulièrement à Madagascar.

La solidarité en tant que fihavanana peut, dans cette perspective, s’étendre aussi à ce large réseau dynamique d’interrelations ou d’interdépendances mutuelles qui favorise la cohésion au sein d’un clan, d’une tribu, d’une ethnie ou d’une famille. Elle est le soubassement sur lequel se construit la famille composée des individus issus d’un ancêtre commun et unis entre eux par un double lien : un premier lien que l’on peut qualifier de naturel (la consanguinité ou les logiques de la parenté)750 et un second qui est un fait de la culture (les unions matrimoniales inter-claniques ou tribales, etc).751 Cette philosophie de la vie, intimement liée à la vision africaine des relations, détermine justement le lien vital et dynamique qui structure le vivre-ensemble entre les humains, entre l’individu et la société globale, entre les vivants et les morts, ce dernier lien concernant le sens du famadihana malgache. La conception malgache du bien commun met en exergue spécialement l’importance du fihavanana, car celui-ci est le bien commun qui vivifie l’aina ou la vie, et

746 Cf. X. DIJON et M. NDONGMO, L’éthique du bien commun en Afrique. Regards croisés, L’Harmattan, Paris, 2011, p.

22.

747 Cf. R. DUBOIS, Olombelona. Essai sur l’existence personnelle et collective, op. cit., p. 72.

748 Cf. R. DUBOIS, L’identité malgache. La tradition des Ancêtres, Karthala, Paris, 2002, p. 88. Cf. supra, Le fihavanana

comme source de solidarité, p.

749 Cf. X. DIJON et M. NDONGMO, L’éthique du bien commun en Afrique, op. cit., p. 22. 750 Cf. P. OTTINO, Les champs de l’ancestralité à Madagascar, op. cit., p.315.

135

sans le respect de ce fihavanana, il est impossible de réaliser l’épanouissement intégral de la personne humaine, car la réalisation de celle-ci nécessite un respect profond de celui-là.752

Cet élan de solidarité qui s’exprime au quotidien, à travers l’agir et le faire de l’homme africain, instaure au sein de la société un système de valeurs fondé sur l’obligation, non seulement de veiller au respect de l’héritage légué par les ancêtres753, mais également sur

la nécessité de rendre des comptes à la société globale à travers la dynamique de l’entraide directe ou indirecte aux autres membres de la famille dans des moments de maladie, de deuil ou de joie (naissance, mariage). Tout ceci est le témoignage d’une vie vécue ensemble, et qui ne peut être pleinement accomplie que lorsque le bien individuel trouve sa source et son achèvement dans le bien collectif. C’est dans ce sens qu’on comprend le système d’action globale où le « je » et le « tu » trouvent leur sens véritable dans une forme de ce que Habermas appelle l’intersubjectivité communicationnelle754, donc dans un « nous ». Le bien

commun doit tenir compte du bien ou de l’intérêt de la collectivité dans la mesure où le sens de la solidarité est respectueux de chacun.

Ensuite, comment démontre-t-on également que les enfants sont dans la tradition africaine, même jusqu’à maintenant, considérés comme un bien commun à préserver par tous ? Pourquoi dit-on qu’en Afrique comme à Madagascar, les enfants sont considérés comme un bien commun ? Tout d’abord, parler de l’enfant comme d’un bien commun, c’est considérer que celui-ci n’est la propriété de ses parents que lorsqu’il se trouve encore dans le ventre de sa mère. Une fois qu’il est né, il appartient à toute la communauté, au clan et tout le village célèbre avec joie sa venue au monde.755 L’enfant en Afrique est aussi un porte- bonheur pour la famille, au sens de la famille élargie, parce qu’il constitue une main d’œuvre essentielle pour l’économie familiale, une fois devenu adolescent ou adulte, ainsi que le démontre A. Adepoju, théologien africain : « Quand les enfants grandissent, ils suivent leurs parents à la ferme, ils aident à la cuisine, ils puisent l’eau au ruisseau et accomplissent bien d’autres tâches, ce qui permet aux parents de se concentrer sur d’autres activités. Ils sèment, moissonnent et transportent également de petites quantités de produits de la ferme, comme ils ont la responsabilité générale de transporter le bois de chauffage et l’eau à la maison le soir venu. On doit s’attendre à ceci, car dans une économie de subsistance, le travail est le plus important facteur de production ».756 De plus, en particulier à Madagascar, l’enfant est vu comme une richesse dans la famille, car un conjoint qui n’a pas d’enfant est considéré par la société malgache comme misérable et malheureux, puisque l’enfant, selon un proverbe malgache est une richesse. « Une maison sans enfant est encore considérée comme une maison sans âme ».757

752 Cf. R. DUBOIS, L’identité malgache, op. cit., p. 88.

753 Les rites initiatiques du poro, c’est-à-dire c’est un groupe d’ethnies qui se trouve au nord de la Côte d’Ivoire, permettent

de comprendre la place qu’occupent les ancêtres dans la vie quotidienne des individus. Cf. Agence de presse africaine, (APA), Le Poro, société initiatique et ésotérique du nord ivoirien, en force Festival des Divinités Noire au Togo, octobre 2007. Disponible sur : http.//www,icilome.com/nouvelles/news.asp ?id-11&idnews. Consulté le 23 mars 2014.

754 J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel. Vol. I, Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, Fayard,

Paris, 2001, p. 124.

755 Cf. X. DIJON et M. NDONGMO, L’éthique du bien commun en Afrique, op. cit., p. 25.

756 A. ADEPOJU, La famille africaine, politiques démographiques et développement, Karthala, Paris, 1999, p. 65.

757 Cf. A. ABINAL et V. MALZAC, Dictionnaire malgache-français, Edition Ambozontany-Analamahitsy, Antananarivo,

136

Enfin, au-delà des contraintes imposées par la modernité, il est intéressant de noter combien la conception traditionnelle de l’enfant, en Afrique comme à Madagascar, n’a pas connu d’érosion inquiétante. La naissance d’un enfant demeure, dans la vision africaine, l’incarnation de la bénédiction des ancêtres, donc un symbole de l’unité du clan, un signe de joie et d’honneur, comme le souligne une fois de plus A. Adepoju : « Dans le contexte culturel traditionnel, un enfant est considéré à la fois comme un symbole de joie et comme appui économique, de sa naissance à son adolescence et à partir du moment où il est capable de soutenir un parent âgé. Les enfants sont des soutiens et les parents retirent habituellement une immense satisfaction à en avoir ».758 Dans la conception africaine et malgache, plus la famille est nombreuse, plus les chances de survie du lignage et de la perpétuation de la mémoire, véritable patrimoine légué par les ancêtres, sont garanties. L’enfant n’est pas seulement un porte-bonheur ou une richesse, mais aussi un don du ciel. Il constitue, de ce fait, un trait d’union entre le monde des vivants et celui des morts.759 C’est grâce à la

conception de l’enfant comme porte-bonheur, richesse et pilier de la famille qu’on le considère comme bien commun.

Cet aperçu laisse deviner que la conception du bien commun, en Afrique comme à Madagascar, est bien différente de celle de l’Occident. La notion du bien commun prend en l’occurrence une nouvelle forme par rapport à sa conception habituelle. Sur ce sujet il importera par la suite de vérifier le point de vue du Magistère de l’Eglise catholique au regard de la vision africaine et malgache.

En un mot, au terme de cette présentation de la notion de bien commun, nous pouvons affirmer que celle-ci n’est pas « une conception » parmi d’autres, celle de l’Eglise catholique, mais qu’elle s’appuie sur la dignité fondamentale de tout homme. Si la réflexion sur le bien commun, dans la conception scolastique et néoscolastique d’avant Vatican II, est basée sur la loi naturelle, et définie a priori comme faisant partie de la nature même de l’homme, après Vatican II, elle est définie a posteriori comme découlant des droits de l’homme et des besoins de l’ensemble des personnes humaines pour leur vivre ensemble.

Conclusion

Toute la vie sociale est l’expression de son unique protagoniste : la personne humaine.760 La doctrine sociale de l’Eglise donne la priorité au respect de la dignité de la personne humaine. Pour elle, ce respect de la dignité est l’un des principes d’action de l’Eglise au sein de la société. 761 L’accent est mis, pour la doctrine sociale de l’Eglise, sur

l’affirmation du caractère intangible de la dignité de la personne humaine parce que l’homme est un être créé à l’image de Dieu. En tant qu’être créé à l’image de Dieu, il a la dignité de personne : il n’est pas seulement quelque chose, dit le Compendium, mais quelqu’un.762

758 A. ADEPOJU, La famille africaine, politiques démographiques et Développement, op. cit., p. 65. 759 Cf. R. DUBOIS, Olombelona. Essai sur l’existence personnelle et collective, op. cit., p. 79. 760 Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, n° 106.

761 Cf. J. THORAVAL, Pensée et action sociales de l’Eglise, op. cit., p. 132. 762 Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, n° 108.

137

L’homme et la femme ont la même dignité et sont d’égale valeur, parce que chacun est image de Dieu.763

L’homme est au plus profond de lui-même en relation avec ses semblables et avec Dieu, et la relation entre Dieu et l’homme se reflète dans la dimension relationnelle et sociale de la nature humaine.764 La personne humaine est la fin dernière de la société, elle ne peut pas être instrumentalisée pour un projet qui lui serait supérieur, qu’il soit économique, social, politique. La personne humaine n’est jamais un moyen, mais la fin ultime. Voilà pourquoi toute activité que ce soit économique, politique, sociale ou même religieuse converge et vise au développement intégral de la personne humaine en fonction de sa dignité foncière.

En vertu de cette affirmation, le principe du bien commun découle donc de la dignité, de l’unité et de l’égalité de toutes les personnes. Le bien commun dont nous parlons ici est défini comme l’ensemble des conditions sociales qui permettent à tous les membres du corps social, sans discrimination, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur épanouissement intégral d’une façon plus totale et plus aisée.765 Le bien commun n’est pas la

somme des biens particuliers de chacun : il est vraiment commun, parce qu’il est indivisible et qu’il n’est possible de l’atteindre qu’ensemble. Il englobe l’intégralité de la vie de la personne humaine que ce soit sur le plan corporel et moral ou même spirituel. Voilà donc tout le monde sollicité pour travailler à sa concrétisation. Le chapitre suivant nous aide davantage à présenter les grands principes d’action et des valeurs de références de la doctrine sociale de l’Eglise au service du bien commun.

763 Cf. ibid., n° 112.

764 Cf. ibid., n° 130.

138

CHAPITRE V : LES PRINCIPES D’ACTION ET VALEURS DE RÉFÉRENCE DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’EGLISE AU SERVICE DU BIEN COMMUN

Introduction

Résoudre les problèmes de l’échec du bien commun à Madagascar n’est pas facile. Il faut commencer par avoir la volonté et le courage politique. Cependant, cela est nécessaire mais insuffisant. Il faudrait également des principes d’action et des valeurs de référence. A ce propos, l’Eglise catholique, grâce à sa doctrine sociale, offre des principes d’action et des valeurs de référence propres à elle mais applicables dans la réalisation du bien commun dans toute la société. Ces principes d’action qui constituent son enseignement social sont : les principes de la dignité de la personne humaine, de la destination universelle du bien et du bien commun.766 Cependant, lorsque nous parlons du bien commun, celui-ci n’est pas un principe

capable de se réaliser tout seul mais il a besoin des autres principes tels que ceux de solidarité, de justice, de participation et de subsidiarité et de respect des valeurs de référence comme la vérité, la liberté et l’amour, qui lui permettent de se concrétiser. Donc la question est de savoir quels sont effectivement les rôles de ces principes selon la doctrine sociale de l’Eglise. Ces rôles sont-ils vraiment indispensables pour le processus de la réalisation du bien commun ?

Dans ce chapitre il importera de souligner que le bien commun ne se réalise jamais sans le respect des grands principes d’action et des valeurs références de la doctrine sociale de l’Eglise.

Outline

Documents relatifs