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CHAPITRE IV : LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DU BIEN COMMUN Introduction

4.1 Le fondement du bien commun

4.1.1.3 La conception de la dignité selon la doctrine sociale de l’Eglise

Le Concile souligne en premier lieu que la personne humaine a «…une dignité inaliénable car toute personne est créée à l’image de Dieu ».666 L’Église affirme formellement cette dignité et le caractère sacré de chaque personne humaine. Elle indique d’abord que le sens de l’homme ne se comprend vraiment que dans sa relation à Dieu, origine et fin de toute vie. Elle souligne aussi que cette dignité de l’homme en question ne vient que de Dieu lui- même. C’est la raison pour laquelle, elle ne relativise pas cette dignité de la personne, l'image de Dieu en elle reste toujours irréversible. C’est dans cette perspective anthropologique que tous les hommes qui partagent la même condition ont la même dignité. Leur dignité est déterminée par l’image de Dieu et non pas par une simple convention sociale. C’est ce que fait l’enseignement social de l’Église lorsqu’il appuie la défense et la promotion des droits de l’homme « universels et inviolables ».667 Car la dignité de la personne humaine se fonde,

comme le confirme Léon XIII, sur l’égalité ontologique des hommes en tant qu’êtres créés à l’image de Dieu.

Cette égalité ontologique des personnes dont on parle, ajoute Patrick de Laubier, un enseignant de la doctrine sociale de l’Eglise, en reprenant l’idée de Léon XIII, «…réside dans le fait que tous, ayant la même nature, sont appelés à la même éminente dignité de Fils de Dieu, et en même temps que, une seule et même loi étant proposée à tous, chacun doit être jugé selon la même loi et recevoir les peines ou les récompenses suivant son mérite ».668 Il est

évident que l’égalité dont il s’agit ici est bien une égalité en valeur qui se traduit, premièrement, par une égalité de traitement et par un respect égal dû à tout homme. Par conséquent elle n’implique pas de manière nécessaire une égalité de fait au sein de la société et n’appelle pas non plus la nécessité d’une telle situation. Au contraire, il y a, dans les relations entre les hommes, « une inégalité de droit et de pouvoir qui émane de l’Auteur même de la nature ».669

A son tour, Jean XXIII reprend, dans son encyclique Pacem in Terris670, l’idée que l’homme créé à l’image de Dieu est une personne douée d’intelligence et de volonté libre, et par là, sujet de droits et de devoirs découlant de sa nature, donc universels et inaliénables. La

664 Cf. J.-L. BRUGUÈS, Précis de théologie morale générale, op. cit., p. 107. 665 Cf. ibid., p. 107.

666 Gaudium et spes, n° 12. 667 Ibid., n° 26.

668 Citation de LEON XIII, reprise par P. de LAUBIER dans son livre intitulé La pensée sociale de l’Eglise catholique,

Editions Universitaires, Fribourg, 1984, p. 14.

669 Ibid.

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personne est considérée comme fondement de toute société.671 Cette personne, dont la dignité

est marquée par l’intervention du Christ dans l’histoire, est reconnue comme politiquement responsable.672 La dignité dont il est ici question constitue le fondement de l’égalité entre tous les hommes : « Tous les hommes, doués d’une âme raisonnable et créés à l’image de Dieu, ont même nature et même origine ; tous rachetés par le Christ, jouissent d’une même vocation et d’une même destinée divine : on doit donc, et toujours davantage, reconnaître leur égalité fondamentale. Assurément, tous les hommes ne sont pas égaux quant à leur capacité physique, qui est variée, ni quant à leurs forces intellectuelles et morales qui sont diverses. Mais toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu ».673 Voilà pourquoi la reconnaissance de la dignité de l’homme ne dépend pas de sa qualité physique ou intellectuelle, puisqu'elle n’est pas quelque chose que l’on rend ou donne à l’homme, mais c’est plutôt une valeur qu’on lui reconnaît.

Dès lors, l’Eglise catholique est consciente que la vie de l’homme, de par sa nature propre, grâce à son image et à sa ressemblance à Dieu, a une valeur de dignité inviolable, et tout homme, sans distinction, a la même valeur en dignité. C’est la raison pour laquelle l’Eglise catholique, par son enseignement socio-moral et éthique à travers la constitution pastorale Gaudium et spes, dénonce et réprouve toutes les violations de la dignité de vie de la personne humaine. A propos de ce sujet, voici ce que dit l’Eglise dans sa constitution pastorale : « Tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré : tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du Créateur».674 L’homme créé à l’image de Dieu a une dignité inviolable.

De plus, le Magistère de l’Eglise, en la personne de Jean-Paul II, propose une conception très claire quand il s’agit de la dignité de la personne humaine, par rapport aux conceptions matérialistes de notre époque. Le matérialisme dans le sens habituel du mot désigne, dit le Souverain Pontife, le comportement pratique de ceux qui ne cherchent que la satisfaction immédiate de leurs instincts matériels sans se poser de questions. Ne compte que ce qui est matériel. L’homme, qui a sa propre dignité en vertu de sa création à l’image de Dieu, devient un objet matériel de production. Or, «…l’être humain, ajoute-t-il, est toujours une valeur en lui-même et pour lui-même, et il doit être considéré et traité comme tel ; jamais

671 Cf. B. JAUBERT, La morale en politique, Desclée de Ouvrières, Paris, 1995, p. 111. 672 Cf. JEAN XXIII, Pacem in terris, nn° 10-52.

673 Gaudium et spes, n° 29, 1-2. 674 Ibid., n° 27, 3.

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il ne peut être considéré et traité comme un objet dont on se sert, un instrument, une chose ».675 L’homme est créé à l’image de Dieu : voilà donc un élément fondamental, qui constitue la clé de voûte de la doctrine sociale de l’Église. Cependant, l’homme pourrait-on dire, est encore plus que cela. Il est plus qu’une image, il est appelé par le mystère du Christ, Dieu fait homme, à cet admirable échange dont parlent les Pères, à une alliance qui produit une transformation intérieure, à la divinisation : « Il est capable de se connaître, de se posséder, et de librement se donner et entrer en communication avec d’autres personnes et il est appelé par grâce à une alliance avec son Créateur, à lui offrir une réponse de foi et d’amour ».676

De ce fait, selon la foi chrétienne et la doctrine sociale de l’Eglise, la dignité de la personne est fondée sur le fait que chaque être humain, quelles que soient sa race, sa religion, sa culture, a été créé à l’image de Dieu. L’homme, en tant qu’être créé à l’image de Dieu, a une dignité de personne, et celle-ci reste toujours inviolable. Par ailleurs, cet homme créé à l’image de Dieu est un être social. Car Dieu, en créant l’homme à son image et à sa ressemblance, ne l’a pas créé solitaire. L’être humain ne peut jamais se réaliser que dans la société, c’est-à-dire être en relation avec autrui, et la doctrine sociale de l’Eglise le confirme. 4.1.2 La socialité comme caractéristique naturelle de l’homme.

Quand il s’agit de la nature sociale de l’homme, celle-ci est déjà mentionnée par un philosophe de l’antiquité comme Aristote. Ce philosophe indique bien que «…l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a un langage. (…) Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or avoir de telles notions en commun c’est ce qui fait une famille et une cité ».677 Cela signifie que le caractère social et politique est naturel à l’homme. C’est grâce à ce caractère que l’homme, d’après Aristote, tend par nature à vivre en cité. Il réitère sa thèse sur la confirmation de l’existence naturelle, sociale et politique de l’homme dans son livre Ethique à Nicomaque en disant : « Personne ne choisirait de posséder tous les biens de ce monde pour en jouir seul, car l’homme est un être politique et naturellement fait pour vivre en société ».678 L’accent est mis par Aristote sur le caractère social de l’homme parce qu’il croit que l’homme en tant qu'être inachevé ne réalise jamais ses fins que par l’insertion dans la société ou la cité. Cette dernière devient un élément nécessaire et indispensable pour l’achèvement de la nature de l’homme. Dans cette perspective, Despaigne affirme : « La société est indispensable à la réalisation de la vocation humaine. La nature même de l’homme le pousse par nécessité à vivre en société ».679

675 JEAN PAUL II, Christifideles laici, n° 5. 676 Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 357.

677 ARISTOTE, La politique, Livre I, Chap. II, 1253 a 8 - 1253a 19. 678 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Chap. IX, 9, 1169b, 16.18.

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Le Concile Vatican II, par le biais de la Constitution pastorale Gaudium et spes, déploie une semblable conception sociale et communautaire de l’être humain : si la personne humaine est sacrée, elle est aussi sociale et sa dignité ne peut être réalisée et protégée qu’au sein d’une communauté humaine d’échanges et d’amour mutuel. « La personne humaine qui, de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale, est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions. La vie sociale n’est donc pas pour l’homme quelque chose de surajouté ; aussi c’est par l’échange avec autrui, par la réciprocité des services, par le dialogue avec ses frères que l’homme grandit selon toutes ses capacités et peut répondre à sa vocation ».680 Pour saint Thomas d'Aquin, cité en GS 25, cette vocation est le propre de l'homme. L’homme en tant qu'être doué de raison, d’intelligence et de liberté est capable d’être en relation avec autrui et avec la Transcendance, car la capacité à entrer en société avec autrui et avec Dieu est le propre de l'homme. Et il ajoute que la vie sociale ne constitue pas une sorte d’ajout à sa nature, mais un besoin essentiel de son être, car «…il existe une interdépendance entre l’essor de la personne et le développement de la société ».681

Enfin nous tenons aussi compte du caractère transcendant de la relation naturelle de l’homme. L’homme, en tant qu’être créé à l’image de Dieu, ne se contente pas d’être en relation avec ses semblables mais il est capable d’être en relation avec la Transcendance, comme disait Emmanuel Mounier. C’est-à-dire que l’homme ne se replie pas sur la dimension horizontale mais s’ouvre à la dimension verticale puisque sa «…ressemblance avec Dieu met en lumière que l'essence et l'existence de l'homme sont, de manière constitutive, en relation avec Dieu de la façon la plus profonde qui soit ».682 Cette relation n’est pas une relation acquise mais déjà naturelle. L’homme est, en vertu de son intelligence naturelle, «…appelé à une plénitude de vie qui va bien au-delà des dimensions de son existence sur terre, puisqu'elle est la participation à la vie même de Dieu ».683 Cela veut dire qu’il est aussi fait pour être en relation avec Lui. Car nous savons que la vie de l’homme, sans être en relation avec Dieu, n’atteint jamais l’épanouissement intégral. Toute sorte de relation, quelle qu'elle soit, converge vers Dieu. Car il est la fin ultime de notre vie. Un être digne est un être capable d’être en relation avec ses semblables et la Transcendance. Et cette relation bilatérale qui est propre de l’homme constitue également la dignité.684 Cette dignité en question est

aussi une caractéristique propre de la personne humaine, car parmi toutes les créatures, seule la personne humaine a cette dignité. Elle n’est pas un objet, elle n’est pas une chose matérielle mais elle est une personne vivante, un être humain. C’est dans ce respect du principe de la dignité de la personne que se fonde le principe du bien commun.

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