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CHAPITRE VI : LE RESPECT DE CERTAINES VALEURS SOCIALES AU PROFIT DU BIEN COMMUN

6.3 La sauvegarde de la valeur de la démocratie

6.3.2 La démocratie comme garante du pluralisme

La démocratie, en tant que garante du pluralisme, politique a-t-elle une valeur prépondérante quand il s’agit de la gouvernance d’un pays ? La réalisation du bien commun nécessite la participation de tous les membres du corps social; or cette participation n’est possible que dans le respect de la voie démocratique. Qu’entend la doctrine sociale dans son enseignement du pluralisme ?

Faire une place au pluralisme n’a en soi rien de nouveau, depuis longtemps ce terme se décline en diverses acceptions : pluralisme politique, pluralisme religieux et pluralisme démocratique. Mais qu’est-ce que le pluralisme ? La démocratie est garante du pluralisme politique. Dès lors la question se pose : la démocratie n’existe-t-elle pas sans pluralisme politique ? Ou le pluralisme politique est-il l’expression de la démocratie ? S’il est l’expression de la démocratie, son existence a-t-elle des répercussions sur le bien commun ? Définir ce qu’est le pluralisme est une première étape pour comprendre ensuite pourquoi l’Église catholique articule liberté religieuse et pluralisme religieux.

Le pluralisme est un « système d'organisation qui reconnaît et accepte la diversité des courants d'opinion, de leurs représentants et des partis politiques. Il est l'un des fondements de la démocratie. Le pluralisme sous-entend la liberté d'opinion et d'expression ainsi que la reconnaissance des partis politiques. Il peut cependant aller au-delà du simple multipartisme selon le degré de liberté d'exercice de la politique qui est accordé aux partis et le rôle que leur confèrent les institutions ».1022 Dans cette perspective, le pluralisme est une conception doctrinale et un comportement politique qui reconnaissent et acceptent la pluralité comme une donnée objective.1023

Pour l’Eglise catholique, le fondement de la reconnaissance du pluralisme se trouve dans le respect profond de la liberté religieuse. La liberté d’appartenance à une confession religieuse est un droit fondamental pour tous les hommes. « Le soin de veiller à ce droit incombe tant aux citoyens qu’aux groupes sociaux, aux pouvoirs civils, à l’Eglise et aux autres communautés religieuses, de la manière propre à chacun, en fonction de ses devoirs envers le bien commun ».1024 Il s’ensuit que qui dit liberté religieuse, dit en effet pluralisme

religieux. A partir de cette reconnaissance et déclaration officielle du pluralisme religieux, la situation de la société pluraliste est également évoquée dans les documents conciliaires, plus précisément dans la constitution pastorale Gaudium et spes qui propose la distinction suivante : « Les actions que les fidèles, isolement ou en groupe, posent en leur nom propre comme citoyens, guidés par leur conscience chrétienne, et les actions qu’ils mènent au nom de l’Église en union avec leurs pasteurs ».1025

Le synode des évêques sur la justice dans le monde en 1971 a réitéré cette discrétion de l’Église sur la mise en œuvre du pluralisme. Lors de ce synode, les évêques déclarent que l’Église en tant qu'institution sociale constituée par les chrétiens baptisés n’a pas le droit

1022 Dictionnaire politique, Le pluralisme. Disponible sur : http://www.toupie.org. 1023 Cf. G. MATAGRIN, Politique, Eglise et foi, op. cit., p. 154.

1024 VATICAN II, Dignitatis humanae, n° 6. 1025 Gaudium et Spes, n° 76.

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d'élaborer un projet d’ordre social, politique ou économique pour la justice dans le monde. Pour autant elle a le droit d’intervenir, en cas de violations graves, pour la défense et la protection de la dignité et des droits fondamentaux de la personne humaine.1026 En fait l’Église ne veut pas confondre sa responsabilité en tant que communauté religieuse et hiérarchique et en tant qu’Église constituée par ses membres. L’Église reconnaît à ses membres le droit à des choix pluralistes en se laissant conduire par l’esprit de l’Évangile et son enseignement social.1027 L’objectif de l’Église est d'être modèle et exemple au sein d’une société pluraliste. Elle doit avant tout être cohérente en mettant en pratique cette option pluraliste en son propre sein. Jean XXIII, lors de l'ouverture du concile Vatican II le 12 octobre 1962, a bien dit qu’un vrai pluralisme implique l’accueil des diverses cultures : « L’unique peuple de Dieu est présent à tous les peuples de la terre, empruntant à tous ses propres citoyens (…). L’Église ne retire rien aux richesses temporelles de quelque peuple que ce soit, au contraire, elle sert et assume toutes les richesses, les ressources et les formes de vie des peuples en ce qu’elles ont de bon ».1028

Jean Paul II a développé, durant son pontificat, une réflexion de plus en plus approfondie sur la liberté religieuse1029 en confirmant l’importance du pluralisme religieux.

Au niveau anthropologique, elle « atteint la sphère la plus intime de l’esprit », soutient et est comme « la raison d’être des autres libertés ».1030 Ce texte capital, issu de sa Lettre aux chefs

d’État signataires de l’Acte final d’Helsinki datant du début du pontificat (1er septembre

1980), sera repris plus largement dans le Message pour la journée mondiale de la paix de 1988.1031 Le pape Jean Paul II a proposé que le droit à la liberté religieuse puisse être considéré comme un test des autres droits de l’homme, le signe évident de leur respect. Aux yeux de Jean Paul II, la reconnaissance de la liberté religieuse engendre même de nombreux facteurs de paix. Il y a, d’une part, au niveau individuel, la sérénité apportée aux personnes lorsque la liberté religieuse est garantie et respectée. Par effet de totalité, cela contribue directement à la paix au niveau de la communauté sociale. D’autre part, la liberté religieuse bien comprise sert à assurer l’ordre, et plus généralement le bien commun de chaque pays, de chaque société. Cela favorise la formation des citoyens qui agissent avec un meilleur esprit de responsabilité.1032

La position actuelle du Magistère de l’Église consiste à «…défendre le point de vue que, si les religions, et en particulier la religion catholique, contribuent à la paix entre les hommes, elles doivent recevoir la reconnaissance comme faisant partie intégrante du bien commun des nations et, en conséquence, ne doivent jamais être assimilées à des facteurs

1026 Synode des évêques du 30 novembre 1971, Justitia in mundo, n° 40.

1027 Cf. ibid., n° 41. 1028 Lumen Gentium, n° 13.

1029 J. SCHOTTE, La liberté religieuse en tant que droit de l’homme dans la pensée de Jean Paul II, op. cit., pp. 62-71. 1030 Cf. JEAN PAUL II, Lettre aux chefs de l’Etat de l’Acte final d’Helsinki, 1980.

1031 Cf. JEAN PAUL II, Message pour la journée mondiale de la paix, 8 décembre 1987.

1032 Le souverain pontife Jean Paul II avait déjà exprimé ce lien entre liberté religieuse et paix : « Le respect de ce principe

de la liberté religieuse servira encore au renforcement de la paix internationale, qui (…) est au contraire menacée par n’importe quelle violation des droits de l’homme, en particulier par l’injuste distribution des biens matériels et par la violation des droits objectifs de l’esprit, de la conscience humaine, y compris la relation de l’homme avec Dieu. Seule la plénitude des droits garantie effectivement à tout homme sans discrimination peut assurer la paix jusque dans ses fondements». JEAN PAUL II, La célébration de la journée mondiale de la paix du 1er janvier 1988, La liberté religieuse,

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d’intolérance lorsque l’on essaie subrepticement de les y cantonner ».1033 L’unité religieuse

d’un pays, élément très important - voire essentiel - du bien commun, fonde ici en grande partie le rôle public de la religion, même dans des pays à population religieuse pluraliste qui requièrent le dialogue des composantes religieuses.1034

Cette nouvelle vision de l’Église catholique sur la reconnaissance du pluralisme religieux a contribué à une ouverture de perspective sur les options politiques de ses membres. Les évêques de France ont affirmés que l’existence de l’option pluraliste dans une société permet les chrétiens de choisir en toute liberté entre les diverses associations ou différents parti politiques.1035 Celle-là confirme, ajoutent-ils, le renforcement du vécu réel de la démocratie : « La diversité même des pensées et des pratiques politiques, affirment-ils, ne permet jamais de dire que l’état pleinement réussi des choses est ici ou qu’il est là. Au contraire, elle est une invite à un remembrement de la vérité, par affrontement et dépassement des théories et expériences divergentes (…). L’attitude pluraliste marie ainsi la conviction la plus engagée avec l’humilité la plus profonde, exorcisant par là même la neutralité et l’intolérance, également néfastes à la vie sociale ».1036

S’il est normal que les pouvoirs publics soient neutres quant aux conceptions philosophiques et aux convictions religieuses, cela signifie que « L’Etat ne doit être ni indiffèrent ni hostile, ni identifié à une confession, ni promoteur d’une idéologie antireligieuse, mais garant de la liberté religieuse des personnes et des communautés, conformément aux exigences de l’ordre public et au service du bien commun ».1037 Ce que

l’Eglise a toujours enseigné, « c’est la nécessaire autonomie du pouvoir temporel, mais non son indépendance absolue vis-à-vis de la finalité des hommes et des sociétés ».1038 Il s’ensuit donc que le pluralisme en tant qu’expression de la démocratie garantit aussi le bien commun. Car le pluralisme politique permet au mieux le respect des divers droits fondamentaux de l’homme tels que les droits libres d’appartenir à une confession religieuse et à un parti politique. Cela signifie que le pluralisme garantit la mise en œuvre concrète de la démocratie. Celle-ci, dit R. Nifle, en tant que source de participation de tous, mobilise les acteurs pour traduire orientations et projets en activités et en actions.1039 Elle permet à tous les corps intermédiaires de participer à la gestion et à l’organisation de la société. Elle suppose donc l’existence d’un peuple, c’est-à-dire des citoyens responsables capables de poser des actes libres en vue du bien commun.1040 C’est dans ce sens qu’on peut affirmer que la démocratie en tant que source de participation de tous est indispensable à la réalisation du bien commun. Le refus politique du pluralisme est un obstacle à la réalisation de la stratégie de

1033 J. MEJIA, La liberté religieuse dans l’enseignement du pape Jean Paul II, op. cit., pp. 73-62.

1034 Dans un contexte de pluralisme culturel et religieux plus marqué, tel qu’il «…est prévisible dans la société du nouveau

millénaire, un tel dialogue est important pour assurer aussi les conditions de la paix et éloigner le spectre épouvantable des guerres de religion qui ont ensanglanté tant de périodes de l’histoire humaine. Le nom du Dieu unique doit devenir toujours plus ce qu’il est, un nom de paix et un impératif de paix ». JEAN PAUL II, Lettre apostolique de 6 janvier 2001, Novo

millennio ineunte, n° 55.

1035 Cf. G. MATAGRIN, Politique, Eglise et foi, op. cit., p. 82. 1036 Ibid., p. 83.

1037 R. MINNERATH, Pour une éthique sociale universelle, op. cit., p. 90. 1038 A. DESPAIGNE, Comprendre la doctrine sociale de l’Eglise, op. cit., p. 111. 1039 R. NIFLE, Le sens du Bien Commun, op. cit., p. 124.

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développement socioéconomique d’un pays.1041 Car, le pluralisme assure la contribution de

tous, en vue d’« un plus grand partage des responsabilités et des décisions »1042 au profit du bien commun.

Grâce au pluralisme, les deux communautés, à savoir la politique et l’ecclésiale peuvent travailler ensemble afin de réaliser le bien commun du peuple.

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