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CHAPITRE VI : LE RESPECT DE CERTAINES VALEURS SOCIALES AU PROFIT DU BIEN COMMUN

6.4 Le rapport entre l’Eglise et l’Etat : autonomie et coopération

6.5.1 L’engagement pour la paix sociopolitique

Le travail de l’Église pour la paix ne se limite pas exclusivement au sein de l’Église elle-même. Il s’ouvre à toute la société. Elle participe à la recherche de la paix même sur le plan sociopolitique : « Car la paix du Christ eschatologiquement promise est non pas une paix privée, une paix partielle, ou séparée, mais la paix pour tous, la paix ouverte à chacun et tout d’abord au plus pauvre, au plus petit, au plus lointain. Si elle n’est pas offerte à tous, personne ne peut l’exiger pour soi. Par rapport à cette paix, en effet il n’y a plus “ ni païen ni juif, ni circoncis ni incirconcis, ni barbare ni scythe, ni esclave ni homme libre ”. Cette paix fondée sur la croix du Christ n’est pas la propriété privée d’un groupe, pas davantage celle d’une religion, elle n’est pas la propriété privée de l’Église. L’Église est là pour la paix, non l’inverse ».1074 Voilà pourquoi, elle doit s’instaurer positivement dans les relations entre

personnes et nations. Elle est un mouvement continu, qui dérive de la paix des cœurs et va jusqu’à englober les rapports entre les nations. La paix n’est acquise qu’à condition que soient respectées les exigences de l’éthique universelle. Les traités et les institutions internationales sont impuissants à garantir la paix, si les mentalités n’y sont accordées. La garantie de la paix n’est pas seulement une affaire individuelle mais plutôt affaire de tous. Car pour promouvoir une culture de paix, s’impose un respect profond de toutes les exigences universelles de la personne humaine. S’y ajoutent que les situations d’injustices structurelles soient dénoncées et surmontées et que les droits des peuples soient reconnus.1075

De plus une culture de la paix exige que le respect strict des droits humains soit assuré. Tous les régimes politiques qui ne tiennent pas compte de ces droits sont à remplacer par

1072 JEAN PAUL II, Message pour la Journée mondiale de la Paix, 2000. 1073 Cf. R. MINNERATH, Pour une éthique sociale universelle, op. cit., p. 188. 1074 J.-B. METZ, Pour une théologie du monde, op. cit., p. 159

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d'autres, attentifs au respect de la dignité de la personne humaine. « Nul ne peut commander ou instituer ce qui est contraire à la dignité des personnes ».1076 Car la prise de conscience de la dignité de la personne humaine et de ses besoins est le premier pas vers la reconnaissance mutuelle que tous les hommes partagent une même destinée terrestre. Une culture de la paix sera donc attentive à éliminer les causes qui alimentent les conflits. En particulier, elle encouragera la coopération entre nations de manière à rendre leurs intérêts à ce point interdépendants qu’un recours à la guerre soit rendu impossible. C’est pour l’existence de la paix durable que l’Eglise, à travers sa doctrine sociale, lutte contre le terrorisme et exige un désarmement général, équilibré et contrôlé.

6.5.1.1 La lutte contre le terrorisme

L’Église en tant qu’instrument de la paix du Christ sur la terre prend part à la lutte contre le terrorisme. La condamnation du terrorisme n’est pas une décision récente de l’Eglise mais remonte au concile de Vatican II.1077 Renoncer à la violence en est la première

exigence. Jean Paul II dit que l’acte de terrorisme «…est un véritable crime contre l’humanité »1078 et une grave menace pour la paix en général, comme ce qui s'est passé aux

États-Unis le 11 septembre 2001 et ce qui se produit régulièrement avec les attentats islamistes de différents ordres. C’est une source d’instabilité de la vie du peuple tant au niveau national qu’international. Les cibles préférées des attaques terroristes se situent en général sur les lieux de la vie quotidienne de l’homme. Il frappe aveuglement sans tenir compte des dégâts immenses qu'il cause. Il manifeste un mépris total de la vie humaine et aucune motivation ne peut le justifier. La doctrine sociale de l’Église souligne que tous les actes terroristes offensent la dignité humaine et constituent une offense à l’humanité entière. Ils transgressent et violent donc les droits de l’homme. C’est la raison pour laquelle l’Église insiste en soulignant que « …la collaboration internationale contre l’activité terroriste ne peut pas se limiter seulement à des opérations répressives et punitives ».1079 Dans cette visée, l’idée de R. Minnerath est claire : «…lorsque tous les moyens pacifiques de résoudre les conflits ont été épuisés. Si la sécurité d’une communauté est mise en cause par des actions injustes et violentes, l’emploi de la force en vue de la restauration de l’ordre juste est moralement légitime et nécessaire ».1080 C’est dans ce sens qu’on peut affirmer que l’Eglise catholique accepte l’usage de force en cas de force majeur ou en cas de nécessité en vue du bien commun du peuple et de la nation.

L’Etat qui a la charge de garder et de sauvegarder toujours le bien commun ne peut à aucun moment renoncer à procurer la justice et la sécurité à ses citoyens1081, sans quoi il les

livrerait à l’oppression et à la violence. La paix n’est pas un bien inconditionnel. Pour qu’il y ait une paix véritable, l’Eglise rappelle qu’une nation menacée par l’acte terroriste a le devoir et le droit de se défendre en vue du bien de sa population. En plus la raison d’être des forces

1076 A. DESPAIGNE, Comprendre la doctrine sociale de l’Eglise, op. cit., p. 65. 1077 Cf. G. ALBERIGO, Histoire du Concile Vatican II (1959-1965), op. cit., p. 491.

1078 Cf. JEAN PAUL II, Message pour la célébration de la journée mondiale de la paix, 2002. 1079 JEAN PAUL II, Message pour la Journée mondiale de la paix, 2004.

1080 R. MINNERATH, Pour une éthique sociale universelle, op. cit., p. 121. 1081 Cf. ibid.

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armées dans une Nation est pour le maintien de la paix. C’est la raison pour laquelle l’Eglise enseigne que le recours à la guerre est moralement légitime pour sauvegarder la paix.

Toutes les Églises et notamment l’Église catholique s’évertuent à exhorter les peuples, les États, les institutions et les organismes divers à «…collaborer pour éliminer les causes du terrorisme et pour promouvoir l’amitié entre les peuples ».1082 Cette intervention de l’Église

appelant à la recherche de la paix implique le désarmement. 6.5.1.2 La revendication des désarmements

Pourquoi l’Église revendique-t-elle un désarmement général, équilibré et contrôlé ? La production énorme d'armes dans le monde d’aujourd’hui, surtout dans les pays dits puissants, provoque toujours une grave menace pour la stabilité et pour la paix. C’est pour cette raison que l’Église est vraiment persuadée que «…la course aux armements n’assure pas la paix. Loin d’éliminer les causes de la guerre, elle risque de les aggraver ».1083 Toute

activité de fabrication des armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive est désapprouvée par l’Église. Elle s’efforce non pas seulement de lutter contre la course aux armements mais aussi d’interdire la guerre.1084 Elle exhorte continuellement les États à

chercher tous les moyens efficaces de réduire la production des armes et ensuite de la contrôler. Car au fur et à mesure de l’augmentation des armes, l’instabilité augmente dans le monde. Pour cette raison, Jean XXIII a pris position en faveur du désarmement. Il croit que la justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament qu’on arrête la course aux armements.1085

Cependant, la paix que l’Église vise, proclame Calvez, n’est pas seulement simple empêchement de la guerre1086 ou bien, ne consiste pas seulement en un avenir de paix politique et sociale, mais représente aussi une œuvre de paix, dans le pardon et la réconciliation.

6.5.1.3 L’engagement pour la paix : pardon et réconciliation

Nombre de pays d’Afrique, y compris Madagascar, vivent dans une grande instabilité sociale à cause de la crise politique cyclique.1087 Cette crise politique a perturbé le dynamisme qui anime le bon fonctionnement de la vie sociale. Elle a provoqué une grande division et fracture sociale. Pour preuve, toute la crise politique successive qui a frappé le pays a laissé une grave blessure au cœur de la société malgache. En conséquence de cela, les sentiments de rivalités, de haine, d’hypocrisie, de rancune, d’esprit de vengeance domine au cœur des dirigeants politiques successifs et des politiciens des divers partis et associations politiques, des syndicats et des autres associations ainsi qu’au sein même de la famille : il y a des divisions en raison des appartenances politiques. Tout cela crée un blocage majeur à la participation de tous au développement du pays. Or nous avons dit plus haut qu’aucun pays ne peut se développer sans la participation de tous.

1082 Cf. JEAN PAUL II, Décalogue d’Assise pour la paix, février 2002, n° 1. 1083 Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 2315.

1084 Cf. G. ALBERIGO, Histoire du Concile Vatican II (1959-1965), op. cit., p. 491. 1085 JEAN XXIII, Pacem in terris, n° 112.

1086 Cf. J.-Y CALVEZ, Une éthique pour nos sociétés, op. cit., p. 142.

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Pour sortir donc de cette impasse, il faut donc qu’on trouve d’une solution adéquate à cette situation. Pour l’Eglise catholique, en tant qu’institution éducatrice et réconciliatrice, la réconciliation est l’une des meilleures solutions permettant de reconstruire la stabilité et la paix sociale. Le Compendium déclare : « L’Eglise enseigne qu’une paix véritable n’est possible que par le pardon et la réconciliation ».1088 Et l’enseignement social de l’Eglise insiste beaucoup sur ce sujet quand il s’agit de la recherche de la paix véritable. Pardonner et se réconcilier sont des vocables chrétiens. Et Jean Paul II pose toujours des questions sur ce point : mais que signifie concrètement pardonner et pourquoi pardonner ?1089Aussi insiste-t-il beaucoup pour dire que la paix n’est possible que par le pardon et la réconciliation.1090 Pourtant, il est difficile de pardonner face aux conséquences de la guerre et des conflits que sont les blessures internes et les lourds fardeaux de douleur. Guérir des blessures dues aux conflits ne se commande pas, il y faut réflexion approfondie, loyale et courageuse. Le poids du passé, l’oubli des offenses passe par la voie du pardon mutuel. Il est vrai que ce parcours est effectivement difficile et requiert un travail de renoncement de soi. L’Evangile nous rappelle toujours que « si vous pardonnez aux hommes leurs manquements, votre Père Céleste

vous pardonnera aussi (Mt 6,14)».1091

Cependant, malgré l’importance du pardon mutuel, le Compendium ne cesse de répéter que ce type de pardon ne doit pas annuler les exigences de la justice ni, encore moins, barrer le chemin qui conduit à la vérité. Car nous sommes tous convaincus que ce qui prime dans la recherche de la réconciliation en vue de la paix sociale, c'est que toutes les propositions à avancer respectent bien le sens de la justice et de la vérité. Etant donné qu’il n’y a pas d'authentique réconciliation possible sans tenir compte de la justice et de la vérité, le respect de celles-ci représente les conditions concrètes de la réconciliation.1092 Pour cette raison, la recherche de la justice et de la vérité est vraiment essentielle au sein de la société. Pour ce faire, l’Église, à travers la création d’organismes et de groupes, fait régner cette justice et cette vérité. Il est, en outre, nécessaire de promouvoir le respect du droit à la paix, car ce droit favorise la construction d’une société à l’intérieur de laquelle les peuples seront capables de collaborer en vue de ce bien commun qu’est la paix.

Le pardon urge également au niveau social. Les familles, les groupes, les États, la Communauté internationale elle-même, ont besoin de s’ouvrir au pardon pour renouer les liens rompus, pour dépasser les situations stériles de condamnation réciproque, pour vaincre la tentation d’exclure les autres en leur refusant toute possibilité d’appel. Jean Paul II déclare : « La capacité de pardonner est à la base de tout projet d’une société à venir plus juste et plus solidaire ».1093

Enfin l’Église en tant qu’instrument de la paix insiste également sur l’importance particulière de la réconciliation ; car celle-ci joue un rôle fécond pour faire régner la paix. La réconciliation accompagne le cheminement du chrétien dans toute sa vie. Elle l’oblige à lutter

1088 Cf. Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, n° 517.

1089 Cf. JEAN PAUL II, Message pour la célébration de la journée mondiale de la paix, Janvier 2002, p. 13. 1090 Cf. ibid.

1091 M. SCOUARNEC, Les symboles chrétiens, op. cit., p. 100. 1092 Cf. Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, n° 518.

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contre le péché de division et de séparation. La réconciliation a un passage obligé qui est l’amour. Benoît XVI a bien précisé que l’amour est une force extraordinaire qui pousse les personnes à s’engager avec courage et générosité dans le domaine de la justice et de la paix.1094 Se réconcilier avec l’homme invite à se réconcilier avec Dieu, avec soi-même et avec son prochain. Témoigner de cette réconciliation universelle est l’objectif de tout chrétien convaincu du pardon acquis par la rédemption du Christ. Cette paix devient source de bonheur temporel et éternel pour l’homme. C’est la réalisation effective du bien commun parce que celui-ci ne se concrétise jamais sans la présence de la paix. C’est la raison pour laquelle la doctrine sociale de l’Eglise catholique a mis l’accent sur les exigences de la construction de la paix en faveur de la réalisation du bien commun. Cette contribution de l’Eglise à la recherche de la paix sociale a une grande importance. Pour autant elle a des limites.

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