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CHAPITRE VII : LA PROMOTION DE LA PASTORALE SOCIALE HABITUELLE DE L’EGLISE AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ MALGACHE AU PROFIT DU BIEN COMMUN

7.1 Les critères pour l’engagement de l’Eglise en matière sociopolitique

Dans la première partie de cette thèse, nous avons souligné que les hommes et les dirigeants politiques successifs dans la société malgache n’ont pas mis la priorité sur la recherche du bien commun. Leur agir politique n’avait pour objectif que de viser leurs profits individuels. La doctrine sociale de l’Eglise réaffirme que la première mission de l’autorité

1119 Cf. Lumen gentium, n° 7.

1120 Cf. ibid., n° 9. 1121 Cf. ibid., n° 1.

1122 Cf. R. BAUDOIN, Doctrine sociale de l’Eglise. Une histoire contemporaine, op. cit., p. 161.

1123 Cf. O. HÖFFE, L’Eglise et la question sociale aujourd’hui, Editions Universitaires, Fribourg, 1984, p. 119. 1124 Cf. J.-M. AUBERT, Vivre en chrétien au XXème siècle, T. II, L’engagement du chrétien, op. cit., p. 140. 1125 Cf. P. de LAUBIER, La pensée sociale de l’Eglise catholique, op. cit., p. 21.

1126 Cf. R. BAUDOIN, Doctrine sociale de l’Eglise. Une histoire contemporaine, op. cit., p. 163. 1127 Cf. Gaudium et spes, n° 41.

1128 Cf. Compendium de la doctrine sociale, n° 291. 1129 Cf. ibid., n° 7.

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politique est de se préoccuper du bien commun de tous. Nous l’avons déjà bien mentionné dans la deuxième partie du travail.1130

Par le biais du Compendium, l’Eglise catholique à Madagascar, en tant qu’institution sociale indépendante, a le devoir de surveiller le processus de l’accomplissement du rôle de l’autorité politique en faveur du bien commun. En accomplissant cette tâche, elle se réfère toujours à l’engagement du Christ. Il rend visible et crédible, par sa vie, sa mort et sa résurrection, le témoignage de son amour envers Dieu et le prochain. Et l’engagement de l’Eglise s’inscrit donc dans le sillage de cet engagement christique.1131 Ainsi, l’Eglise

catholique, déjà engagée, ne peut pas ne pas accomplir sa mission. Elle doit continuer son engagement au service du bien commun au sein de la société malgache. Elle veut précisément signifier comment poursuivre et promouvoir son engagement politique dans un contexte sociopolitique soumis à des changements rapides, constants et profonds. Pour ce faire, l’Eglise doit avoir certains critères nécessaires : la capacité de discerner, le courage de s’engager et le sens de la responsabilité. Ces critères peuvent l'aider à éclaircir et à rendre fructueux son engagement dans le contexte sociopolitique conflictuel que vit le pays depuis quelques décennies.

7.1.1 Avoir la capacité de discerner1132

Quels critères de discernement sont nécessaires dans un engagement ? Quelle est leur importance ?1133 Le discernement est une sensibilité constamment en éveil qui rend le chrétien capable de prendre ses responsabilités avec une fermeté lucide. Christian Baboin-Jaubert a repris ce qu’a dit Paul VI en ce qui concerne le discernement : «…celui-ci devient, dit-il, une nécessité en vue d’entrer dans l’action ».1134 L’homme est quelquefois affronté à des

situations qui rendent le jugement moral moins assuré et la décision difficile. Mais il doit toujours rechercher ce qui est juste et bon et discerner la volonté de Dieu exprimée dans la loi divine. A cet effet, l’homme s’efforce d’interpréter les données de l’expérience et les signes des temps en recourant à la vertu de prudence, aux conseils de personnes avisées et à l’aide de l’Esprit Saint et de ses dons.1135 Le discernement est un critère important dans tout

engagement politique. Les critères de l’engagement sont les valeurs humaines fondamentales, à savoir les droits humains fondamentaux, la démocratie, la justice sociale et la répartition équitable des biens. Ces valeurs doivent être assurées par les autorités politiques et les corps intermédiaires parce qu’elles garantissent la réalisation du bien commun.

Le discernement est important pour tout engagement dans les affaires politiques. L’Eglise catholique à Madagascar ne pose aucun problème à cet engagement mais elle appelle au discernement. A cause de nombreux problèmes sociaux que subit le pays, les évêques malgaches, par le biais de leurs lettres épiscopales, n’ont cessé d’appeler non pas seulement

1130 Cf. supra, La raison d’être de l’autorité politique : le bien commun, p. 151

.

1131 Cf. A.-P. GAUTHIER, Paul Ricœur et l’agir moral responsable. Les figures bibliques du prophète et du témoin, Profac,

Lyon, 2001, p. 124.

1132 Cf. PAUL VI, Octogesima adveniens, n° 36.

1133 Cf. O. ARTUS, Quels critères pour discerner, art. cit., p. 51.

1134 Cf. C. BABOIN-JAUBERT, La morale en politique, Ed. Ouvrières, Paris, 1995, p. 118. 1135 Cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, nn° 1787-1788.

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les chrétiens mais aussi la population tout entière à faire un grand discernement dans le choix des candidats aux élections. Les évêques proposent les valeurs humaines fondamentales comme critère de choix lors des élections. Les chrétiens sont appelés par leurs évêques à faire attention à ce que pensent, disent et font les candidats par rapport à ces critères parce qu’il ne s’agit pas seulement de les professer dans des discours. Les responsables ecclésiaux invitent les électeurs à avoir un regard lucide.1136 Le discernement attentif est recommandé dans tous

les cas. Cependant il ne suffit pas de discerner mais il faut également avoir le courage de s’engager.

7.1.2 Avoir le courage de s’engager

S’engager dans la politique pour chercher le bien-être de la population nécessite un grand courage. Même si l’engagement paraît difficile pour l’Eglise, souligne Calvez, elle a le devoir de s’engager.1137 Ainsi, l’Eglise catholique de Madagascar comme les Eglises

d'Afrique, ne cessent de s’engager politiquement pour l’instauration de la démocratie. Cette position de l’Eglise prouve qu’elle ne fuit pas les réalités. Elle fonde cet appel sur l’engagement du Christ venu pour libérer les opprimés.1138 Pour atteindre ce but, l’Eglise a le

devoir de dénoncer les régimes dictatoriaux et totalitaires, en place depuis des années. Si les élections sont le lieu d’expression de la volonté et de la liberté individuelle et collective, elles sont le moyen approprié pour opérer un changement de régime. Toutefois, la réalité oblige de reconnaître que les élections brisent souvent ce rêve. Face aux multiples défis liés aux élections dans les pays africains et malgache, la question se pose du chemin le plus adéquat à prendre pour aider le peuple à instaurer la démocratie.

L’Eglise en tant qu’institution sociale indépendante, ne peut en aucun cas s’opposer au processus électoral pour instaurer une démocratie véritable dans un pays. De plus l’organisation d’élections libres a permis antérieurement de mettre fin à un régime dictatorial. Voilà pourquoi les évêques malgaches ont encouragé les chrétiens à avoir le courage de s’engager afin de réclamer des élections libres et transparentes. Pour éradiquer les fraudes électorales qui sont sources de disputes et rivalités politiques, il n’y a pas d’autres moyens que de s’engager, comme le démontre le cas des élections en 2001.1139

Accomplir un tel engagement ne plaît pas toujours aux autorités en place, peu enclines à une telle supervision. Le Synode des évêques pour la promotion de la justice dans le monde souligne que la réforme nécessaire des pays sous-développés est un combat à entreprendre avec courage. La modernisation qui dépersonnalise ne se combat pas par le recours aux coutumes ancestrales même vénérables. Le Synode des évêques préconise de s’ouvrir à la modernité pour mieux servir le bien du pays en travaillant à acquérir une véritable personnalité nationale trouvant sa place dans le concert des nations.1140 L’Eglise se veut ouverte à la modernité sans, naïveté et se réserve la possibilité de pouvoir dénoncer ses

1136 Cf. Lettre de la Conférence épiscopale de Madagascar, Engagés dans les affaires nationales, in ESM, Vol. VI (2001-

2005) p. 145.

1137 Cf. J.-Y. CALVEZ, Chrétiens penseurs du social, op. cit., p. 57.

1138 Cf. A.-P. GAUTHIER, Paul Ricœur et l’agir moral responsable, op. cit., p. 125.

1139 Cf. Lettre de la Conférence épiscopale de Madagascar, Engagés dans les affaires nationales, p. 145.

1140 Cf. Deuxième assemblée générale du Synode des évêques, La promotion de la Justice dans le monde, 30 Novembre

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déviances. L’organisation d’élections libres constitue une grande nouveauté au profit du processus démocratique. En acceptant ce principe électoral et en affrontant courageusement ses imperfections, la démocratie qui est source de participation de l’ensemble du peuple,1141 a évidemment sa place dans tout pays.

Jean Paul II réaffirme l’importance du rôle joué par le courage dans la vie de l’homme. Il souligne que la force est une vertu cardinale qui va de pair avec le courage permettant de surmonter la faiblesse humaine et surtout la peur. Les hommes courageux sont capables de franchir la barrière de la peur pour rendre témoignage à la vérité et à la justice.1142 Pour cette raison, l’Eglise doit faire preuve de courage dans son engagement politique et avoir toujours le sens de la responsabilité, malgré les difficultés qu’elle doit traverser.

7.1.3 Avoir le sens de la responsabilité

Pourquoi le sens de la responsabilité est-il important quand il s’agit de l’engagement politique ? La raison en est simple. Il est une exigence de la morale chrétienne, puisque l’homme est créé responsable.1143 Dans tout engagement et surtout en politique, la

reconnaissance du sens de la responsabilité joue un rôle irremplaçable. L’Eglise, en tant qu’institution sociale indépendante, se plaît à souligner que se savoir responsable aide chaque individu, chaque institution étatique ou non étatique à bien gérer la charge qui lui incombe.

De même l’Eglise souligne, dans Gaudium et spes, l’importance de la responsabilité : « Tous les chrétiens doivent prendre conscience du rôle particulier et propre qui leur échoit dans la communauté politique : ils sont tenus à donner l'exemple en développant en eux le sens des responsabilités et du dévouement au bien commun; ils montreront ainsi par les faits comment on peut harmoniser l'autorité avec la liberté, l'initiative personnelle avec la solidarité et les exigences de tout le corps social, les avantages de l'unité avec les diversités fécondes ».1144 C’est la raison qui fait que le chrétien n’a pas le droit de rester indifférent à la politique, ni de s’en désintéresser.1145 Le bien commun de tous l’exige.

Jean Paul II a mis, à son tour, l’accent sur la valeur suprême de la responsabilité au sein de la communauté ou de la société en faveur de la recherche du bien commun. Il fait appel à tous les acteurs principaux dans la société et même à la responsabilisation des plus démunis eux-mêmes en faveur du développement intégral de l’homme et de la réalisation du bien commun. C’est la raison pour laquelle il affirme : « La pratique de la solidarité à l'intérieur de toute société est pleinement valable lorsque ses membres se reconnaissent les uns les autres comme des personnes. Ceux qui ont plus de poids, disposant d'une part plus grande part de biens et de services communs, devraient se sentir responsables des plus faibles et être prêts à partager avec eux ce qu'ils possèdent. De leur côté, les plus faibles, dans la même ligne de solidarité, ne devraient pas adopter une attitude purement passive ou destructrice du tissu social, mais, tout en défendant leurs droits légitimes, faire ce qui leur revient pour le bien de tous. Les groupes intermédiaires, à leur tour, ne devraient pas insister

1141 Cf. C. BABOIN-JAUBERT, La morale en politique, op. cit., p. 123. 1142 Cf. JEAN PAUL II, Audience générale du mercredi 8 novembre 1978.

1143 Cf. A.-P. GAUTHIER, Paul Ricœur et l’agir moral responsable, op. cit., p. 126. 1144 Gaudium et spes, n° 75, 5.

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avec égoïsme sur leurs intérêts particuliers, mais respecter les intérêts des autres. (...) En vertu de son engagement évangélique, l'Eglise se sent appelée à être aux côtés des foules pauvres, à discerner la justice de leurs revendications, à contribuer à les satisfaire, sans perdre de vue le bien des groupes dans le cadre du bien commun ».1146

C’est aussi pourquoi l’Eglise doit s’engager, accomplissant sa fonction critique, en dénonçant les dérapages de politiciens. Ceux-ci sont un obstacle au développement du pays et surtout à la concrétisation du bien commun de tous.

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