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La construction de l’Etat-Nation et la structuration territoriale

Dynamique territoire en Tunisie : de la construction de l'État-Nation à la fragmentation des territoires du développement

A. La construction de l’Etat-Nation et la structuration territoriale

Au 18ème et au début 19ème siècles le territoire tunisien connaissait un manque d'intégration avec

des rapports de conflit-allégeance entre le pouvoir central (celui du Bey de Tunis) et les communautés et les tribus qui contrôlaient la majeure partie de l'espace rural. Ainsi en dehors des territoires qui constituaient l'arrière pays des principales villes et notamment de Tunis et dont la profondeur variait selon la capacité des autorités centrales et des aristocraties urbaines à imposer leur contrôle aux communautés locales, le reste de l'espace rural était soit sous le contrôle direct des communautés villageoises (dans le Sahel de Sousse et de Bizerte et dans la Basse Vallée de la Medjerda) ou oasiennes, notamment dans le Djérid, soit sous le contrôle des tributs qui avaient avec le pouvoir central (le Makhzen) des rapports d'allégeance, lui fournissant les cavaliers et la logistique pour sa m'halla116 lors de ses deux périples vers l'intérieur du pays pour la collecte de l'impôt, ou des rapports de conflit plus ou moins ouvert, voire d'insoumission.

Le renforcement du contrôle du pouvoir central sur l'ensemble des communautés locales tout au long de cette période et jusqu’à la fin du 19ème siècle va finalement aboutir à la création d'un état territorial et à l'uniformisation des rapports entre le local et le central et l'affaiblissement du rôle des communautés dans la gestion de leur territoire (Hénia, 2006).

Ainsi à la fin du 19e siècle et du point de vue des systèmes agraires on peut distinguer avec Laurent Auclair (Auclair, 1998) qui lui-même s’inspirait de la description faite par Jean Poncet (Poncet, 1962), trois types de territoire :

• L'espace sous contrôle des grandes villes : Tunis avec l'espace céréalier dans le Nord (Vallées de la Medjerda, les plaines de Mateur et Béjà) et le territoire oléicole de l'arrière pays de Sfax, avec des rapports de domination de la part de l'aristocratie urbaine sur les communautés locales ;

• L'espace ou territoire agropastoral dans le centre et le sud du pays : terres collective des tribus de pasteurs-nomades, avec céréaliculture épisodique et des rapports d'allégeance au pouvoir central de plus en plus affirmés ;

• Le territoire paysan avec des terres melk (propriété privative complète) autour des zones urbaines et dans les montages du centre du pays sous forme de bourgs ruraux (Dachra).

C'est cette dernière forme de rapport à l'espace qui nous semble être la plus proche du contenu du territoire tel que l'on peut le définir actuellement à savoir un rapport étroit et permanent entre une communauté et un espace sur lequel elle exerce une pleine maîtrise, se projetant dans l'avenir par la formalisation plus ou moins consciente d'un projet.

a. La colonisation et la restructuration de l'espace et du territoire

L'action de la colonisation a été déterminante dans le remodelage de l'espace et de l'inscription des systèmes agraires dans le paysage agricole du pays.

Deux éléments peuvent être retenus de cette période : en premier lieux le rôle de la colonisation dans l'extension de la domination des villes sur leur arrière pays et notamment de Tunis qui devient ainsi le centre d'une grande partie de l'espace national, notamment dans la région du nord, même si l'on a assisté à l'émergence de pôles urbains régionaux, mais qui ont gardé un rôle secondaire par rapport à la capitale (Signoles, 1992 et Sethom, 1992). Il y a eu ensuite l'accélération du processus de sédentarisation et de fixation des nomades qui a permis un début d'intégration de l'espace agropastoral au territoire national et au contrôle du pouvoir central et l'extension du territoire melk sous l'effet de la stabilité et de la colonisation agricole (exemple dans l'arrière pays de Sfax, l'extension de l'oléiculture par le biais de la colonisation franco- sfaxienne117).

b. L'indépendance : construction de l'État-Nation et intégration territoriale :

Avec l'indépendance de la Tunisie en 1956, l'objectif de la construction d'un État central fort avec une maîtrise entière sur l'espace national était clairement affiché. Cela devrait se traduire par le parachèvement de la sédentarisation et la déstructuration du rapport tribal et la mise en place et le renforcement d'un pouvoir central, avec l’affaiblissement de toute forme d’organisation de la société civile qui n’est pas légitimée par ce dernier et par son appareil politique le partie unique au pouvoir.

Cette construction va se poursuivre sur une trentaine d’années. On y distingue les étapes suivantes :

117 Terme emprunté à Jean Despois dans sa thèse sur la Tunisie Orientale (Despois, 1955), voir aussi le travail de

Les premières années de l’indépendance (1956 – 64) furent celles de la tunisification de l'appareil administratif, de la mise en place des différents attribues de l'État-nation (monnaie, armée, douane, etc.), et enfin nationalisation des terres agricoles de la colonisation,

Les années 1960 ont été celles de l'expérience socialiste et de la coopérativisation forcée. Cette période a été le lieu d’une tentative d'un développement construit avec la recherche de l'équilibre régional et un développement diversifié des économies régionales. Plusieurs mesures ont été mises en œuvre dans cet objectif et parmi lesquelles on peut citer :

• Adoption de la planification comme outil de développement : préparation des décennales (plan directeur de 10 ans), du premier plan triennal, puis des plans quadriennaux successifs, etc.,

• Programme Optimal de l'agriculture Tunisienne (POAT) qui devait constituer un outil pour la mise en valeur optimale du territoire national, sans toutefois une prise en compte des conditions socio-économiques, sa régionalisation dans les Unités Régionales de Développement…),

• Préparation du premier Schéma National d'Aménagement du territoire qui ne verra le jour qu'en 1974.

Les années 1970, avec le retour au libéralisme, la dynamique de développement sera basée sur une politique d'insertion dans la division internationale du travail (DIT) par le biais de la sous- traitance et la mise en valeur de l'avantage comparatif des bas salaires. Cette politique qui a instrumentalisé l'agriculture au profit du développement industriel, s’est traduite par l’accentuation du déséquilibre régional et par l’accélération de l'exode rural dont les flux ont été absorbés par l'émigration internationale et par la forte croissance urbaine.

Ce modèle de développement a atteint ses limites du fait de l’épuisement des rentes (pétrole, rémittences des salaires des travailleurs émigrés, etc.) qui permettaient son financement. Il va déboucher sur la crise des années 1980. Pour sortir de cette crise et dans une tentative de retarder la mise en place de l’ajustement structurel une politique de recherche d'un meilleure équilibre régional a été adoptée, elle se basait sur :

• la régionalisation du développement : création du Commissariat Général au Développement régional

• la densification du maillage administratif et de l'encadrement des agriculteurs au niveau régional : les CRDA, les Offices des périmètres irrigués,

• la création d'offices de développement pour les régions défavorisées : Tunisie Centrale, Office de Développement Sylvo-pastoral du Nord Ouest, etc.

• la mise en place du programme de développement rural intégré (PDRI) qui sera l'élément phare dans l'effort de développement rural et d'intégration des espaces marginaux à la dynamique de développement national. Ce développement rural qui sera à base territoriale (administratif, local, …) va se superposer un autre développement qui correspond à des échelles emboîtés : national, gouvernorat et local) ou à celui des échelles géographiques mobiles : Tunisie centrale, Nord Ouest, etc.

• l’élaboration de la carte des zones d'ombre et développement ciblé vers ces zones (dégourbification, eau potable, équipement sociaux, etc.).

On peut parler pour la fin de cette période du parachèvement de la construction territoriale au niveau national, avec la fin du semi-nomadisme vers le milieu des années 1980, le renforcement du contrôle de l'État sur l'ensemble du territoire et l'intégration territoriale par l'aménagement du

territoire dans laquelle la politique de développement rural et de mobilisation des ressources naturelles ont joué un rôle important. Ainsi, à tire d'exemple, on peut citer la mise en place d'une politique hydraulique et la construction d'un réseau hydro-agricole et d'eau potable qui constitue une armature du territoire et un élément d'intégration du nord au sud du pays avec trois plan directeurs pour les trois grandes régions du pays, avec une interconnexion des réseaux et des transferts d'eau entre les trois régions (Nord, Centre et Sud).

c. L'ajustement structurel et la recomposition du territoire

L'aggravation de la crise des finances publiques du fait de l'accroissement des besoins de soutien de l'économie et du tarissement des apports des différentes rentes (pétrole, envoi de fonds par les travailleurs émigrés, etc.) a conduit les pouvoirs publics à l'adoption d'un plan d’ajustement structurel. Avec cette nouvelle politique, c'est une rupture complète avec la politique de construction de l’Etat-Nation qui est opérée. Il s’agit, en effet, à la fois d’une mutation du rôle de l'État, du redéploiement de ses modes d'intervention et de l’émergence de nouvelles formes territoriales du développement.

Dans son ensemble, le PAS mis en place en Tunisie ne diffère pas trop des programmes adoptés par les autres pays. Toutefois la Tunisie ayant adopté le programme plus tardivement, elle a pu bénéficier de l'expérience des autres, notamment en matière de filet social et des politiques d'accompagnement.

Le PAS comprend deux composantes principales, la première concerne la stabilisation et vise à améliorer sur le court terme les équilibres financiers internes et externes et la capacité de remboursement de l'État par la compression de la demande locale et par l'accroissement de l'exportation. La seconde cherche sur le moyen et long terme à favoriser les mécanismes de marché par l'allègement de l'intervention de l'État et le renforcement du rôle du secteur privé. Pour le secteur agricole, la mise en œuvre du PAS et de sa composante agricole (PASA), va se traduire par deux éléments fondamentaux : le démantèlement des offices et la mise en œuvre d'une politique de prix supprimant les subventions aux intrants et donnant un plus grand rôle au marché. Le programme comprend aussi une politique de désengagement de l'État et un changement profond dans la politique d'encadrement des producteurs avec un rôle accru attribué aux organisations professionnelles et paysannes.

En effet afin de palier l’affaiblissement des structures d’encadrement étatiques, la politique de développement a mis l’accent sur le rôle des organisations professionnelles et des organisations de base dans l’encadrement des producteurs et dans la gestion des ressources naturelles.

Cette orientation a été encouragée par les bailleurs de fonds à travers les projets financés dans le domaine du développement rural, par la promotion de l’approche participative et par l’organisation des populations cibles sous différentes formes d’organisation de base.

Parallèlement on observe au niveau territorial un début de décentralisation par la création d'organes de gestion au niveau régional qui assurent la participation des élus locaux et des membres des organisations nationales à la gestions des affaires régionales et locales : Conseil rural de développement au niveau des secteurs ruraux, Conseil local de développement au niveau des délégations et Conseil Régional de développement au niveau des gouvernorats (voir tableau) Enfin de nouvelles territorialité émergent au niveau des régions avec un nouveau découpage basé sur la prise en compte des rapports sociaux à côté de l'aspect agricole et écologique, sur le plan économique avec la création de nouvelles formes d’organisation (CSA, AIC pour les périmètres irrigués, etc.), enfin sous forme d’organisation faisant appel à la représentation identitaire basée sur des liens et des rapports tribaux : unités socio-territoriales (UST) créées par des projets de

développement et qui sont basée sur des rapports identitaires qui unissent une population à son territoire.

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