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Essai de typologie des territoires

Dynamique territoire en Tunisie : de la construction de l'État-Nation à la fragmentation des territoires du développement

D. Essai de typologie des territoires

En prenant en considération le poids des projets dans l’émergence du territoire, le rôle de l’administration et de la société civile, ainsi que le poids de l’enjeu économique dans cette émergence, nous pouvons proposer la typologie suivante des territoires de développement. Pour cela, il faut toutefois rappeler qu’il existe une différenciation entre des espaces qui sont intégrés à l’économie globale sans aucune base territoriales, mais sur des capacités intrinsèques de

compétitivité et de développement et soumis à des règle exogènes, par opposition à des territoires qui sont faiblement compétitifs sur la base de leur dotation en ressources, mais qui cherchent à valoriser une dynamique de différenciation qui leur permettrait la révélation des ces ressources et leur transformation en actifs selon la proposition de B. Pecqueur. Cela étant dit, nous pouvons distinguer les différentes formes de territorialisation du développement présentées ci-après.

a. Les territoires de projet

Les projets de développement rural ont eu de tout temps une inscription spatiale de leurs actions de développement. Toutefois cette inscription n’est pas créatrice de territoire. En effet ces projets cherchaient à mettre à niveau l’infrastructure de base de certaines zones ou portions du territoire national sans action de différenciation et de spécification des ressources. Il s’agit en quelque sorte de ce que Bernard Pecqueur appelle un territoire donné, puis à partir d’une démarche ascendante (top-down), ces mêmes projets vont chercher à donner une plus forte consistance à ce territoire et en faire un territoire de développement notamment par la mise en valeur de ses ressources génériques et par la révélation de ressource et leur transformation en actifs spécifiques. Cette démarche va alors s’appuyer sur la mobilisation des acteurs locaux et la création d’une dynamique d’émergence de territoire qui cherche à mettre en avant les spécificités. Ce processus part du constat de l’incapacité de certaines zones de mettre en œuvre un développement économique sur la base de la mise en valeur des ressources génériques, notamment dans les zones les plus marginales et que le développement ne peut se faire que par la révélation et la mise en valeur de ressources spécifiques.

A ce niveau de l’analyse, on peut distinguer, d’une part, les projets portés par l’administration de ceux qui sont portés par des ONG extérieures au territoire en question (nationale ou internationale), d’autre part, les projets portés par les acteurs locaux qui, même s’ils sont rares, feront l’objet d’une catégorie à part.

Dans le premier cas, il s’agit de projets de développement qui ont connu une évolution assez importante dans leur mode d’intervention et l’adoption de l’approche participative et partenariale, inscrivent de plus en plus leurs actions de développement dans un cadre territorial en cherchant à valoriser au mieux les spécificités des terroirs et en les mettant en relation avec les communautés qui en assurent la gestion.

Toutefois, les projets de développement ont tendance à la fragmentation de leur territoire d’intervention à la recherche d’une homogénéité sociale et agro-écologique de telle sorte qu’il devient difficile de parler de territoire dans certains cas. Ainsi, à titre d’exemple, l’identification des unités socio-territoriales opérée par certains projets épouse les limites des douars et leurs terroirs à une échelle très réduite, ce qui rend difficile l’identification à un territoire et une différenciation objective avec l’extérieur

Les ONG extérieures ont adopté la même démarche que l’administration en mettant en avant leur proximité supposée avec les populations et les communautés partenaires de leurs projets de développement. On retrouve à des degrés divers une approche basée sur la mise en avant des spécificités territoriales et la valorisation des facteurs spécifiques sans que pour autant il y ait réellement la recherche d’une différenciation de ces atouts. On reste en effet dans la valorisation de produits génériques, sans une réelle différenciation qui renverrait aux spécificités du territoire en question. La démarche de certaines ONG se confond ainsi avec celle de l’administration vis-à- vis de laquelle elles sont supposées innover.

b. Emergence endogène de territoire de développement : Association ou organisation de base et territorialisation du développement

Il s’agit d’une forme relativement rare, mais qui nous semble intéressante et féconde du fait qu’elle met en œuvre une dynamique interne au territoire et qu’elle s’appuie sur des acteurs locaux qui sont porteurs du projet de développement qui doit avoir une inscription territoriale. En effet, certaines communautés ont pu, à travers des organisations représentatives, mettre en

œuvre des projets qui s’appuient réellement sur une approche territoriale et qui mobilisent les acteurs locaux. Il s’agit d’ailleurs, le plus souvent, de l’action d’une élite issue de la région en question et qui souhaite contribuer au développement local et avoir une prise sur la vie de leur communauté d’origine. L’appui que peuvent apporter certaines ONG ou des projets de développement peut constituer un catalyseur dans l’action de développement.

c. Les territoires liés à la gestion des ressources naturelles

Il s’agit de l’émergence de territoire suite à l’adoption d’une approche participative et partenariale dans la gestion des ressources naturelles. Ainsi par exemple on observe l’émergence de territoires autour des sources d’irrigation notamment dans les périmètres publics irrigués. La création d’association d’intérêt collectif (AIC) pour la gestion de l’irrigation (entretien des équipements, gestion des tours d’eau, etc.) va avoir de fait une inscription spatiale avec un périmètre bien délimité. La plus ou moins ancienneté de l’irrigation et son importance comme facteur de différenciation du dedans et du dehors du territoire fait que celle-ci devient un élément de majeur dans l’émergence d’un territoire. Toutefois dans beaucoup de cas cette action se limite à la gestion du périmètre sans une volonté d’implication dans le développement et sans prise sur les facteurs de différenciation. Dans de rares cas, on peut assister à l’émergence d’une vraie stratégie de développement territorialisé avec la recherche d’une différenciation des produits. Dans le cas des ressources pastorales ou forestières, la territorialisation de l’intervention de l’administration s’appuie sur des organisations de base qui ont pour vocation de relayer l’action des pouvoirs publics et de l’administration au niveau local. Ces organisations deviennent de fait des acteurs de développement rural et de gestion des ressources naturelles. En effet même si leur action portent principalement sur la gestion des ressources naturelles, ces organisations assurent de plus en plus un rôle de représentation de la communauté face aux projets de développement et aux ONG et autres intervenants sur le terrain. Elles acquièrent de ce fait le statut d’acteur majeur dans les changements institutionnels de leur environnement au niveau territorial. Est-ce pour autant qu’il s’agit de territorialisation du développement ? La question reste posée.

d. Territorialisation et ancrage ethno lignager

Il s’agit d’un processus qui peut être endogène avec une initiative qui provient de la population elle-même, celle-ci cherche à mettre en valeur une même appartenance ethnique et une homogénéité sociale et la faire correspondre à un territoire qu’elle revendique. Cette démarche est donc à l’origine une démarche revendicative et d’exclusion par rapport aux groupes étrangers Cette démarche peut être aussi exogène et mise en œuvre par des projets ou par des ONG qui mettent en avant l’homogénéité ethnique afin d’asseoir des actions de développement en promouvant des spécificités locales en rapport avec la spécificité ethnique et l’identification des membre d’une communauté locale avec leur appartenance ethnique et la correspondance du

groupe avec un territoire d’action et de gestion de ressources naturelles. Toutefois ce processus de différenciation n’aboutit pas dans tous les cas à un processus de développement.

e. Territorialisation du développement autour d’enjeux économiques

Cette forme de territorialisation s’articule autour d’enjeux économiques à travers la recherche de la valorisation d’une activité plus ou moins traditionnelle d’une région ou d’une communauté et son développement sur la base d’une action économique de groupe et la recherche d’économie de

transaction. Elle épouse la forme de Coopératives de services agricoles qui jouent un rôle de mobilisation et d’encadrement des acteurs locaux dans le développement et l’organisation d’une filière ou d’un segment de filière.

L’exemple qui permet le mieux d’illustrer une telle démarche est celui des coopératives de service organisées autour de la production laitière, mais on peut aussi citer l’exemple plus ancien des coopératives vini-viticoles dans la région du Cap Bon ou dans les plaines de Mornag qui assurent depuis de longue date la régulation de cette filière dans la région. Dans ce cas l’existence d’appellations d’origines contrôlées pour les vins donne une visibilité encore plus grande à la territorialisation du développement.

Dans le cas du lait, par exemple, la remonté de filière et l’association entre des coopératives de services agricoles et une unité de transformation du lait donne une visibilité à l’assise territoriale de la production et permet la mise en place d’une stratégie de marketing basée sur l’appartenance à un terroir. Sans que cela puisse s’apparenter à la recherche d’une identité géographique, l’accent sur la qualité d’une part et celle portant sur la régularité de l’approvisionnement d’autre part nous semble intéressante à mettre en relief. Par ailleurs la Coopérative permet des économies sur les coûts d’accès au marché et aux service, ce qui permet d’améliorer la rentabilité de la production voire assurer la durabilité de la production dans des conditions de plus en plus contraignantes (sécheresse récurrente et augmentation des prix des aliments de bétail au niveau national et international).

Pour conclure cette typologie, il s’agit d’insister sur le fait que les dynamiques à l’œuvre sont

récentes et de ce fait inachevées et qu’il s’agit plus de processus à l’œuvre que d’un nouvel équilibre. Par ailleurs des freins au parachèvement de ce processus peuvent être mis en évidence notamment en ce qui concerne les conditions d’une bonne gouvernance locale et la capacité des acteurs locaux d’avoir à la fois une vision commune des problèmes qui freinent le développement de leur territoire et les solutions à ces problèmes.

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