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Emergence de la territorialisation du développement

Dynamique territoire en Tunisie : de la construction de l'État-Nation à la fragmentation des territoires du développement

B. Emergence de la territorialisation du développement

L’aboutissement de ce processus d’évolution s’est traduit à la fois par un renforcement du contrôle central de l’Etat sur le territoire national avec un maillage administratif de plus en plus fin, mais parallèlement les exigences de l’ajustement structurel se sont traduites par un début de décentralisation, ce qui a favorisé la mise en place des condition d’une gouvernance locale.

a. Le maillage administratif et l’encadrement du développement

Globalement on peut relever que l'appareil d'administration territoriale est assez développé en Tunisie. Il s'agit d'un appareil qui combine à la fois les formes modernes de l'administration hérité de la période coloniale et développée depuis et qui intègre pour le milieu rural des éléments

de l'administration traditionnelles avec au niveau de l'échelon de base (le Secteur) un fonctionnaire (le Omda) qui a hérité les attributions du Cheikh, mais qui est nommé par le pouvoir central avec la responsabilité de gérer une imada (Secteur correspondant le plus souvent à une ancienne Cheikha). Actuellement le découpage est le suivant :

• Le niveau national : administration centrale

• Le Gouvernorat : le gouverneur et le conseil régional de développement*

• La Délégation : Le délégué et le Conseil Local de développement

• Le secteur : le Omda et le Conseil rural dans le cas de l'existence d'un début d'urbanisation.

Ce découpage présente, malgré un héritage jacobin, un appareil administratif complètement déconcentré avec un maillage du territoire assez fin, avec les communes en milieu urbain et les secteurs en milieu rural. Ce maillage permet une transmission de l'information et de la décision de haut en bas et de l’information de bas en haut. Il permet aussi un contrôle assez poussé de la population et sa mobilisation pour les différentes formes d'action de développement.

Mais malgré ce maillage, l'efficacité de ces structures dans l'émergence de territoires de développement est encore relativement médiocre du fait de sa non représentativité en milieu rural. En effet contrairement au milieu urbain où les présidents de communes sont élus ainsi que les conseils municipaux, en milieu rural, les secteurs ou Imadas sont gérés par un fonctionnaire du Ministère de l'intérieur. La tradition veut qu'il soit le plus souvent un notable de la région, mais cela ne permet pas de pallier l'absence de représentativité démocratique.

Parallèlement, la Tunisie dispose d'un maillage assez fin du territoire pour les différentes administrations sectorielles, notamment celle qui sont concernées par les actions de développement : agriculture, éducation, santé, artisanat, infrastructure, etc. Il faut toutefois faire remarquer que pour certaines administrations le maillage est moins fin et leurs représentations se limitent au niveau des Gouvernorats.

De point de vue fonctionnement, le principal reproche est le manque de coordination entre ces différentes administrations. Ainsi dans le domaine agricole par exemple les représentations régionales des différentes directions reçoivent leur ordre et leur programme d'action directement de Tunis, le Commissaire Régional au développement agricole n'a que peut de moyens de coordonner les activités des différents arrondissements. Il en est de même pour les autres secteurs. Ceci ne permet pas une réelle intégration des actions de développement et encore moins une action concertée avec les populations. C'est uniquement à l'occasion de la préparation du plan

de développement quinquennal qu'il y a un effort de coordination et de mise en cohérence des différentes interventions.

En ce qui concerne l’appui au développement, il existe un maillage de services, mais moins dense que celui de l’administration avec une différence assez importante entre les régions. Par ailleurs les ONGs de développement jouent un rôle assez important, là où elles existent, dans ce maillage et à travers des actions de soutien aux initiatives de développement : micro-crédit, diagnostic et programme de développement, soutien à la commercialisation de certains produits, etc.

La création d'un office par région défavorisée pour la promotion de l'investissement : Office de développement du Sud (ODS), Office de Développement du Centre Ouest (ODCO), Office de développement du Nord Ouest (ODNO). Ces services permettent d'apporter un soutien aux différentes initiatives de développement qui émergent ici et là, venant de l’administration ou de la société civile.

b. Le développement régional

"Le développement régional a toujours intéressé toutes les institutions de l’Etat du moment qu’il s’agit d’un objectif national depuis l’indépendance à nos jours. Toutefois les institutions les plus concernées ont toujours été le Ministère de l’Intérieur, celui du Plan, ainsi que les services et les organismes dont ils assurent la tutelle aussi bien à l’échelle centrale que régionale. En 1994, le ministère du Plan a subi une réorganisation conséquente avec la nouvelle répartition des rôles entre le secteur public et le secteur privé et une nouvelle dénomination lui a été donnée de ministère du développement économique." (Stratégie nationale d’aménagement rural, 1997). Depuis la publication de ce document les fonctions et la dénomination de ce ministère ont changé, il s’agit actuellement du ministère du développement économique et de la coopération internationale.

Il en de même du ministère de l’intérieur qui a pris la dénomination de Ministère de l’intérieur et du développement régional, pour mettre en avant son rôle dans le développement régional qui devient un axe important dans la politique nationale de développement notamment depuis le Xème

Plan (2001 – 2006).

Dans ce paysage, c’est le ministère du Plan qui "veille à travers les études engagées, la planification, les institutions qu’il supervise et les encouragements institués, à un meilleur développement régional durable et équilibré. Il reste entendu que ce développement est conçu et concerté avec les différents ministères notamment le ministère de l’intérieur supervisant les gouvernorats et les collectivités locales (communes, conseils régionaux, etc.)." (Stratégie nationale d’aménagement rural, 1997).

Par ailleurs, un organisme sous tutelle du Ministère du Plan a eu un rôle important dans la définition et l’orientation prise par le développement régional et notamment le développement rural, il s’agit du Commissariat général au développement régional (CGDR). "Cette institution a été créée en 1981 dans le but d’identifier des programme régionaux, de suivre leur exécution et d’assister les régions à mieux participer à la planification… En 1994, avec la création des offices régionaux de développement les prérogatives du CGDR ont été amendées" (Stratégie nationale d’aménagement rural, 1997).

En effet, dans le cadre de l’encouragement des initiatives privées, dans un premier temps, trois sociétés de développement régional ont été créées (Nord, Centre, Sud). Ces sociétés identifient des projets à l’échelle régionale et assistent les promoteurs à leur réalisation. Cette assistance est très variée allant de l’étude, à la recherche de financement et même à la prise de participation dans le capital. Puis par une loi en 1994, il y a eu création des offices de développement du Nord

Ouest et du Centre Ouest (les régions les plus défavorisées du pays). De même les prérogatives de l’Office de développement du Sud ont été actualisées. Ces nouvelles créations, ainsi que l’actualisation des rôles de certaines institutions s’inscrivent dans le cadre d’une politique visant à mieux doter les régions en institutions spécialisées dans le développement aptes à remplir leur mission d’une façon concertée et harmonieuses. (Stratégie nationale d’aménagement rural, 1997).

c. Les structures décentralisées de développement

Il s’agit essentiellement des conseils régionaux (CR) créés en 1989, qui relèvent de l’administration territoriale du ministère de l’intérieur et qui résultent de la transformation des conseils de gouvernorat. Les CR ont été conçus comme étant des structures responsables de la conception, de l’exécution et du suivi des différents programmes régionaux, ainsi que de l’élaboration des plans d’aménagement du territoire hors des périmètres communaux.

Toujours dans un souci d’efficacité et d’un meilleur encadrement, un conseil local de développement a été créé au niveau de chaque délégation en 1994. Il s’agit d’un conseil consultatif, présidé par le délégué et qui est considéré comme un prolongement du conseil régional. Il est chargé d’assurer la coordination entre les communes et les conseils villageois (ou ruraux : créés au niveau des secteurs ruraux qui ne sont pas érigés en commune) et constitue aussi un cadre de concertation entre les différents intervenants à l’échelle de la délégation, notamment dans le domaine de la protection de l’environnement, des programmes de sauvegarde de la nature, de la rationalisation de l’exploitation des ressources naturelles et de leur préservation et conservation. (D’après la Stratégie nationale d’aménagement rural, 1997).

"Dans l’ensemble, les institutions mises en place pour les activités de développement régional offrent un cadre a priori adéquat pour la mise en œuvre d’un développement décentralisé et harmonieux sur le plan territorial. En effet, d’après les missions et les attributions des institutions, un tel cadre est en mesure de cerner tous les aspects de la vie socio-économiques, y compris l’aménagement rural." (Stratégie nationale d’aménagement rural, 1997).

d. Dynamique institutionnelle et densification du tissu associatif

Afin de pallier au redéploiement des modes d’intervention de l’Etat et au démantèlement de certaines structures d’appui, on a assisté d’une part à un changement des modes d’approches de développement par l’adoption d’une approche participative et par la promotion des organisations de base et des ONG afin d’apporter un appui à l’encadrement des populations rurales.

Globalement le tissu associatif a connu un développement assez appréciable depuis la mise en place de l'ajustement structurel et de l'adoption de l'approche participative comme base du développement local. Ces organisations sont de différentes natures, allant de l’organisation de base des producteurs ou des ruraux, à l'association de développement ou de promotion d'une activité culturelle, etc. On rencontre ainsi les formes suivantes :

• Comité de développement : CD informel au niveau d'un douar ou d'un groupe de douar ;

• Coopératives de service agricole : centré sur une activité économique et inscrite territorialement (niveau délégation)

• AIC, GFIC, GCES : des groupements d'intérêt collectif pour la gestion d'une ressource naturelle: eau, forêt, etc.

• GDA : groupement de développement agricole : qui représente une tentative de lutte contre la multiplication des formes d'organisation et surtout contre la fragmentation des territoires de développement

Le cadre juridique

Afin d’accompagner ce mouvement et lui donner une assise juridique un ensemble de textes de loi a été promulgué. Il a été par la suite adapté à l’évolution sur le terrain à plusieurs reprises. Il existait déjà depuis bien avant la politique d'ajustement structurel une législation sur les associations de gestion des ressources hydrauliques (AIC) qui a un caractère territorial, puisque liée à une ressource, comme il existe aussi une législation sur les coopératives de service qui sont par nature liée à un territoire. Cette législation a été réactivée avec la mise en place du PAS, ce

qui s'est traduit par la généralisation des associations d'intérêt collectif à la gestion des ressources naturelles (forêts, parcours, aménagement de conservation des eaux et du sol, etc.). Depuis plusieurs changements ont été porté avec en dernier la promulgation d'une loi pour la création des groupements de développement agricole et de pêche qui ont une vocation territoriale bien définie et qui ont vocation d'intervenir dans le processus de développement local en tant que partenaire de l'administration et des ONG.

Le rôle des projets et des ONG

De leur côté les projets ont aussi participé au développement de ces structures. En effet, afin de mettre en pratique l'approche participative et donc d’avoir la population "cible" comme partenaire, les projets de développement ont été souvent conduits à susciter voir imposer la création d'association ou de structure informelles qui représente la population dans une cadre de dialogue et de négociation. De fait la multiplicité des projets de développement fait que ce type d'organisation ou d'association est relativement frèquent au niveau de l'espace rural tunisien. Mais, leur mode de création fait qu’elles restent peu efficaces notamment en termes de représentativité et surtout de durabilité après la fin du projet. En effet nous connaissons peut d'expérience où la création d'une telle structure a perduré après l'arrêt du projet qui été à l'origine de leur création. Même si dans une certaine mesure ces associations ont un impact sur la territorialisation du développement, elles ne sont pas porteuses d'une action durable.

On rencontre une troisième catégorie d’associations territoriales, celles qui ont été créées par les ONG. En effet pour les mêmes raisons que dans le cadre des projets et afin d'être en harmonie avec leur philosophie d'un développement participatif, les ONGs elles aussi suscitent de plus en plus la création d'associations au niveau local afin d'avoir un interlocuteur et un partenaire organisé. Toutefois la présence de ce type d'association est encore moins fréquente que dans le cas de celle créées ou suscitées par les projets et par l'administration.

Le mode de création et les rapports que peut avoir l'ONG avec les structures de ces associations semblent donner des résultats meilleurs en terme de fonctionnement sur le terrain que dans le cas des associations créées par les projets. C'est aussi le cas en termes de durabilité, puisque les associations deviennent des partenaires privilégiés des ONGs en question qui peuvent leur faire appel pour leurs différents projets. Mai il ne faut pas occulter le fait qu’ici aussi les enjeux de pouvoir peuvent constituer un frein à l'efficacité de ce type d'association.

Les associations territoriales spontanées sont relativement rares. Il en existe toutefois quelques unes qui ont pour vocation le développement d'un territoire. Il s'agit dans certains cas d’associations créées par des intellectuels originaires de certaines localités ou communautés et

qui cherchent à promouvoir le développement de leur région d'origine. Mais il peut aussi s'agir d'association de jeunes ou de notables locaux qui cherchent à promouvoir le développement local en drainant des ressources budgétaires et en créant des structures aptes à constituer des réceptacles pour des projets éventuels. Ces associations, quand elles réussissent à éviter le piège de la marginalisation, peuvent être efficace et avoir un fonctionnement qui donne un sens à la construction territoriale et au développement local.

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