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La victoire des conservateurs en 1951 et le rejet de l’austérité

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

1.2. Les représentations de la Seconde Guerre mondiale de 1945 à nos jours en

1.2.2. La victoire des conservateurs en 1951 et le rejet de l’austérité

Le Parti travailliste sortit vainqueur des élections de 1950, mais avec une faible majorité seulement101. Malgré ce résultat mitigé, les travaillistes espéraient pouvoir consolider leur projet politique. Le second gouvernement d’Attlee ne dura cependant qu’un an, et de nouvelles élections furent organisées en octobre 1951. Cette fois-ci les travaillistes perdirent d’une courte tête102, et Churchill revint au pouvoir.

Plusieurs facteurs semblent pouvoir expliquer ce revirement de situation. De nombreuses figures clé du Gouvernement (Bevin, Bevan, Cripps, Dalton et Morrison) étaient en effet malades ou tout simplement épuisées par dix ans d’implication politique intense. Par ailleurs, la cohésion au sein du parti travailliste fut mise à rude épreuve par des divisions internes, et notamment la dispute entre Hugh Gaitskell et Aneurin Bevan, qui conduisit ce dernier à démissionner en 1951103. De leur côté, les conservateurs étaient parvenus à se réorganiser autour du président du parti, Lord Woolton, et le parti redevint une machine électorale efficace (ce qu’elle n’avait pas été pendant les élections de 1945). Toutefois, l’élément qui semble avoir été décisif dans la défaite des travaillistes fut la politique d’austérité et de sacrifice, comme le rationnement et la dévaluation, qui fut rejetée par les Britanniques.

À la fin des années 1940, la rhétorique travailliste de l’économie planifiée changea sensiblement. La planification, décrite avant la guerre par Attlee comme étant la clé d’un monde meilleur, devint après 1947 le moyen d’imposer des choix économiques difficiles dans l’intérêt de la survie nationale. « Qu’est-ce que la planification nationale, si ce n’est insister sur le fait que les êtres humains doivent prendre des décisions d’ordre éthique à l’échelle nationale ? » demandait Aneurin Bevan à la conférence du Parti travailliste en 1949.

seen to play a central role in the management of the economy in association with other less direct tools, such as budgetary policy and credit policy. In contrast, the Conservative government saw no role whatsoever for such permanent controls, relying solely on the more indirect tools. »

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Les travaillistes obtinrent 315 sièges, les conservateurs 298 et les libéraux 9.

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Les conservateurs obtinrent 321 sièges, les travaillistes 295 et les libéraux 6.

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La nomination de Gaitskell à la place de Bevan en tant que Chancelier de l’échiquier en octobre 1950 semble avoir été à l’origine de leur dispute.

Robert Crowcroft et Kevin Theakston, « The Fall of the Attlee Government, 1951 », dans Timothy Heppell et Kevin Theakston, How Labour Governments Fall. From Ramsay Macdonald to Gordon

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Il continuait ainsi : « La planification signifie que vous devez vous demander : qui vient en premier ? Qu’est-ce qui est le plus important ? […] Les priorités sont la religion du Socialisme. »104 Les propos de Bevan sont une défense subtile des coupes budgétaires du Gouvernement dans l’investissement et les services sociaux, dont le programme de logement de Bevan avait lui-même été une victime. Le « plan for plenty »105 des travaillistes fut supplanté par des mesures d’austérité.

Ce changement de direction chez les travaillistes fut en grande partie dû à la situation économique extrême à laquelle la Grande-Bretagne fut confrontée au sortir de la guerre. Les problèmes rencontrés par le pays n’étaient plus les mêmes que ceux des années 1930 que la politique de planification travailliste avait, à l’origine, cherché à rectifier. Pour de nombreux Britanniques, la politique d’austérité du Gouvernement fut associée à Stafford Cripps, figure emblématique des « priorités » de la rhétorique de planification des travaillistes. Dans un discours de 1949, Cripps, alors chancelier de l’Échiquier, établit clairement que la priorité était la reconstruction industrielle de la Grande-Bretagne :

Vous comprendrez que tant que le pays sera ainsi appauvri, en raison des efforts considérables consentis pendant les deux guerres mondiales, nos propres exigences de consommation doivent figurer en fin de liste de nos priorités. En premier vient l’export […], puis l’investissement de capitaux dans l’industrie, et en dernier viennent les besoins, le confort et les équipements de la famille106.

Ce discours de Cripps s’inscrit dans la perspective churchillienne du « blood, sweat and tears ». Avec l’austérité venait également l’idée que l’économie devait faire une large place à l’État. En Grande-Bretagne, beaucoup perçurent l’action du gouvernement travailliste comme étant dans la droite lignée des gouvernements de guerre. De plus, les déclarations du Gouvernement furent désormais centrées non seulement sur la nécessité d’une abnégation collective – en limitant la consommation dans l’intérêt national – mais aussi sur le rôle des travailleurs individuels dans la stimulation de la production. La philosophie de Cripps de planification démocratique atteignit son apogée, et il devint clair que le concept travailliste d’avant 1945 d’économie planifiée en remplacement des mécanismes de marché avait été abandonné. Bien que Cripps ne l’ait pas inventée, il apparut personnifier la double stratégie d’austérité et d’exhortation au renoncement, et fut surnommé « Austerity Cripps ».

104

Labour Party Annual Conference Report, Londres (1949), p.172.

« What is national planning but an insistence that human beings shall make ethical choices on a national scale ? Planning means that you ask yourself the question : which comes first ? What is the most important ? […] The language of priorities is the religion of Socialism. »

105

Michael Young, Labour’s Plan for Plenty, Londres : V. Gollancz Limited (1947).

106

Cité dans Hedley Smyth, Property Companies and the Construction Industry in Britain, Cambridge : Cambridge University Press (1985), p.123.

« You will see, then, that as long as we are in this impoverished state, the result of our tremendous efforts in two world wars, our own consumption requirements have to be last in the list of priorities. First are exports […] ; second is capital investment in industry ; and last are the needs, comforts and amenities of the family. »

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Le retour de Churchill au poste de Premier ministre en 1951 marqua une nouvelle politique intérieure. Bien que la plupart des engagements travaillistes en matière de politique économique et sociale fussent maintenus, les conservateurs furent en mesure d’utiliser le boom économique des années 1950 pour supprimer la plupart des mesures de contrôle que les travaillistes avaient jugé nécessaires. Sur les posters des conservateurs, on pouvait lire en 1955 : « Queues, controls, rationing – don’t risk it again » (« les queues, les contrôles, le rationnement – ne courez pas à nouveau ce risque »)107. L’austérité rendue nécessaire par la crise de 1940 appartenait désormais au passé, et le sentiment général était que les Britanniques devraient avoir le droit de profiter des fruits de la victoire.

En 1951, le Festival of Britain fut présenté comme le symbole d’une nation ressuscitée et tournée vers l’avenir. Pourtant, malgré le progressisme de la politique de l’époque, la culture populaire était éminemment tournée vers le passé. Avec l’effondrement symbolique des anciennes divisions de classes, la Grande-Bretagne rechercha un réconfort spirituel dans de nouvelles formes traditionnelles d’auto-projection nationale108.

La Grande-Bretagne semble avoir traversé ce que l’on pourrait appeler une crise identitaire à la fin des années 1940. La guerre perturba profondément la société, jusqu’à lors très attachée à la différentiation des classes sociales : le modèle du gentleman fut remplacé en 1945 par celui de l’ouvrier au travail. Cela fut mal pris par toute une fraction de la société, qui associa la notion de travail à la vulgarité. Apparut alors une Grande-Bretagne nostalgique de l’ordre ancien, qui reprocha aux travaillistes de s’attacher au mythe de la « People’s War ».

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