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Thatcher et la mémoire de la Seconde Guerre mondiale

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

1.2. Les représentations de la Seconde Guerre mondiale de 1945 à nos jours en

1.2.4. Thatcher et la mémoire de la Seconde Guerre mondiale

Contrairement à la Seconde Guerre mondiale, la guerre des Malouines n’a jamais été perçue comme ayant été une victoire du peuple. De même, et bien que cela puisse paraître surprenant, elle n’a jamais été considérée comme une victoire du parti conservateur. Il semblerait plutôt que ce fut Margaret Thatcher en personne qui en récolta les lauriers ; pour beaucoup, les Malouines demeurent sa plus grande réussite personnelle. Et en effet, le gouvernement de Thatcher, après avoir été accusé d’être la réincarnation de l’administration Chamberlain, fut transformé en l’espace de quelques mois en le digne héritier des valeurs churchilliennes.

Dès le début du conflit, la presse britannique acquise à la cause de Thatcher concentra ses attaques sur une section du parti conservateur qui affichait un moindre soutien aux principes du Premier ministre, qu’elle surnomma « the wets », « les lâches ». Pour la presse thatchérienne, les « wets » étaient les dignes successeurs de Chamberlain. En avril 1982, la presse populaire de droite avait tendance à calomnier Lord Carrington, qui fut présenté comme un nouveau Chamberlain136. Après la perte d’un navire de ravitaillement, l’Atlantic Conveyor, l’éditorial du Daily Mail compara les soucis de Churchill et les épreuves auxquelles il fut confronté avec ceux de Thatcher ; il annonça cependant : « [Churchill] était combattif. Et qui peut aujourd’hui douter que nous soyons gouvernés par une personne

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Cité dans Martin Middlebrook, Operation Corporate. The Story of the Falklands War 1982, Londres : Viking (1985), p.388.

« All of us here feel extremely humble at the incredible cost of sending the Task Force, so much being accomplished by so many for just so few. All through history, Britain has waited until she has been kicked, made a fool of, and almost too late before doing something about it. But once the British bulldog gets his teeth into something, look out ! […] Obviously British still is best. »

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combattive ? »137 Immédiatement après la victoire, Robin Oakley, correspondent politique du

Daily Mail, fit un portrait particulièrement churchillien de Thatcher :

[L]a victoire appartient également à celle dont le courage a porté la Grande-Bretagne dans les moments de doute : le Premier ministre, Margaret Thatcher. […] Cette victoire n’est pas seulement une victoire militaire. Elle fait partie de ces événements qui peuvent redonner courage à une nation et changer le cours de son histoire. Elle redonne fierté et confiance en soi à la Grande-Bretagne138.

Selon cette hagiographie, c’est Margaret Thatcher qui a réussi à redorer le blason de la Grande-Bretagne en tant qu’acteur mondial et qui a été à l’origine d’une renaissance nationale. En cela, sa réputation diffère de celle de Churchill ; quoi que ce dernier ait pu penser de sa contribution à la victoire, il ne manqua pas de souligner le rôle de la population britannique. Il aimait à dire que les Britanniques étaient le lion, et qu’il n’était que son rugissement. Le 8 mai 1945, Churchill prononça le discours suivant devant la foule réunie à Whitehall :

Dieu vous bénisse tous. C’est votre victoire ! […] Notre pays n’a jamais connu de jour plus glorieux que celui-ci. Chacun d’entre vous, hommes et femmes, avez fait de votre mieux. Chacun s’y est employé. Ni les longues années, ni les dangers, ni les attaques féroces de l’ennemi ne sont parvenus à affaiblir la détermination inflexible de la nation britannique. Dieu vous bénisse tous139.

L’interprétation thatchérienne de la guerre des Malouines insiste, quant à elle, sur la victoire personnelle du Premier ministre. En 1945, la défaite de Churchill aux élections l’avait empêché de construire une paix conservatrice ; en 1982, Thatcher était déterminée à rectifier cette soi-disant injustice. La guerre des Malouines fut le précurseur et la catalyse de la société thatchérienne ; l’élection de 1983 devaient réparer les torts de celle de 1945. L’émission de télévision satirique Spitting Image, diffusée sur la chaîne ITV de 1984 à 1996, représenta Margaret Thatcher vêtue d’un bleu de travail et fumant un cigare. Le succès d’une telle caricature tient cependant à l’utilisation de codes, en l’occurrence le bleu de

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Ibid., p.279. The Daily Mail, 27 mai 1982.

« He was a fighter. And is there anyone who can doubt that we are being led by a fighter today ? »

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Ibid. The Daily Mail, 15 juin 1982.

« [T]he victory belongs to one woman whose courage has carried Britain through the moments of doubt – Prime Minister Margaret Thatcher. […] This is more than a military victory. It is one of those moments which can lift a nation’s mood and alter its history. It is the restoration of Britain’s pride and self-confidence. »

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Discours de Winston Churchill, le 8 mai 1945.

« God bless you all. This is your victory ! […] In all our long history we have never seen a greater day than this. Everyone, man or woman, has done their best. Everyone has tried. Neither the long years, nor the dangers, nor the fierce attacks of the enemy, have in way weakened the unbending resolve of the British nation. God bless you all ! »

Dans l’enregistrement original, Churchill insiste sur « your » : « This is your victory ! »

<https://www.winstonchurchill.org/learn/speeches/speeches-of-winston-churchill/123-this-is-your- victory>

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travail et le cigare. Le fait que les téléspectateurs aient saisi les références derrière ces symboles atteste de la durabilité de l’image de Churchill.

En 1990, une réaction au thatchérisme « pur » commençait à se faire sentir en Grande-Bretagne, mais le Parti conservateur continua à faire le lien entre ses positions actuelles avec Churchill et la Seconde Guerre mondiale. Tout comme en 1940, les conservateurs espérèrent changer leur image en congédiant ceux qui, aux yeux de la majorité des Britanniques, étaient trop vieux jeu ou déconnectés de la réalité. Cependant, en présentant ce triomphe du thatchérisme au travers d’images de la Seconde Guerre mondiale, les conditions furent réunies pour une réinterprétation des événements de 1939- 45 selon des principes thatchériens. Pour l’historien Martin Shaw,

Pendant la guerre des Malouines, Margaret Thatcher a clairement tenté, plus que n’importe quel Premier ministre britannique, de raviver un nationalisme de guerre et la croyance dans l’héroïsme britannique, et de redonner ses lettres de noblesse au pays […]. L’appropriation de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale par Thatcher a toutefois limité la vision de l’expérience de la guerre, étant donné qu’elle souhaitait s’approprier le patriotisme tout en laissant de côté l’idée d’une expérience partagée, créatrice d’égalité, sous la menace140.

L’interprétation thatchérienne de la Seconde Guerre mondiale engendra également une réinterprétation du mythe de la « People’s War », afin de pouvoir l’inclure dans une mémoire conservatrice du conflit.

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