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Le débat sur l’identité britannique dans les années 1990

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

1.3. Le repositionnement de l’identité britannique

1.3.3. Le débat sur l’identité britannique dans les années 1990

Les radicalismes culturels des années 1960 et 1970 furent suivis dans les années 1970 et 1980 par une accumulation de craintes qui pesèrent sur la conscience publique – la question européenne, la violence en Irlande du Nord, la montée des nationalismes écossais et gallois, l’« éclatement » de la Grande-Bretagne, l’immigration etc. Les controverses qui en découlèrent mirent en lumière une confusion importante dans le processus d’identification nationale.

Les années 1990 furent dominées en Grande-Bretagne par un vaste débat autour de l’identité nationale britannique. Au cœur de ce débat se trouvaient deux interrogations principales – la première concernait la nature de l’identité britannique (« Britishness »), tandis que la deuxième s’inquiétait de l’avenir de la Grande-Bretagne et de son éclatement éventuel. L’historien Tom Nairn s’était interrogé dès la fin des années 1970 sur le phénomène de dissolution culturelle de la britannicité et la résurgence des contre- nationalismes gallois et écossais. Dans son ouvrage The Break-Up of Britain. Crisis and

Neo-Nationalism, publié pour la première fois en 1977, Nairn suggère que le déclin impérial

de la Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale entraîna une crise identitaire, qui exacerba les fractures ethniques qui avaient toujours existé dans la société britannique à l’apogée de son empire. Pour lui, la montée en puissance de l’Europe, en tant qu’alternative à l’État britannique, fournissait une option politique viable à un sentiment contre-nationaliste au sein de la Grande-Bretagne. Dans le sillage de Tom Nairn, de nombreux historiens s’interrogèrent sur ce phénomène dans les années 1990. Leurs travaux, aux titres évocateurs, adhéraient à la théorie de Nairn selon laquelle la Grande-Bretagne en tant qu’entité politique et culturelle était sur le déclin162.

Bien que le questionnement sur l’identité britannique n’ait été annoncé officiellement qu’au début des années 1980, il existait depuis 1948. Toutefois, à l’époque, les décideurs politiques avaient estimé que les divisions pouvaient être reléguées au second plan afin de conserver le prestige international qui découlait d’une vision impériale unifiée. Dans les années qui suivirent, et plus particulièrement dans les années 1950 et 1960, ces efforts furent mis à mal à la fois par les mouvements migratoires plus importants vers la Grande- Bretagne, et par le démantèlement de l’Empire britannique163.

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Voir, entre autres, Tom Nairn, The Break-Up of Britain. Crisis and Neo-Nationalism, Londres : New Left Books (1977), Andrew Gamble, Britain in Decline, Londres : Macmillan (1981), John Redwood,

The Death of Britain? The UK’s Constitutional Crisis, Basingstoke : Macmillan (1999), Peter Hitchens, The Abolition of Britain, Londres : Quartet (1999), Andrew Marr, The Day Britain Died, Londres :

Profile Books (2000).

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Kathleen Paul, « Communities of Britishness : migration in the last gap of empire », dans Stuart Ward (éd), British Culture and the End of Empire, Manchester : Manchester University Press (2001), p.196.

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L’administration de Tony Blair, élu en 1997, fut caractérisée par un regain d’intérêt pour la question de l’identité britannique. Les politiques et les journalistes prirent part à un vaste débat sur la façon dont les habitants des différentes nations du Royaume-Uni se définissaient, à la lumière de nouvelles problématiques telle que la dévolution, avec le tout nouveau Parlement écossais (établi en 1998 par le Scotland Act), l’assemblée nord- irlandaise (créée en 1998) et l’assemblée du pays de Galles (créée en 1999). La question centrale de ce débat semble avoir été de savoir si une identité britannique universelle et singulière pouvait avoir sa place dans un contexte où les identités nationales écossaises, irlandaises et galloises étaient de plus en plus présentes.

Les réponses à cette interrogation furent bien évidemment multiples. À droite, l’ancien leader du Parti conservateur, William Hague, regrettait la fragmentation de la britannicité dans la frange celtique ; cependant, il estimait que le temps était venu pour une nouvelle identité de voir le jour, qui redonnerait un sentiment de fierté à l’Angleterre. Faisant référence à la « vague de drapeaux rouge et blanc » des supporters anglais lors de la coupe du monde de football en 1998, il déclara que le nationalisme anglais était en train de renaître, et qu’il serait dangereux de le contenir164. Hague voulait ainsi faire du Parti conservateur la voix de l’expression de ce sentiment patriotique anglais, qui aurait remplacé la britannicité si celle-ci avait été amenée à disparaître.

Pour les travaillistes en revanche, la britannicité était loin d’être condamnée à disparaître : elle se voyait au contraire renforcée par les sentiments nationalistes écossais, gallois et irlandais. Pour le Premier ministre Tony Blair, tous les habitants du Royaume-Uni, quelle que fût leur nationalité ou leur origine, pouvaient être fiers de leur nationalité britannique. Bien que les conservateurs et les travaillistes n’aient pas été d’accord sur l’avenir de la britannicité, ils semblent néanmoins s’être entendus sur le fait que celle-ci fut autrefois une réalité. En d’autres termes, une identité nationale britannique singulière et universelle, qui englobait les habitants du Royaume-Uni et de l’Empire britannique, aurait existé jusqu’à la dévolution des pouvoirs.

À la fin des années 1990, William Hague tenta de lier l’histoire de la « People’s War » avec celle de la nouvelle droite conservatrice, en réponse aux attaques répétées de Tony Blair contre les « forces du conservatisme » (« forces of conservatism »). Pour Hague, les conservateurs sont les garants des libertés et des aspirations de la population : le Parti conservateur et les Britanniques sont liés depuis 1940, partageant des valeurs et un esprit communs. D’après Hague, les leaders conservateurs partagent des objectifs communs depuis 1940, établissant ainsi un lien entre Thatcher, Major et lui-même avec Churchill, Butler, Eden et Macmillan. Cette vision particulière présente le passé et le présent comme

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The Guardian, « English Drumbeats », le 17 juillet 1999.

<http://www.theguardian.com/theguardian/1999/jul/17/guardianleaders> Page consultée le 23/04/2014.

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une union sacrée hostile à des concepts tels que la centralisation ou la réglementation excessive. Cette interprétation de William Hague n’est ainsi pas seulement destinée aux opposants du Parti conservateur, mais également à l’Union européenne :

Winston Churchill et les Britanniques ne faisaient qu’un, alors que nous étions seuls et que nous sauvâmes l’Europe de la tyrannie. Rab Butler et les Britanniques ne faisaient qu’un, alors que nous généralisâmes la gratuité de l’éducation et offrîmes des opportunités à des millions d’enfants. Harold Macmillan et les Britannique ne faisaient qu’un, alors que nous apportâmes la prospérité au monde froid et gris d’après-guerre. Margaret Thatcher, John Major et les Britanniques ne faisaient qu’un, alors que nous libérâmes la nation de l’intervention de l’État165.

Les déclarations de William Hague évoquent une évolution intéressante du Parti conservateur de 1940 jusqu’à nos jours. Celle-ci évoque non seulement l’image de Churchill, liée encore une fois à celle de Thatcher, mais aussi aux réformes conservatrices. Elle cherche ainsi à s’approprier l’héritage de la « People’s War », transformée ici en manifeste du Parti conservateur.

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