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1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

1.5. La déconstruction du mythe de la guerre

L’un des effets du regain d’intérêt pour l’histoire de la Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale est que celle-ci a été soumise à d’importantes révisions. L’historien Paul Addison remarque que

les historiens tentent de démêler la vérité telle qu’ils la voient des mythes de la propagande de guerre et des récits intéressés, entre autres, des politiciens. L’interprétation patriotique de la guerre, présentant les Britanniques comme un peuple uni, anobli par la lutte contre la dictature, a été remplacée par un récit plus terre à terre dans lequel les aspects de la société en temps de guerre les plus susceptibles de diviser l’opinion ou les plus déshonorants sont mis en avant. Autrefois peuplé d’aimables Cockneys se riant du Blitz, le home front est désormais peuplé d’hommes politiques sectaires, de gérants incompétents, de travailleurs absentéistes, de maris et de femmes infidèles, de racistes, de pilleurs, de trafiquants du marché noir et autres prototypes du Britannique moyen183.

La déconstruction des mythes de la Seconde Guerre mondiale fut un exercice très populaire pendant les années Thatcher, et ce partiellement en réaction à ses concepts controversés de nation, d’identité nationale et de société. Peut-être pouvons-nous établir une distinction entre ce que l’historien Mark Connelly appelle les « révisionnistes utiles » (« useful revisionists ») et les « révisionnistes sensationnalistes » (« sensationalist revisionists »)184. Des historiens tels que Harold L. Smith, Steven Fielding, Peter Thompson, Nick Tiratsoo,

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Paul Addison, « Churchill and the Price of Victory : 1939-1945 », dans Nick Tiratsoo (éd), From

Blitz to Blair. A New History of Britain Since 1939, Londres : Phoenix (1998), p.54.

« Historians have been trying to disentangle the truth as they see it from the myths of wartime propaganda and the self-interested accounts of politicians and others. The patriotic interpretation of the British at war as a united people, ennobled by the struggle against an evil dictatorship, has been replaced by a more streetwise account in which the divisive and discreditable aspects of wartime society are well to the fore. Once full of neighbourly Cockneys defying the Blitz, the home front has been repopulated with factious politicians, incompetent managers, malingering workers, unfaithful husbands and wives, racists, looters, black marketeers and other prototypes of Essex Man. »

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Penny Summerfield ou encore Ross McKibbin se sont penchés sur les interprétations de la guerre fermement ancrées dans l’imaginaire populaire afin d’étudier l’impact du conflit sur la société britannique185. L’historien Angus Calder analysa notamment l’un des épisodes majeurs de l’histoire populaire britannique : le Blitz. Son ouvrage The Myth of the Blitz, publié en 1991, explique comment et pourquoi le mythe fut créé, sans tomber dans une différentiation manichéenne entre la vérité/réalité et les images créées. Il démontre que le mythe fut créé par la population qui acceptait certaines interprétations des événements, elles-mêmes souvent inspirées par les médias.

C’est en cela que Calder se démarque de ceux que Connelly nomme les « révisionnistes sensationnalistes » tels que Clive Ponting et Nicholas Harman. Le seul point commun entre Calder, Ponting et Harman est que tous trois estiment que l’année 1940 est la plus propice à la « mythologisation » de la guerre. Pour Ponting, les épisodes de Dunkerque, de la bataille d’Angleterre et du Blitz furent une succession d’échecs cuisants ; la seule façon de ne pas briser les Britanniques moralement était de contrôler l’information et de présenter les événements sous un jour positif et facteur d’espoir. Bien que son ouvrage 1940. Myth

and Reality soulevât le débat lors de sa publication en 1990, il n’eut aucune incidence sur la

façon dont la Grande-Bretagne se souvient aujourd’hui de Dunkerque, de la bataille d’Angleterre et du Blitz. Harman adopta une position similaire dans son ouvrage Dunkirk.

The Necessary Myth, publié en 1981, et dans lequel il déconstruisit le mythe de Dunkerque.

Stuart Hylton s’employa également à déconstruire le mythe de la Seconde Guerre mondiale dans son ouvrage Their Darkest Hour. The Hidden History of the Home Front,

1939-45, qui se veut un « antidote au sentimentalisme excessif envers les années de

guerre »186. Hylton y évoque entre autres l’expérience parfois traumatisante de l’évacuation, le crime et l’internement des étrangers pendant la guerre.

Les arguments de ces historiens ne sont pourtant pas nouveaux dans l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale. Une grande partie des thèses avancées par Ponting, Harman et Hylton se trouvent dans The People’s War de Angus Calder, ou encore dans les mémoires de Spike Milligan, artiste et écrivain antimilitariste d’origine irlandaise, rédigées dans les années 1970 et 1980. En outre, les Britanniques continuent de croire aux mythes

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Harold L. Smith (éd), Britain and the Second World War. A Social History, Manchester : Manchester University Press (1996) ; Steven Fielding, Peter Thompson et Nick Tiratsoo (éds),

England Arise ! The Labour Party and Popular Politcs in 1940s Britain, Manchester : Palgrave

Macmillan (1995) ; Penelope Summerfield, Reconstructing Women’s Wartime Lives. Discourse and

Subjectivity in Oral Histories of the Second World War, Manchester : Manchester University Press

(1995) ; Ross Mckibbin, Classes and Cultures in England 1918-1951, Oxford : Oxford University Press (1995).

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Stuart Hylton, Their Darkest Hour. The Hidden History of the Home Front, 1939-45, Stroud : Sutton Publishing (2001), p.vii.

« This book […] is my personal antidote to the excessive sentimentality which still exists in some quarters about the war years. »

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supposément erronés ou fabriqués de la Seconde Guerre mondiale ; l’imaginaire populaire domine encore grandement la perception du passé.

1.6. Le « boom mémoriel » et la déconstruction du mythe de la Seconde Guerre

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