• Aucun résultat trouvé

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

1.3. Le repositionnement de l’identité britannique

1.3.4. L’influence de l’administration Blair

Les conservateurs ne furent pourtant pas les seuls à avoir établi des analogies avec la Seconde Guerre mondiale pour interpréter les événements auxquels la Grande-Bretagne est confrontée. Tony Blair compara la guerre du Kosovo en 1999 aux atrocités commises pendant 1939-1945 : « Le temps est venu pour notre génération de réfléchir au combat de nos parents contre le régime d’Hitler »166. Pendant les opérations au Kosovo, le Premier ministre mit systématiquement en garde contre les erreurs du passé :

Le conflit auquel nous sommes actuellement confrontés au Kosovo met à l’épreuve notre engagement et notre détermination à faire en sorte que le XXIème siècle ne débute pas avec le spectre des pires événements qui se sont déroulés en Europe au cours du siècle dernier167.

165

The Guardian, « Hague pins his hopes on the pound », le 8 octobre 1999.

« Winston Churchill and the British people, hand in hand, as we stood alone and saved Europe from tyranny. Rab Butler and the British people, hand in hand, as we extended free education and brought opportunity to millions of children. Harold Macmillan and the British people, hand in hand, as we brought prosperity to the cold, grey post-war era. Margaret Thatcher and John Major and the British people, hand in hand, as we freed the nation from state intervention. »

<http://www.theguardian.com/politics/1999/oct/08/conservatives1999.conservatives3> Page consultée le 23/04/2014.

166

The New York Times, « Crisis in the Balkans : Britain ; Blair Rallies Public Support After China Embassy Strike », le 10 mai 1999.

« It is time for my generation to reflect on the fight of our parents’ generation against Hitler’s regime. » <http://www.nytimes.com/1999/05/10/world/crisis-balkans-britain-blair-rallies-public-support-after- china-embassy-strike.html>

Page consultée le 23/04/2014.

167

57

Le secrétaire britannique de la Défense, Geoffrey Robertson, utilisa également le spectre de l’apaisement pour justifier la participation de la Grande-Bretagne aux opérations de l’OTAN. Il déclara le 28 mars :

Nous ne pouvons pas ne pas intervenir. Nous devons tirer les leçons de la montée au pouvoir d’Hitler. Si nous nous étions révoltés contre cette tyrannie plus tôt, alors peut- être le cours de l’Histoire aurait-il été bien différent. Plus que quiconque, les Britanniques comprennent que la politique d’apaisement n’a pas fonctionné dans les années 1930, et qu’elle ne fonctionnera pas plus dans les années 1990. Voilà pourquoi nous avons dû rappeler Milosevic à l’ordre, avant que la violence n’éclate dans les Balkans168.

La crainte de reproduire avec Milosevic les mêmes erreurs qu’avec Hitler fut renforcée par la violence des images diffusées à la télévision, montrant la déportation de masse et l’évacuation des Kosovars albanais. Ces images faisaient écho à la politique étrangère britannique des années 1930, et servirent de justification à la guerre au Kosovo. Le 18 mai, Geoffrey Robertson déclara à la Chambre des communes :

Au cours de la séance de questions qui suivirent mon discours, un vieil homme se leva pour s’entretenir avec moi. Il me dit qu’il avait été envoyé à Auschwitz lorsqu’il était jeune. Ce vieil homme me dit, ainsi qu’à tous ceux qui étaient présents, qu’en tant que survivant de l’Holocauste, il savait reconnaître un génocide, et que c’était ce qui était en train de se produire aujourd’hui au Kosovo. M. Michael Sanki nous rappela qu’après la Seconde Guerre mondiale, nous dîmes d’une seule voix « Plus jamais ça ». […] Pour ma génération et pour beaucoup d’autres dans ce pays, qui avons la chance de vivre dans une démocratie aujourd’hui, le temps est venu de dire « Plus jamais ça »169.

Le recours à l’image de la Seconde Guerre mondiale n’est ainsi pas uniquement l’apanage des conservateurs. Le conflit demeure un important système de référence en Grande-

« The conflict we now face in Kosovo is a test of our commitment and our resolve to ensure that the 21st century does not begin with a continuing reminder in Europe of the worst aspects of the century now drawing to a close. »

168

« Britons support NATO strikes », BBC News, le 28 mars 1999.

« We [can]not simply stand idly by. We must learn the lesson of the early days of Hitler. Had we stood up against this tyranny earlier, the course of history might have been very different. More than most, the British people understand that appeasement did not work in the 1930s. Nor will it in the 1990s. And so we had to bring Milosevic to heel, before the spark of violence erupt[s] throughout the Balkans.»

<http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/306010.stm> Page consultée le 23/04/2014.

169

Débat à la Chambre des communes, le 18 mai 1999, volume 331, colonne 966.

« During the question session that followed my speech, a small old man rose at the back of the hall to put a point to me. In the silence of the meeting, he told me that he had been in Auschwitz concentration camp in Nazi Germany in his youth. That small old man told me and the people at the meeting that, as a holocaust survivor, he could recognise genocide when he saw it and that he was seeing it again today in Kosovo. Mr. Michael Sanki reminded us that, after the Second World War, we all said “Never again”. [...] For my generation and so many others in this country – who are very lucky to be alive in a democracy today – this is our moment to say and to mean “Never again”. »

58

Bretagne ; l’utilisation qui en est faite n’est cependant pas la même chez les travaillistes et les conservateurs.

Le fait que la Seconde Guerre mondiale soit toujours extrêmement présente dans la culture nationale britannique est à l’origine d’un certain sentiment de méfiance envers les étrangers. Depuis le début des années 1980, une grande partie de la rhétorique conservatrice se fonde sur une interprétation simpliste de l’Union européenne et de l’intégration. Pour les Britanniques, l’année 1940 est celle où la Grande-Bretagne a sauvé le monde. Cependant, d’après Malcolm Smith, les événements les plus marquants de l’année 1940, à l’époque, furent la débâcle française et ses implications militaires. Il semblerait qu’aujourd’hui en Grande-Bretagne, la participation de la France et de son empire à la lutte contre le fascisme soit largement sous-estimée. Toutefois, et comme Malcolm Smith le rappelle, cette différence de point de vue n’enlève rien à l’exploit réalisé par la Grande- Bretagne en 1940 ; elle le place simplement dans un contexte différent170. Les légendes britanniques ne sont pas sans fondement ; elles doivent simplement être replacées dans un contexte plus large.

Les Britanniques, du fait d’une interprétation limitée de la Seconde Guerre mondiale, semblent en avoir mal compris les enjeux ; cette vision restreinte engendra le malaise et la confusion envers le reste de l’Europe. Le 4 mars 1947, la France et le Royaume-Uni signèrent à Dunkerque un traité d’alliance et d’assistance mutuelle contre une éventuelle agression allemande. Le même jour, le célèbre caricaturiste David Low illustra dans l’Evening Standard la portée symbolique de ce traité visant également à resserrer les relations entre les deux pays, personnalisés dans la caricature par Ernest Bevin (alors ministre des Affaires étrangères) et son homologue français Georges Bidault171. David Low proposa sa vision de la nouvelle alliance franco-britannique en des termes typiquement britanniques. La caricature présente un Ernest Bevin particulièrement jovial, vêtu d’un uniforme militaire, rejoignant sur la plage Georges Bidault, vêtu comme un poilu. Sous la caricature figure la légende « Return to Dunkirk » (« Retour à Dunkerque »). Le message est très clair : la Grande-Bretagne est revenue non pas en tant que partenaire égal de la France, mais en tant que protectrice de cette dernière. La France a besoin de la Grande-Bretagne, mais la réciproque n’est pas vraie ; la Grande-Bretagne peut compter sur la mer pour la protéger.

170

Smith, Britain and 1940, op. cit., p.8.

171

The Evening Standard, le 4 mars 1947.

The Centre for the Study of Cartoons and Caricature, University of Kent, référence DL2695. <http://library.ukc.ac.uk/cartoons>

59

Outline

Documents relatifs