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L’identité britannique et la question européenne

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

1.3. Le repositionnement de l’identité britannique

1.3.1. L’identité britannique et la question européenne

Depuis les années 1950, le déclin économique et diplomatique du pays constitue la problématique principale de la politique britannique. Les gouvernements conservateurs et travaillistes ont constamment cherché à préserver l’influence de la Grande-Bretagne sur l’échiquier mondial. Le démantèlement de l’Empire à la fin des années 1950 et au début des années 1960 ne constitua pas l’abandon du rôle mondial que jouait la Grande-Bretagne, mais plutôt une tentative de le préserver. C’est cette logique qui conduisit le pays à développer ses propres armes nucléaires. En 1946, le travailliste Ernest Bevin, alors ministre des Affaires étrangères, convainquit le gouvernement britannique que le pays devait construire sa propre bombe atomique ; il aurait alors déclaré « Il faut qu’il y ait un Union Jack dessus »145. En 1954, Churchill confirma cette position en déclarant au Gouvernement que la Grande-Bretagne ne pouvait pas espérer conserver son influence mondiale si elle ne se dotait pas du nucléaire146. Il apparaît que les conservateurs et les travaillistes étaient d’accord sur la nécessité que la Grande-Bretagne demeure une puissance mondiale majeure. À partir des années 1950, le nucléaire devient l’équivalent de la marine britannique avant 1914.

Les partis conservateur et travailliste étaient cependant en désaccord au sujet des relations que la Grande-Bretagne devait entretenir avec les pays d’Europe continentale de l’ouest qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, se dirigeait vers une intégration économique et politique. Les divisions sur la question européenne entre les conservateurs et

144

Smith, Britain and 1940, op. cit., p.126.

145

Cité dans Martin J. Dedman, The Origins and Development of the European Union, 1945-2008. A

History of European Integration, deuxième édition, Abingdon : Routledge (2010), p.31.

« [W]e’ve got to have the bloody Union Jack flying on top of it. »

146

Cité dans Kathleen Burk, « How did the Anlo-American Relationship become ‘essential’? », p.9. « [W]e could not expect to maintain our influence as a world power unless we possessed the most up- to-date nuclear weapons. »

<http://britishscholar.org/wp-content/uploads/2012/09/KB-Anglo-American-Relations2.pdf> Page consultée le 23/04/2014.

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les travaillistes, et surtout au sein de chaque parti, sont complexes. En 1961, le conservateur Harold Macmillan, alors Premier ministre, décida de mener une étude sur l’accueil qui serait réservé en Grande-Bretagne à une éventuelle adhésion à la Communauté Économique Européenne. Le Parti travailliste s’opposa à une telle décision, et Hugh Gaitskell, alors leader du parti, alla jusqu’à dire que cela constituerait une trahison envers l’histoire millénaire de la Grande-Bretagne147. Pourtant, en 1967, ce fut le gouvernement travailliste d’Harold Wilson qui tenta pour la deuxième fois de faire adhérer la Grande-Bretagne à l’Europe. En 1973, ce fut à nouveau le tour des conservateurs d’essayer, cette fois avec succès. La même année, James Callaghan, membre éminent du parti travailliste, déclara que son parti devait « défendre la langue de Chaucer et de Shakespeare »148. En 1975, le Parti travailliste organisa un référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à la CEE. Près des deux tiers des Britanniques votèrent en faveur du maintien au sein de la CEE. Il est intéressant de noter que c’est en Angleterre que le vote pro-européen obtint le plus de suffrages avec 68,7% des voix, contre 58,4% des voix en Écosse par exemple149. Il se peut que ces statistiques soient liées à des questions de géographie davantage qu’à des questions de nationalité, étant donné que c’est dans le sud-est de l’Angleterre – plus proche du continent – que les votes pro-CEE étaient les plus élevés. Pendant les années 1980, Margaret Thatcher vint à personnifier le sentiment anti-européen du Parti conservateur ; pourtant, son successeur, John Major, déclara qu’il ne laisserait jamais l’identité britannique « se perdre dans l’Europe fédérale »150. Il semblerait que ce commentaire anti-européen ait en partie reflété l’opinion publique britannique. En 1992, un sondage révéla que 60% des Allemands et 52% des Français déclaraient se sentir européens, contre 28% des Britanniques151.

Dans les années 1990 le Parti travailliste était davantage pro-européen que le Parti conservateur. Cela peut certainement s’expliquer par la capacité des travaillistes à voir l’identité nationale comme un élément de changement, et pas comme quelque chose de statique et de figé. Par ailleurs, à l’époque, l’Europe semblait aussi devoir avoir une dimension sociale. Dans les années 1960, Harold Wilson avait proposé une « New Britain », alliant la technologie (« the white heat of technology ») à un nouveau plan économique national. Cependant, dans les années 1970, les relations sociales tendues, la montée du chômage, le déficit de la balance des paiements, l’immigration et les voix de plus en plus nombreuses en faveur de la dévolution amenèrent les conservateurs à la conclusion que la

147

Stephen George et Deborah Haythorne, « The British Labour Party », dans John Gaffney (éd),

Political Parties and the European Union, Londres : Routledge (1996), p.113.

148

Kenneth O’Morgan, Britain since 1945. The People’s Peace, édition révisée, Oxford : Oxford University Press (2001), p.339.

149

David Powell, Nationhood and Identity. The British State since 1800, Londres : IB Tauris (2002), p.237.

150

Cité dans Robert Hewison, Culture and Consensus. England, Art and Politics since 1940, Londres : Methuen (1995), p.9

« I will never, come hell or high water, let our distinctive identity be lost in a federal Europe. »

151

Stephen Haseler, The English Tribe. Identity, Nation and Europe, Londres : Macmillan (1996), p.144.

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Grande-Bretagne, en tant que nation, était sur le déclin. D’après l’historien Robert Hewison, « [a]u moment du Jubilée d’argent de la Reine en 1977, les sentiments de déclin national et de dissension étaient endémiques »152.

Dès les années 1970, la Grande-Bretagne commença à s’interroger sur la nature de l’identité britannique. Pour l’historien Paul Ward, le fait que les conservateurs aient choisi de nommer une femme à la tête du parti de même que la victoire de Margaret Thatcher en 1979 sont le signe qu’ils souhaitaient apporter une réponse à cette crise identitaire, et faire revivre en Grande-Bretagne un sentiment de fierté nationale. Le thatchérisme invoqua le concept traditionnel de la britannicité, celui-ci étant davantage exclusif qu’inclusif, faisant des syndicats, des personnes touchant les aides sociales et les personnes de couleur, « the enemy within »153.

Après la ratification du traité de Maastricht, les conservateurs et les travaillistes changèrent leurs positions respectives sur la question européenne. Les conservateurs devinrent de plus en plus anti-européens, ce qui causa des divisions au sein du parti. Dans les années 1990, le Parti conservateur était si profondément divisé au sujet de l’Europe qu’une rupture entre les pro et les anti-européens était envisageable. Le New Labour fut en revanche davantage associé à une politique pro-européenne 154 . Ce contexte fut particulièrement favorable à une interrogation sur l’identité britannique.

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