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La Seconde Guerre mondiale dans le débat historiographique en Écosse

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

2.1. La représentation de la Seconde Guerre mondiale en Écosse

2.1.7. La Seconde Guerre mondiale dans le débat historiographique en Écosse

Force est de constater que l’historiographie de l’expérience écossaise de la Seconde Guerre mondiale est aujourd’hui encore très peu fournie. L’historienne Catriona M. M. MacDonald s’est interrogée sur le manque d’ouvrages historiques dédiés à la Seconde Guerre mondiale en Écosse, qu’elle qualifie de « no man’s land » historiographique :

Les lecteurs avides d’un corpus grandissant de travaux académiques consacrés à l’Écosse au XXème siècle chercheront en vain un ouvrage exhaustif dédié à l’histoire de l’Écosse pendant la Seconde Guerre mondiale252.

Elle regrette que les rares ouvrages qui abordent le sujet ne s’intéressent qu’à des sujets disparates et guère représentatifs de l’expérience de la population écossaise dans son ensemble, tels que, par exemple, le Scottish Office, Tom Johnston, le sort de la 51st Highland Division ou encore le rôle joué par les forces polonaises dans la défense intérieure de l’Écosse253.

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« Centenaire de la Première Guerre mondiale : combien de « poilus » de votre département parmi les victimes ? Ou comment sont nés les mythes des 240 000 morts bretons, des 40 000 morts corses ou de la « chair à canon » des troupes coloniales », le 9 novembre 2013.

<http://www.slate.fr/story/79759/carte-morts-premiere-guerre-mondiale> Page consultée le 24/01/14.

251

Morvan Lebesque, Comment peut-on être Breton ? Essai sur la démocratie française, Paris : Editions du Seuil (1984), p.33.

252

MacDonald, op. cit., p.105

« Avid readers of a growing corpus ofacademic works on Scotland’s twentieth century will look in vain for a comprehensive text dedicated to Scotland’s war-time history. »

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La culture politique en mutation d’après-guerre attira l’attention des historiens sur la classe ouvrière écossaise – cette tendance semble avoir davantage reflété l’influence grandissante du Parti travailliste en Écosse que de nouvelles perspectives. Au cours des années 1960, les travaux des sociologues mirent en évidence l’apparente homogénéité grandissante de la Grande-Bretagne, et les similitudes qui existaient dans toutes les sociétés industrielles. Cette mise en avant de l’histoire économique mit au second plan l’histoire politique écossaise, tournée principalement vers les affaires paroissiales de la politique ecclésiastique. Cet intérêt pour l’histoire paroissiale écossaise fit que les contributions écossaises au développement britannique furent grandement ignorées, et l’histoire britannique étrangère, impériale et politique fut examinée au travers d’une perspective anglaise254.

L’intérêt pour l’histoire écossaise émergea dans les cercles académiques dans les années 1970 en raison de la montée du SNP. Les suppositions d’une homogénéité britannique et le pouvoir de l’assimilation historique furent remis en question, et les historiens furent appelés à rendre compte de ce phénomène. Toutefois, les études de l’Écosse politique moderne s’essoufflèrent après l’échec de la dévolution en 1979 lorsqu’une assemblée écossaise ne se concrétisa pas et que l’analyse des historiens n’était plus nécessaire pour expliquer les raisons pour lesquelles le nationalisme écossais sortirait vainqueur255.

À partir de 1979, l’histoire sociale écossaise et la période pré-moderne revinrent sur le devant de la scène. Cela semble avoir été une conséquence de la difficulté à trouver un cadre approprié aux problèmes de l’Écosse moderne en tant qu’entité politique. En étudiant l’histoire écossaise à travers la perspective de sa population, la question plus délicate du statut politique de l’Écosse pouvait ainsi être évitée, étant donné que l’histoire était présentée en des termes sociaux et économiques plutôt qu’en des termes de développement politique256.

Alors que le morcellement de l’Empire britannique se profilait, certains commentateurs prédirent que le déclin impérial pèserait sur l’Union anglo-écossaise. Dès 1937, Andrew Dewar Gibb, professeur de droit constitutionnel à l’université de Glasgow et nationaliste convaincu, notait que « [l]’existence de l’Empire demeure depuis près de trois siècles le facteur le plus important dans la préservation des relations entre l’Écosse et l’Angleterre. »257 Pour Gibb, les liens politiques entre les deux pays ne résisteraient pas à l’épreuve du temps sans l’Empire pour les cimenter. De même, l’historien Sir Reginald Coupland estimait dans

254

Richard J. Finaly, « Controlling the Past : Scottish Historiography and Scottish Identity in the 19th and 20th centuries », Scottish Affairs, numéro 9 (1994), p.136.

255

Ibid., pp.136-137.

256

Ibid., p.137.

257

Andrew Dewar Gibb, Scottish Empire, Londres : A. MacLehose and Company (1937), p.311. « The existence of the Empire has been the most important factor in securing the relationship of Scotland and England in the last three centuries. »

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son dernier ouvrage en 1954 qu’en raison de la montée potentielle des nationalismes écossais et gallois, l’Irlande ne serait peut-être pas la dernière nation des Iles Britanniques à quitter le Royaume-Uni258.

Pour reprendre les termes de Catriona M. M. MacDonald, le « no man’s land » est toujours de mise dans l’historiographie de l’expérience écossaise de la Seconde Guerre mondiale. Les publications sont si peu nombreuses qu’il nous est possible d’en donner ici une liste exhaustive : seuls deux ouvrages sont entièrement consacrés à l’Écosse pendant le conflit. Le premier, Scotland in World War II, fut publié en 1997259 ; cet ouvrage est principalement illustré de photographies couleur et en noir et blanc qui cherchent à représenter le quotidien des Écossais durant la guerre. Il contient également un bref chapitre sur les soldats écossais ayant prit part aux campagnes militaires à l’étranger. Ce court ouvrage (45 pages) eut une circulation très limitée, et il est aujourd’hui épuisé. Il n’a pas vocation de mettre en avant les spécificités écossaises de la Seconde Guerre mondiale ; il se veut plutôt une chronique illustrée du quotidien en Écosse pendant le conflit. Le deuxième est A Time of Tyrants. Scotland and the Second World War du journaliste et historien écossais Trevor Royle, publié en 2011260 ; il bénéficie quant à lui d’une plus grande visibilité auprès des lecteurs écossais et britanniques. Cet ouvrage est le seul dans l’historiographie récente à couvrir le sujet plus vaste de la Seconde Guerre mondiale, et non pas seulement un épisode particulier du conflit. L’auteur s’explique sur ses motivations dans la préface :

Cet ouvrage est la suite de The Flowers of the Forest, récit du rôle joué par l’Écosse pendant la Première Guerre mondiale et qui fut publié en 2006. Sa structure est similaire et cherche à lier l’histoire militaire de la Seconde Guerre mondiale avec le récit du rôle politique, social et économique de l’Écosse pendant le conflit. Tout comme son prédécesseur, son but n’est pas de se contenter d’écrire l’histoire de la guerre telle qu’elle fut perçue par les Écossais, ou d’envelopper ses événements majeurs dans un kilt. Il s’agit au contraire de l’histoire du rôle joué par l’Écosse et les Écossais dans la gestion britannique (et plus largement alliée) d’une guerre très différente du précédent conflit mondial261.

Il apparaît effectivement que Royle ne cherche pas à prouver que l’Écosse a vécu la Seconde Guerre mondiale d’une façon distinctement écossaise. Il cherche au contraire à conceptualiser l’expérience écossaise du conflit et à la replacer dans le contexte plus large

258

Sir Reginald Coupland, Welsh and Scottish Nationalism. A Study, Londres : Collins (1954), pp.12- 13.

259

Richard Dargie, Scotland in World War II, Hove : Wayland (1997).

260

Royle, A Time of Tyrants, op. cit.

261

Ibid, préface p.xi

« This book was conceived as a sequel to The Flowers of the Forest, an account of the part played by Scotland in the First World War, which was published in 2006. It is similar in structure and sets out to bring together the military history of the Second World War with an [sic] narrative about Scotland’s political, social and economic role during the conflict. Like its predecessor the intention is not simply to write a history of the war as seen through Scottish eyes or to wrap its main events in akilt. Rather, it is the story of the role played by Scotland and Scots in the British (and wider Allied) management of a war which was very different from the preceding global conflict. »

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de la guerre totale. Royle offre ainsi une perspective écossaise de la guerre à son lecteur. Pour se faire, il examine la façon dont la position géographique de l’Écosse lui accorda une importance majeure dans l’import de matériel de guerre, dans la conduite d’opérations navales et aériennes, de même que pour l’entraînement militaire des troupes régulières et commandos262. Il étudie également la nouvelle mixité sociale provoquée en Écosse par l’arrivée de troupes polonaises et de réfugiés d’Europe de l’Est263. Une grande partie de l’ouvrage de Royle est consacrée aux aspects militaires de la guerre et au rôle des régiments écossais en Europe et en Afrique du Nord, dont il ne manque pas de souligner les spécificités et le courage exemplaire. Il déclare ainsi au sujet de la 51st Highland Division :

La composante la plus importante de l’armée territoriale en Écosse, source de fierté nationale, était la 51st Highland Division, qui avait été l’une des meilleures formations militaires britanniques de la Première Guerre mondiale, et dont la réputation n’était plus à faire264.

Si de son propre aveu Royle ne cherche pas à « vêtir d’un kilt » l’expérience écossaise de la Seconde Guerre mondiale, son analyse du conflit ne porte pas moins les traces d’une certaine fierté patriotique qui tend vers une forme de nationalisme – bien que cela ne semble guère surprenant de la part de l’auteur de l’unique récit historique à ce jour consacré à la perspective écossaise de la Seconde Guerre mondiale :

Bien que les combats en Europe prirent fin avec la débâcle de Dunkerque et ne recommencèrent pas avant le Débarquement du 6 juin 1944, les formations militaires écossaises s’illustrèrent dans de nombreux théâtres de guerre et eurent une participation significative à l’effort de guerre national, à une époque où la Grande- Bretagne se battait seule pour sa survie, aidée des forces de ses Dominions et des forces libres de plusieurs pouvoirs européens en exil265.

Interrogé sur la problématique centrale de son ouvrage et sur le sentiment de fierté nationale tacite qui y figure, Royle explique :

J’ai eu à cœur de ne pas exagérer le rôle joué par l’Écosse et les Écossais pendant les deux guerres mondiales puisque toutes deux furent des conflits globaux britanniques. Cependant, je pense avoir trouvé assez d’éléments dans les deux guerres pour justifier l’accent mis sur l’Écosse.

262 Ibid., p.179. 263 Ibid., pp.229-238. 264 Ibid., p.48.

« The most important manifestation of the Territorial Army in Scotland, and a source of great national pride, was the 51st (Highland) Division which had been one of the leading British military formations of the First World War, with a reputation second to none. »

265

Ibid., p.157.

« Although the fighting in Europe had been ended by the collapse at Dunkirk, and would not be resumed again until the D-Day landings in June 1944, there were several other theatres of war in which Scottish military formations made a signal contribution to the national war effort at a time when Britain was fighting for its life, virtually alone, together with the forces of its Dominions and the free forces of various European powers-in-exile. »

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La rédaction des deux ouvrages me fut suggérée par l’éditeur, Hugh Andrew ; je ne fus pas tout de suite convaincu par sa proposition. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à consulter les archives que j’ai compris qu’il y avait beaucoup de choses à dire, ne serait-ce que parce que les deux guerres furent encadrées par les débats sur l’indépendance et la dévolution266.

La dernière remarque de Royle est intéressante. Le fait que les deux conflits furent effectivement suivis de débats sur la souveraineté nationale de l’Écosse eut un impact sur leur commémoration, et l’image du fier guerrier Écossais vêtu de son kilt devint un symbole national.

La plupart des ouvrages publiés en Écosse sur la Seconde Guerre mondiale s’intéressent à des épisodes particuliers du conflit. Les sujets d’étude les plus représentés sont le Home Front écossais, la 51st Highland Division et le Clydebank Blitz. La grande majorité de ces ouvrages furent publiés dans les années 2000, s’inscrivant ainsi dans le mouvement historiographique plus vaste de la Seconde Guerre mondiale de ces dernières années. Ce courant est vraisemblablement une réaction au peu d’ouvrages historiques consacrés jusqu’ici à l’expérience écossaise de la guerre, et témoignent certainement d’une volonté de la retranscrire avant que la mémoire vivante du conflit ne se soit définitivement éteinte.

Il semble que la récente tendance à présenter une expérience typiquement écossaise de la Seconde Guerre mondiale soit une réaction aux représentations traditionnelles du conflit, aux accents éminemment anglo-britanniques. Les bombardements allemands de Clydebank sont connus en Écosse sous le nom de « Clydebank Blitz ». Bien que ceux-ci fussent terribles et causèrent de nombreuses victimes, ils ne durèrent que deux jours, tandis que la campagne de bombardements contre les principales villes anglaises (Londres la première), connue sous le terme générique de « Blitz », dura plus de huit mois. Si les deux événements n’apparaissent guère comparables, le terme de « Clydebank Blitz », auparavant marginal, s’est aujourd’hui généralisé en Écosse. Peut-être faut-il y voir le désir de mettre en avant une expérience partagée par tous les Britanniques, et pas uniquement par les londoniens. Les représentations de la Seconde Guerre mondiale dans la culture populaire découlent principalement de la propagande, qui été majoritairement centrée sur la capitale britannique.

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Entretien réalisé le 12/06/2012.

« I was keen not to over-exaggerate the role played by Scotland and Scots in the two world wars as both were UK global conflicts. However I found enough in both wars to warrant the Scottish emphasis. Both books were suggested to me by the publisher Hugh Andrew and initially I wasn’t impressed by the proposal. It was only when I started looking into the archives that I realised that there was a lot to be said, not least because the two wars were book-ended by the home rule / devolution debate. »

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