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Seconde Guerre mondiale et euroscepticisme

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

1.3. Le repositionnement de l’identité britannique

1.3.2. Seconde Guerre mondiale et euroscepticisme

La position ambiguë de la Grande-Bretagne envers l’Europe n’est bien évidemment pas un élément nouveau ; la Seconde Guerre mondiale n’a fait qu’accentuer un sentiment de méfiance – voire de désapprobation – envers les étrangers. L’un des principaux facteurs d’unification au sein des nations du Royaume-Uni fut la suspicion envers l’Autre155. Cependant, depuis la réinterprétation thatchérienne et néoconservatrice de la Seconde Guerre mondiale initiée à la fin des années 1970, il semblerait que les Britanniques (et plus sensiblement les Anglais) se soient concentrés essentiellement sur les éléments xénophobes du mythe national de la guerre. Dès qu’une crise menace la nation, la presse populaire de droite pose la question suivante : la Grande-Bretagne peut-elle se fier à une autre nation pour lui venir en aide ? La réponse est étroitement liée à une interprétation

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Hewison, op. cit., p.194

« By the time of the Queen’s Silver Jubilee in 1977, the sense of national decline and dissension was endemic. »

153

Paul Ward, Britishness since 1870, Manchester : Manchester University Press (2001), p.109.

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David Baker, « Elite discourse and popular opinion on European Union. British exceptionalism revisited », Agnès Alexandre-Collier, Karine Cabrol et Valérie Rosselini-Papillon (éds), Les partis

politiques britanniques et l’intégration européenne Paris : L’Harmattan, numéro 6 (hiver 2002), p.19.

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particulière de la Seconde Guerre mondiale, puisqu’il est généralement accepté que seuls les États-Unis sont en mesure de porter assistance à la Grande-Bretagne. La supposée faiblesse des autres nations européennes est généralement mise en cause.

La notion du splendide isolement (« splendid isolation ») anglo-saxon fut particulièrement présente pendant la guerre des Malouines. Un éditorial du Sun avait alors déclaré que toute remise en question américaine ou européenne de la souveraineté britannique dans les Malouines devait être traitée avec mépris. Pour le Sun, seule la Grande- Bretagne savait où se trouvait la justice : « Si cela est nécessaire, nous nous battrons seuls » (« We shall, if necessary, stand alone »)156. Cette tournure n’est pas sans rappeler la célèbre caricature de David Low publiée le 18 juin 1940 dans l’Evening Standard : celle-ci présente un soldat britannique se tenant sur un rocher au milieu d’une mer déchaînée, le poing levé en signe de défiance à une formation de bombardiers ennemis approchant la côte. La légende de cette caricature est « Very Well, Alone » (« Puisqu’il en est ainsi, nous nous battrons seuls ») : le destin du monde libre est entre les mains de la Grande-Bretagne, qui se bat seule contre tous. Cette interprétation souligne également la force de la culture, des institutions et de la souveraineté britannique. En outre, la représentation de la Grande- Bretagne combattant seule (« standing alone ») l’Allemagne nazie en 1940 a insufflé un fort sentiment de supériorité morale aux Britanniques et à leurs dirigeants157. Nous retrouvons ce postulat, de même qu’un manque de confiance envers les autres nations européennes, dans les colonnes du Daily Mail en 1982 ; le journaliste Andrew Alexander écrivait alors : « Maintenant, nous saurons qui sont nos vrais amis » (« Now we’ll really know who our friends are »)158. Celui-ci doutait également que la Grande-Bretagne n’obtienne le soutien de l’Europe : « La crise des Malouines éclaire d’un jour nouveau nos ‘alliés’ de l’Union européenne […]. Nous nous débrouillerons tous seuls ! » (« The Falklands Crisis throws a new light on our Common Market ‘allies’ […]. We can go it alone! »)159. Pour Andrew Alexander, l’Union européenne est un encombrement inutile pour la Grande-Bretagne. Nous retrouvons des arguments similaires pendant la deuxième guerre du Golfe en 2003, et plus particulièrement après que l’Union européenne a longuement hésité à accepter une intervention militaire en Irak. Plus récemment, en octobre 2007, après que Gordon Brown eut signé le Traité de Lisbonne, le Sun publia en première page une photographie du Premier ministre faisant le signe de la victoire, et titra son éditorial « Never have so few decided so much for so many »160, invoquant les images du passé pour rallier l’opinion publique contre le soi-disant despotisme continental.

156

The Sun, le 7 mai 1982, cité dans Connelly, We Can Take It!, op. cit., p.282.

157

David Gowland, Arthur Turner, Alex Wright (éds), Britain and European Integration Since 1945. On

the Sidelines, Abingdon : Routledge (2010), p.19.

158

The Daily Mail, le 26 avril 1982, cité dans Connelly, We Can Take It!, op. cit., p.282.

159

Ibid., The Daily Mail, le 7 juin 1982.

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Une partie du problème réside dans la perception britannique de l’Union européenne. Pour la Grande-Bretagne, l’intégration à la Communauté Européenne était une décision pragmatique, fondée sur une nécessité économique, plutôt qu’un idéal en soi. L’intégration européenne a ainsi été vue au travers d’un prisme erroné : les hommes politiques britanniques se sont convaincus et ont convaincu leur électorat que le concept d’une coopération européenne se fondait uniquement sur des impératifs économiques. Cette vision laisse de côté les implications culturelles, politiques et sociales de l’intégration, qui étaient pourtant des objectifs clairs dès la gestation du projet européen.

Le 20 septembre 1988, lors de l’ouverture de la 39ème année universitaire du Collège d’Europe à Bruges, Margaret Thatcher, alors Premier ministre, prononça un discours sur l’avenir de l’Europe dans lequel elle dénonça les dérives bureaucratiques et centralisatrices du système communautaire. Elle évoqua la Seconde Guerre mondiale tôt dans son discours :

Nous, Britanniques, avons apporté un concours particulier à l’Europe. Car, au cours des siècles, nous avons combattu et nous sommes morts pour sa liberté ; nous avons lutté pour empêcher que l’Europe ne tombe sous la domination d’une seule puissance. […]

C’est l’aide britannique aux mouvements de résistance pendant la dernière guerre qui maintint la flamme de la liberté dans tant de pays jusqu’au jour de la Libération. Demain le Roi Baudouin assistera à Bruxelles à un service à la mémoire des nombreux Belges courageux qui ont fait sacrifice de leurs vies dans les rangs de la Royal Air Force.

C’est de notre île-forteresse que s’est préparée la libération de l’Europe161.

Pour Margaret Thatcher, la Grande-Bretagne pouvait aider l’Europe en faisant entrer les autres pays européens dans la mondialisation – seul un pays sûr de son identité peut se permettre d’engager une telle démarche. Celle-ci démontre également une réelle volonté de projection de la Grande-Bretagne.

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Margaret Thatcher, Discours de Bruges, le 20 septembre 1988.

« But we British have in a special way contributed to Europe. Over the centuries we have fought to prevent Europe from falling under the dominance of a single power. We have fought and we have died for her freedom. […]

It was British support to resistance movements throughout the last War that helped to keep alive the flame of liberty in so many countries until the day of liberation.

Tomorrow King Baudouin will attend a service in Brussels to commemorate the many brave Belgians who gave their lives in service with the Royal Air Force – a sacrifice we shall never forget.

And it was from our island fortress that the liberation of Europe itself was mounted. »

<http://www.cvce.eu/obj/discours_de_margaret_thatcher_bruges_20_septembre_1988-fr-5ef06e79- 081e-4eab-8e80-d449f314cae5.html>

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