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Le Commonwealth et les colonies britanniques pendant la Seconde Guerre

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

2.4. La représentation de la Seconde Guerre mondiale chez les Britanniques issus des

2.4.1. Le Commonwealth et les colonies britanniques pendant la Seconde Guerre

La plupart des pays de l'empire britannique déclarèrent la guerre à l'Allemagne rapidement et de leur propre chef. L’Inde, l'Australie et la Nouvelle-Zélande le firent le même jour que la Grande-Bretagne. Vinrent ensuite l'Afrique du Sud le 5 septembre et le Canada le 10 septembre. Après que l’Empire britannique eut déclaré la guerre à l’Allemagne en septembre 1939, le Cabinet de guerre et le haut commandement de l’armée présumèrent jusqu’à la chute de la France en 1940 que les troupes coloniales ne joueraient qu’un rôle secondaire loin de la ligne de front. Début 1940, le secrétaire britannique aux Colonies, Malcolm MacDonald, avait minimisé la valeur de la main d’œuvre coloniale388.

La déclaration de guerre eut néanmoins un impact considérable sur les territoires britanniques d'outre-mer. En effet, l'empire était dirigé depuis Londres, et les effets de tout changement dans la situation de la capitale allaient inévitablement se faire ressentir dans les colonies. La Grande-Bretagne était leur partenaire économique principal, ainsi que le lieu d'échange de leurs matières premières. C'était également là que se trouvait le Colonial Office en charge de l'administration des colonies.

Les troupes coloniales combattirent sur tous les théâtres de la Seconde Guerre mondiale. Au cœur de l’expérience de la guerre des soldats coloniaux se trouve à la fois le désir de se battre pour l’Empire britannique et le sentiment de représenter leur propre nation au combat. Cette dualité semble avoir été particulièrement apparente au sein des unités africaines et indiennes qui se battirent pour les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale.

La majorité des soldats qui combattirent pour l’Empire venaient d’Afrique et d’Inde. Les Britanniques mobilisèrent deux forces africaines principales : la première, the King’s African Rifles, composée d’hommes issus des colonies britanniques de l’est de l’Afrique, fut déployée principalement en Somalie, en Abyssinie, à Madagascar et, à partir de 1944, en Birmanie. La deuxième, the Royal West African Frontier Force, majoritairement composée d’hommes de la Côte d’Or (aujourd’hui le Ghana) et du Nigeria. Elle combattit les Italiens en Abyssinie (aujourd’hui l’Ethiopie) en 1940-1941 et les Japonais en Birmanie en 1943-1944. D’autres soldats africains (du Bechuanaland en grande partie) servirent dans les forces

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Michael S. Healy, « Colour, Climate, and Combat : The Caribbean Regiment in the Second World War », The International History Review, Volume 22, Numéro 1 (mars 2000), p.72.

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armées britanniques, ainsi que des sud africains noirs qui s’engagèrent dans l’armée de leur pays. En général, les armées africaines étaient ethniquement intégrées afin de décourager toute tentative de mutinerie389.

L’armée indienne, quant à elle, comptait plus de deux millions d’hommes à la fin de la guerre. Environ 817 000 d’entre eux étaient des combattants, et près de 200 000 servirent à l’étranger. Le reste servit en Inde, avec 200 000 hommes chargés de la défense intérieure du pays, et 417 000 engagés au combat contre les Japonais, comptant au total dix divisions390. Les troupes de l’armée indienne comptaient plus de 100 000 Gurkhas – des soldats népalais reconnus pour leur prouesse au combat – postés pendant de très longues périodes sur les lignes de front. Les soldats indiens furent déployés en Afrique de l’est, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Italie et en Asie du sud-est. L’une des formations de la guerre les plus « impériales » furent les Chindits, connus sous le nom de 77th Indian Infantry Brigade en 1943 puis Indian 3rd Infantry Division en 1944. Les Chindits étaient une force spéciale chargée en 1943 et 1944 de la réouverture de la Route de Birmanie. La formation était composée d’Africains de l’ouest, d’Indiens, de Birmans et de l’ancienne British 70th Division placée sous les ordres du major-général Orde Wingate391.

La Grande-Bretagne mobilisa également pendant la Seconde Guerre mondiale un petit nombre d’hommes des Antilles britanniques, bien que le seul régiment caribéen à être constitué ne fût pas employé au service actif392. Lorsque la guerre fut déclarée, une vague de patriotisme avait pourtant balayé les Antilles ; chaque secteur de la société proposa de coopérer avec la Grande-Bretagne et demanda à ce que les Noirs antillais jouent un rôle plus important dans l’effort de guerre393. Environ un millier d’Antillais furent recrutés pour travailler dans des usines dans le Lancashire et le Merseyside, 1 200 hommes du Honduras britannique travaillèrent dans les forêts en Écosse, et une poignée s'engagea dans la marine marchande. Certains volontaires s'engagèrent dans l'armée mais ne quittèrent pas la Caraïbe, comme par exemple la moitié des femmes ayant été acceptées dans la branche féminine de l'armée britannique, l’ATS (Auxiliary Territorial Services). La grande majorité, en revanche, furent envoyés à l'étranger. Comme cela avait été le cas pendant la Première Guerre mondiale, certains Antillais rejoignirent la Grande-Bretagne par leurs propres moyens ou se rendirent au Canada. À partir de 1943, la RAF recruta entre 6 000 et 10 000

389

Daniel Gorman, « The experience of Commonwealth and Colonial Soldiers in World War II », dans Timothy C. Dowling (éd.), Personal Perspectives. World War II. Volume II, Santa Barbara : ABC CLIO (2005), p.149.

390

Johannes H. Voigt, India in the Second World War, New Dehli : Arnold-Heinemann (1987), pp.214- 215.

391

Gorman, op. cit., p.149.

392

Marika Sherwood, Many Struggles. West Indian Workers and Service Personnel in Britain (1939-

45), Londres : Karia Press (1985), pp.35-36.

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Antillais394. Les chiffres exacts du nombre des engagés est difficile à établir, mais l'historien Ian Spencer, s'appuyant sur plusieurs sources du Colonial Office, estime que les rangs de l'armée coloniale comptaient quelques 10 270 Jamaïcains, 800 Trinidadiens, 417 Guyanais et moins de 1 000 personnes des autres colonies de la Caraïbe. La grande majorité servit dans la RAF395, ce qui peut à première vue sembler surprenant puisque le Air Force (Constitution) Act de 1917 stipulait que seuls des européens (« men of pure European descent ») pouvaient s’engager dans la RAF ; le recrutement d’officiers non-européens fut cependant permis en raison des fortes pertes subies par la RAF au début de la guerre396. Il est intéressant de noter qu’aux Antilles, le caractère de la guerre fut éminemment politique. Le bataillon du Caribbean Regiment, à titre d’exemple, fut créé par nécessité politique plutôt que par nécessité militaire, et ce dans le but de montrer la bonne volonté du gouvernement britannique envers ses colonies antillaises après les tensions du début des années 1930397. Le caractère politique de la guerre ouvrit les yeux à certains anciens combattants des Antilles qui s’engagèrent à la fin du conflit dans la lutte pour l’indépendance398. L’une des figures les plus célèbres du mouvement indépendantiste d’après-guerre aux Antilles est peut-être Errol Barrow, devenu Premier ministre de la Barbade en 1966 ; pendant la guerre, il s’était engagé dans la RAF au sein du Bomber Command.

Si la Seconde Guerre mondiale a servi de catalyseur au démantèlement de l’Empire britannique et aux aspirations indépendantistes des peuples coloniaux, ceux-ci n’en ont pourtant pas moins affiché leur soutien envers l’effort de guerre de la Grande-Bretagne. En 1939, la League of Coloured Peoples Newsletter décrivit le sentiment général envers l’effort de guerre dans les colonies :

Les Peuples Coloniaux expriment leur soutien indéfectible envers la Grande- Bretagne et la France dans leur décision de déclarer la guerre. Le régime nazi est l’ennemi de la liberté, de l’égalité et de la religion ; il constitue une menace pour tous les peuples, quelles que soient leurs origines399.

394

Anne Spry-Rush, Bonds of Empire. West Indians and Britishness from Victoria to Decolonization, Oxford : Oxford University Press (2011), pp.129-130.

395

Ian Spencer, « World War Two and the Making of Multi-Racial Britain », dans Pat Kirkham et David Thoms (éds), War Culture. Social Change and Changing Experience in World War Two, Londres : Lawrence and Wishart (1995), p.212.

396

Roger Lambo, « Achtung ! The Black Prince : West Africans in the Royal Air Force, 1939-46 », dans David Killingray (éd), Africans in Britain, Ilford : Frank Cass (1994), p.145.

397

Healy, op. cit. p.85.

398

Gordon K. Lewis, The Growth of the Modern West Indies, Kingston : Ian Randle (2004), p.103.

399

Cité dans Marc Matera, « Black Internationalism and African and Caribbean Intellectuals in London, 1919-1950 », thèse de philosophie sous la direction de Bonnie G. Smith, State University of New Jersey (2008), p.325.

« The general attitude of the Colonial Peoples is wholehearted support for Britain and France in the step they have taken. The Nazi Regime is regarded as the arch-enemy of Freedom, Equality, and Religion, and as such is a menace to all peoples wherever they may live. »

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La féministe et écrivain jamaïcaine Una Marson, qui travailla pour la BBC pendant la guerre où elle était en charge de l’émission radiophonique « Calling the West Indies », déclara sur les ondes le 3 septembre 1942 : « Je suis convaincue que nous ne laisserons jamais dire que nous n’agîmes pas lorsque la liberté du monde fut en jeu. »400

En citant des remarques similaires présentes dans la presse ouest-africaine et dans les propos de l’éditeur de The People (journal syndicaliste trinidadien), le jamaïcain Harold Moody déclarait que les peuples coloniaux des deux côtés de l’Atlantique étaient outrés par les propos tenus par Hitler au sujet des Noirs. Moody estimait que « cette guerre n’est pas seulement celle des Polonais, des Anglais ou des Français ; c’est aussi celle des Africains, et ils ne devront reculer devant aucun sacrifice pour la gagner. »401 Ce sentiment domine par ailleurs les mémoires de guerre des soldats de couleur ayant participé à la Seconde Guerre mondiale, et ce même dans les pays où les aspirations indépendantistes étaient les plus vives.

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