• Aucun résultat trouvé

Soutien et opposition à la Grande-Bretagne

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

2.2. L’Irlande

2.2.2. Soutien et opposition à la Grande-Bretagne

La République d'Irlande conclut des arrangements secrets avec les Britanniques concernant la coopération militaire et les services d'espionnage. Au commencement de la guerre, le gouvernement irlandais était en effet parfaitement conscient du danger posé par l'exploitation allemande des activités de l'IRA contre Irlande du Nord et de la possibilité d'une invasion de la Grande-Bretagne. Il était également soumis aux pressions de Londres qui craignait que les services secrets irlandais ne soient inefficaces dans la lutte contre la cinquième colonne allemande286. L'influence allemande pouvait en effet se faire sentir à Dublin : l’importante contribution allemande dans les domaines de l'archéologie et des études de l'Irlande celtique constituait une solide tête de pont entre l'Irlande et l'Allemagne, et le directeur du Musée national de Dublin n'était autre que le Dr Adolf Mahr, un fervent nazi287. En outre, de Valera avait dû rappeler en Irlande Charles Brewley, chargé d’affaires en Allemagne de 1933 à 1938, en raison du fait que ce dernier était devenu un fervent admirateur d’Hitler288.

Après la chute de la France en 1940, l’Irlande vit d’un œil favorable le nouveau régime de Vichy, qu’elle reconnut comme étant le gouvernement officiel français ; dans l’hypothèse jugée probable d’une victoire de l’Allemagne, une alliance avec un bloc catholique neutre dans un ordre mondial nouveau aurait convenu à l’Irlande. Les principes de Vichy semblaient conformes à ceux de l’Irlande, elle-même très influencée par l’Église. Inversement, la propagande de Vichy était sensible à l’orientation catholique de De Valera, et plus particulièrement à l’idée d’une société rurale homogène et immuable289. Une brochure française rédigée en 1942, intitulée Révolution Sociale par la Famille, alla jusqu’à rendre hommage à la Constitution irlandaise en déclarant :

La famille est une unité sociale naturelle. L’ordre politique doit la respecter en tant qu’entité sociale. À ce titre la famille doit être définie dans la Constitution. […] Nous souhaitons que notre Constitution s’inspire de celle de l’Eire […]290.

En juillet 1940, Joseph Walshe, ministre des Affaires étrangères, envoya le courrier suivant à l’envoyé irlandais à Vichy, qui lui avait fait parvenir des rapports critiquant le régime de Pétain : « Le pays tout entier soutient Pétain […]. Nous estimons ici que dorénavant, notre

286

G.R Sloan, The Geopolitics of Anglo-Irish Relations in the Twentieth Century, Londres : Leicester University Press (1997), p.201.

287

David O'Donoghue, Hitler's Irish Voices. The Story of German Radio's Wartime Irish Service, Belfast : Beyond the Pale Publications (1998), p.19.

288

Neal G. Jesse, « Choosing to Go It Alone : Irish Neutrality in Theoretical and Comparative Perspective », International Political Science Review, Volume 27, numéro 1 (janvier 2006), p.10.

289

Miranda Pollard, Reign of Virtue. Mobilizing Gender in Vichy France, Chicago : University of Chicago Press (1998), pp.34-35.

290

Elisabeth Gaudin, « La Constitution de 1937 et les directives sociales », dans L’Irlande politique et

100

destin est scellé avec celui des nations Continentales Catholiques. »291

Dans la presse irlandaise (partagée dans l’ensemble entre une neutralité pro-alliée ou pro-allemande), l’hebdomadaire The Standard, journal de droite catholique, présenta la débâcle française sans faire mention des morts ou des blessés ; à la place, il fit l’apologie des talents diplomatiques de Pétain292. Le rédacteur en chef du Stantard, Peadar O’Curry, estimait qu’il était de son devoir d’aider le nouvel ordre Catholique émergent. En octobre 1940, le Standard titra en réponse au Blitz à Londres : « Le divorce détruit davantage de foyers que les bombes » (« Divorce is Destroying more Homes than Bombs »)293. Bien qu’il soit difficile d’évaluer jusqu’à quel point la société irlandaise soutenait Vichy, il apparaît que l’enthousiasme suscité par le nouveau gouvernement français s’estompa progressivement, au fur et à mesure que les succès militaires allemands ralentirent. À partir du mois d’août 1942, il est certain que Walshe et de Valera étaient informés de la déportation des Juifs en France, avec la complicité du régime de Vichy, vers des camps de concentration en Europe de l’Est294. Il ne semble pas que cet élément ait ébranlé les relations de l’Irlande avec Vichy, dont Walshe demeurait un fervent admirateur295.

Une certaine forme de coopération avec les Alliés fut néanmoins instaurée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les services secrets britanniques et irlandais échangèrent des bulletins météorologiques, et les gardes-côtes irlandais relayèrent à Londres des informations concernant les avions allemands qui survolaient le pays et les navires ou sous- marins qui s’aventuraient dans les eaux territoriales irlandaises. En outre, le gouvernement irlandais permit aux avions alliés de survoler le nord du comté du Donegal afin d’avoir un meilleur accès à l’Atlantique, et les autorités militaires du nord et de sud collaborèrent étroitement296. Ces formes de coopérations secrètes conduisirent Maurice Moynihan, secrétaire général du Gouvernement, à déclarer en mai 1941 : « Nous ne pourrions pas faire plus si nous étions en guerre. »297

Plus de 45 000 hommes et femmes de la République d’Irlande rejoignirent volontairement les forces britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale – à titre

291

Cité dans Clair Wills, That Neutral Island. A History of Ireland during the Second World War, Londres : Faber and Faber (2008), p.355.

« The sympathy of the whole country is with Pétain […]. It is felt here that our destiny henceforth will be cast with that of the Continental Catholic countries. »

292

Ibid., p.275.

293

Ibid., p.355.

294

Edward Arnold, « Irish Neutrality between Vichy France and de Gaulle, 1940-1945 », dans Gerald Morgan et Gavin Hughes (éds), Southern Ireland and the Liberation of France. New Perspectives, Bern : Peter Lang (2011), p.47.

295

Brian Girvin, The Emergency. Neutral Ireland 1939-45, Dublin : Four Courts Press (2000), p.124.

296

Ces dispositions sont détaillées dans une lettre de Maurice Moynihan, secrétaire général du gouvernement, à Patrick Kennedy, ambassadeur des États-Unis au Royaume-Uni et détaillent l’étendue de la coopération avec le gouvernement britannique pendant la guerre.

Tim Pat Coogan, De Valera. Long Fellow, Long Shadow, Londres : Arrow (1995), pp.748-749.

297

Ibid., p.549.

101

d’exemple, ce chiffre s’élevait en Irlande du Nord à près de 44 000 personnes. En outre, environ 120 000 travailleurs se rendirent en Grande-Bretagne ou en Irlande du Nord. Le gouvernement irlandais ferma les yeux sur les travailleurs s’étant rangés aux côtés des Alliés et facilitèrent activement leur migration en masse en raison, semble-t-il, des problèmes sociaux et politiques que ceux-ci auraient pu causer s’ils étaient restés en Irlande, plutôt que par soutien idéologique à la cause alliée298. La réaction du gouvernement irlandais face aux engagés volontaires dans l’armée britannique est quant à elle particulièrement éclairante sur la mentalité des dirigeants de la République. Les citoyens irlandais ayant rejoint l’armée britannique furent considérés comme des déserteurs. En août 1945, le Gouvernement vota la loi Emergency Powers (No. 362) ; d’après ce texte, tous les Irlandais s’étant engagés dans l’armée britannique pendant la guerre se verraient privés de leur solde et de toute retraite à laquelle ils auraient pu prétendre. Il leur fut en outre impossible d’exercer une activité professionnelle rémunérée par des fonds publics pendant une période de sept ans299. Cette décision tranche fortement avec les déclarations répétées de soutien envers la cause alliée pendant la guerre.

Au Gouvernement, le leader adjoint du Fine Gael, James Dillon, fut le seul à plaider en faveur de l’entrée de l’Irlande dans la guerre aux côtés des Alliés. Le 17 juillet 1941, il prononça un discours passionné dans lequel il déclara que la neutralité n’était pas « dans l’intérêt moral ou matériel du peuple Irlandais »300 ; devant l’opposition soulevée par ce discours, le leader du Fine Gael, William T. Cosgrove, désolidarisa son parti des propos tenus par James Dillon. En 1942, celui-ci démissionna du parti en raison de son opposition à la neutralité ; il fut le seul membre du Gouvernement à le faire301.

Peu après l’accord de 1938, et pour prouver que l’Irlande ne servirait pas de base à des activités hostiles à la Grande-Bretagne, de Valera envoya à Londres des officiers de l’armée irlandaise ainsi que Joseph Walshe afin de discuter de la coopération des services secrets des deux pays. Au début de la guerre, les deux services secrets entretinrent une correspondance régulière au sujet des activités d’agents allemands, de sympathisants irlandais au régime nazi, et de la collaboration entre l’IRA et les Allemands. Walshe était un admirateur de Mussolini, et lorsque la guerre fut déclarée, il exprima sa préférence pour une victoire de l’Axe302. Les Britanniques, qui émettaient des réserves quant à l’efficacité des services de contre-espionnage irlandais, furent davantage impressionnés par la réponse

298

Ibid., p.173.

299

Defence Forces (Temporary Act), 1946.

<http://www.irishstatutebook.ie/1946/en/act/pub/0007/sec0013.html> Page consultée le 24/04/2013.

300

Cité dans Robert Cole, Propaganda, Censorship and Irish Neutrality in the Second World War, Edimbourg : Edinburgh University Press (2006), p.85.

« [Neutrality is] not the true interest, moral or material, of the Irish people. »

301

Wood, op. cit., p.29.

302

Joseph J. Lee, Ireland 1912-1985. Politics and Society, Cambridge : Cambridge University Press (1989, p.247.

102

impitoyable de De Valera à la menace posée par l’IRA. La loi portant sur les crimes contre l’État (the Offences against the State Act) fut votée en juin 1939 et permit la création de tribunaux spéciaux ainsi que l’extension des pouvoirs des services de police303.

Bien qu’une partie des membres de l’IRA s’étaient rangés du côté de De Valera à partir de 1932, persuadés que celui-ci obtiendrait l’annulation de la partition de façon non-violente, un grand nombre demeurait mobilisé. Portés par la ténacité de leur leader, Sean Russell, l’IRA déclara la guerre à la Grande-Bretagne en janvier 1939 et se lança dans une campagne d’attentats prenant pour cibles certaines villes britanniques, qui firent sept morts et près de deux cents blessés avant la fin de l’année. Les dirigeants de l’IRA étaient désireux d’obtenir l’aide des Allemands, pensant que les Nazis victorieux respecteraient l’indépendance de l’Irlande ; ils établirent des contacts avec l’Abwehr, les services secrets militaires allemands. Bien que la politique allemande dominante envers l’Irlande ait été de faire en sorte que sa neutralité soit préservée, douze agents de l’Abwehr furent envoyés en République d’Irlande entre 1939 et 1943, planifiant d’entrer en contact avec l’IRA et de mettre au point des plans pour une action commune dans le Nord304.

Outline

Documents relatifs