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1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

2.4. La représentation de la Seconde Guerre mondiale chez les Britanniques issus des

2.4.4. Guerre et racisme

Bien que la ségrégation raciale dans les forces armées de la Grande-Bretagne fût officiellement suspendue pendant la durée de la guerre, très peu de Noirs servirent dans l’armée de terre britannique ou dans la Royal Navy. D’après un rapport du Foreign Office,

409

John F. Riddick, The History of British India, Westport (CT) : Praeger (2006), p.115.

410

Anil Kumar Sharma, Quit India Movement in Assam, New Dehli : Mittal (2007), p.vii.

411

Agrawal, op. cit., p.184-186.

412

F.W. Perry, The Commonwealth Armies. Manpower and Organisation in Two World Wars, Manchester : Manchester University Press (1988), p.119.

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Le recrutement de sujets britanniques de couleur, susceptibles de rester au Royaume-Uni après la guerre et d’engendrer de ce fait des problèmes sociaux, n’est pas souhaitable413.

Churchill lui-même envoya des télégrammes aux ambassades américaines leur demandant de ne pas recruter de soldats parmi les citoyens britanniques de couleur résidant aux États- Unis414. Le Gouvernement et l’administration britannique étaient influencés par des stéréotypes raciaux profondément enracinés, eux-mêmes renforcés par un fort sentiment impérialiste. Pourtant, le gouvernement britannique prit officiellement ses distances avec la politique ségrégationniste de l’armée américaine lorsque les premières troupes des États- Unis arrivèrent en Grande-Bretagne. Le 4 septembre 1942, le Home Office envoya la circulaire suivante à tous les commissaires de police britanniques :

Le Gouvernement de Sa Majesté ne souhaite pas que les troupes de couleur soient discriminées par les autorités britanniques. Le secrétaire d’État vous serait donc reconnaissant de faire en sorte que la police ne se présente pas aux propriétaires de pubs, de restaurants, de cinéma et autres lieux de divertissement dans le but de discriminer les troupes de couleur415.

Le gouvernement britannique soutenait secrètement la ségrégation pratiquée par l’armée américaine tout en refusant ouvertement de les aider à la mettre en place. La discrimination des personnes de couleur dans les domaines civil et militaire fut omniprésente pendant la Seconde Guerre mondiale, à la fois en Grande-Bretagne et dans les colonies. À titre d’exemple, les troupes coloniales étaient moins payées que les soldats britanniques, et il leur était très difficile – voire impossible – d’obtenir de l’avancement ; aucun officier noir ne fut promu dans l’armée britannique.

Il est intéressant de remarquer que les anciens combattants de couleur n’évoquent que très brièvement les questions de racisme et d’inégalités dans leurs mémoires de guerre ; tout ressentiment semble majoritairement absent de leurs écrits, ou tout du moins peu vivace. Alan Wilmot, un soldat jamaïcain ayant servit dans la Royal Navy et dans la RAF pendant la guerre, évoque son expérience en ces termes :

413

Cité dans Juliet Gardiner, ‘Over Here’. The GIs in Wartime Britain, Londres : Collins and Brown (1992), p148.

« The recruitment to the United Kingdom of coloured British subjects, whose remaining in the United Kingdom after the war might create a social problem, is not considered desirable. »

414

Ray Costello, Black Salt. Seafarers of African Descent on British Ships, Liverpool : Liverpool University Press (2012), p.187.

415

Cité dans Gardiner, op. cit., p.150.

« It is not the policy of His Majesty’s Government that any discrimination as regards the treatment of coloured troops should be made by the British authorities. The Secretary of State, therefore, would be glad if you would be good enough to take steps to ensure that the police do not make any approach to the proprietors of public houses, restaurants, cinemas, or other places of entertainment with a view to discriminating against coloured troops. »

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Il n’y avait pas de discrimination raciale officielle dans l’armée britannique, mais les promotions étaient rares pour un soldat noir, et ce même si vous étiez qualifié. Toutes sortes d’excuses étaient trouvées pour ne pas promouvoir les soldats de couleur, qui gardaient le même grade tout au long de la guerre. Les autorités militaires ne voulaient pas que des Noirs commandent des Blancs.

Cependant, nous étions très bien traités par les civils blancs parce qu’ils étaient conscients que nous avions quitté notre pays pour affronter le danger et les aider quand ils en ont eu besoin416.

Alan Wilmot fait preuve d’une certaine retenue lorsqu’il évoque la discrimination au sein de l’armée britannique ; son témoignage ne laisse transparaître aucun mépris envers les Britanniques. C’est également le cas de Sam King, ancien pilote d’origine jamaïcaine, qui parle de sa rencontre avec un caporal britannique :

Certaines personnes étaient racistes. J’ai été victime d’un incident dans la RAF lorsqu’un caporal qui revenait d’Afrique du Sud me vit et dit : « Il y a un homme noir ici ; il ne peut pas rester. » Un de mes amis [un Blanc], avec qui je suis toujours ami après 44 ans, lui répondit « Ne dites pas n’importe quoi ». Le caporal dit : « En Afrique du Sud, les Noirs ne restent pas dans la même pièce que les Blancs. » Ce à quoi mon ami répondit : « Nous ne sommes pas en Afrique du Sud ; nous sommes en Angleterre, et cet homme est venu pour se battre. »417

Nous remarquons par ailleurs que lorsque les anciens combattants parlent de leurs souvenirs de guerre, ils ne s’inscrivent pas en marge du récit national britannique mais bien au cœur de celui-ci. Ainsi, Sam King évoque la première fois qu’il vit Londres ravagée par les bombardements allemands :

Tout était noir, tout était détruit. Partout, le chaos. Les trains circulaient parce que si les Allemands bombardaient les voies, celles-ci étaient réparées dès le lendemain. C’était terrible. Mais j’ai eu le privilège de survoler l’Allemagne un mois après la fin de

416

Alan Wilmot, cité dans Annie Keane, « Making a Difference. Experiences of a Black British Serviceman ».

« [T]here was no official racial discrimination in the [British] services, but seniority promotion for a Black serviceman was rare, even though you were qualified to do the job. Excuses for non-promotion were always there, so were simply allowed to carry on in the ranks, regardless of your ability. They didn’t want black personnel in charge of white servicemen.

But we were treated very well by white civilians because they were aware that you had left your safe country to face danger and help them in their time of need. »

<http://www.bbc.co.uk/history/ww2peopleswar/stories/96/a1921196.shtml> Page consultée le 26/02/2014.

417

Témoignage de Sam King recueilli par Rory O’Connell en 1993, disponible sur le site « London Voices » du Museum of London.

« Some people were prejudiced. I had an incident in the RAF where a Corporal who was in South Africa came back and saw me in the middle of the room, and said, ‘There’s a black man there, he can’t stay in here.’ A friend of mine, who is still a friend of mine after forty-four years, said ‘What rubbish you talking about.’ The Corporal said, ‘In South Africa black people don’t stay in the same room’. My friend said, ‘This is not South Africa. This is England, and he came here to fight.’ »

<www.museumoflondon.org.uk> Page consultée le 24/02/2014.

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la guerre, et si nous avions nous-mêmes subi d’importants bombardements, il n’y eut pas un mètre de sol allemand que nous n’ayions bombardé418. [mes italiques]

L’utilisation du pronom personnel « nous » traduit une expérience et des souffrances partagées par les peuples coloniaux, qui ne se voient pas comme des étrangers à l’expérience de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne mais comme des participants à part entière. Le sentiment d’appartenance à la nation britannique est aussi très présent. Ainsi, Charles ‘Joe’ Moody (fils de Harold Moody) se souvient de la première fois qu’il demanda à intégrer l’armée britannique et qu’il fut rejeté :

Je fus extrêmement déçu lorsque ma demande fut rejetée. Toutefois, j’étais né en Grande-Bretagne et, en ce qui me concernait, j’étais un Anglais. J’avais toutes les qualifications requises et mon pays avait besoin d’hommes jeunes pour se battre. Ma demande fut rejetée alors que j’étais en bonne santé, donc je fus très déçu. Mais je peux vous dire que je fus rempli d’une immense fierté quand je devins un officier de l’armée britannique. Je sautai de joie. J’étais très fier de représenter les colonies ; j’étais un pionnier419. [mes italiques]

Les propos de Charles ‘Joe’ Moody soulignent à la fois la fierté d’être britannique et de se battre pour la Grande-Bretagne ; ce sentiment semble dominer très largement les propos des anciens combattants des colonies britanniques et du Commonwealth.

2.4.5. Les anciens peuples coloniaux dans l’historiographie de la Seconde Guerre

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