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1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

2.1. La représentation de la Seconde Guerre mondiale en Écosse

2.1.1. La tradition militaire écossaise

La culture militaire en Écosse joue un rôle central dans l’identité nationale écossaise et ses représentations. Au cours des siècles, la tradition militaire écossaise a évolué et s’est développée, laissant dans son sillon un mélange d’imagerie, de légendes et de mythes qui ont contribué à forger la mémoire collective du pays. Cette tradition trouve ses racines dans les événements les plus marquants de l’histoire de l’Écosse, notamment les guerres d’indépendance des XIIIème et XIVème siècles, ou encore les soulèvements (ou rébellions – la terminologie demeure litigieuse) Jacobites de 1795. Ces événements continuent d’occasionner des débats houleux et de nombreuses publications en Écosse, permettant ainsi à la tradition militaire écossaise de conserver une place importante dans la conscience nationale.

Depuis la fin du XVIIIème siècle, cette tradition militaire écossaise a évolué au sein du contexte britannique. Après l’Acte d’Union avec l’Angleterre en 1707, les forces écossaises combattirent au service de l’Empire britannique, et leur contribution aux forces armées britanniques demeure aujourd’hui encore très importante. D’après le journaliste et écrivain écossais Allan Massie, « leurs expériences communes ont fait des Écossais et des Anglais des Britanniques »201 ; cela est particulièrement vrai des armées écossaises et anglaises qui, ensemble, battirent un empire (puis s’en retirèrent) et participèrent aux deux conflits mondiaux du XXème siècle.

La tradition guerrière écossaise demeure aujourd’hui encore une source intarissable de fierté nationale. À titre d’exemple, depuis les années 1960, aucun politicien n’a été en mesure de proposer l’amalgame ou la perte d’identité des régiments écossais sans provoquer la colère et la farouche opposition des Écossais, très fortement attachés aux traditions dont les régiments sont porteurs. Lorsqu’il fut proposé en 1968 de dissoudre le régiment des Argyll and Sutherland Highlanders, une pétition, signée par un grand nombre d’Écossais, s’opposa à cette mesure. Pour Thomas C. Smout, professeur émérite de l’université de Saint Andrews, la tradition militaire promeut non seulement un sentiment d’appartenance à une localité et un sentiment d’identité nationale écossaise, mais également

201

Allan Massie, The Thistle and the Rose. Six Centuries of Love and Hate between the Scots and the

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un fort sentiment de britannicité, étant donné que les régiments écossais combattent et meurent au service de l’état britannique202.

La contribution militaire et civile de l’Écosse à l’aventure impériale du XIXème siècle est, paradoxalement, présente dans la mémoire collective de la nation au moment-même où celle-ci prend ses distances avec Londres. À ce titre, il semble intéressant d’étudier si la Seconde Guerre mondiale est présentée de façon spécifique en Écosse, et si ses aspirations nationalistes influent sur la façon dont est commémoré le conflit.

2.1.2. Les Écossais dans l’armée britannique de la fin du XVIIIème au début du XXème siècle

La création d’une armée britannique offrit aux Écossais des opportunités professionnelles qu’ils saisirent avec enthousiasme. Ils vinrent à représenter une proportion importante des effectifs : au milieu du XVIIIème siècle, un quart des officiers de l’armée britannique étaient écossais, à une époque où la population de l’Écosse représentait environ 12% de celle de la Grande-Bretagne (l’Écosse comptait alors environ 1,26 millions d’habitants, et l’Angleterre environ 7,5 millions)203. Après l’écrasement de la rébellion de 1745, les Écossais, et plus particulièrement les Highlanders, eurent un rôle significatif au sein de l’armée britannique ; Lord Barrington, secrétaire à la Guerre, déclara à la veille de la guerre de Sept Ans en 1751 : « Je suis favorable à ce que notre armée compte autant de soldats écossais que possible […] et parmi tous les soldats écossais, je souhaiterais que nous ayons dans notre armée autant de Highlanders que possible »204.

À la fin du XVIIIème siècle, les régiments des Highlands et leurs soldats devinrent les fiers symboles de la nation écossaise et de son partenariat avec l’Angleterre au sein de l’Empire britannique205. Le XIXème siècle confirma la réputation de l’Écosse comme étant une nation de guerriers et de soldats réputés pour leur bravoure. Les exploits des soldats écossais dans les guerres napoléoniennes et à Waterloo furent célébrés en Angleterre, et la gloire des régiments écossais fut reconnue à travers l’Empire206.

Au début du XXème siècle, en raison de la possibilité grandissante d’une guerre avec l’Allemagne, le gouvernement britannique décida de constituer une armée capable de

202

Thomas C. Smout, « Perspectives on the Scottish Identity », Scottish Affairs, numéro 6 (1994), pp.5-6.

203

Alvin Jackson, The Two Unions. Ireland, Scotland and the Survival of the United Kingdom, 1707-

2007, Oxford : Oxford University Press (2012), p .164.

204

Ibid., p.165.

205

J.E. Cookson, The British Armed Nation 1793-1815, Oxford : Oxford University Press (1997), p.129.

206

Edward M. Spiers, « Scots and the Wars of Empire, 1815-1914 », dans Edward M. Spiers, Jeremy A. Crang et Matthew J. Strickland (éds), A Military History of Scotland, Edimbourg : Edinburgh University Press (2012), p.458.

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s’engager dans un conflit européen. Il fut envisagé d’introduire la conscription en Écosse, mais en raison de l’impopularité politique de ce projet, celui-ci fut abandonné en faveur d’un compromis basé sur la tradition britannique du service volontaire. Il fut considéré que la défense des Iles Britanniques serait mieux assurée par la création d’une force territoriale (« Territorial Force ») fondée sur le volontariat, et en 1908, la loi sur les forces territoriales et de réserve (Territorial and Reserve Forces Act) fut votée207. Parmi les divisions écossaises les plus célèbres figure la 51st Highland Division.

Pendant la Première Guerre mondiale, la conscription ne fut introduite en Écosse – de même que dans les autres pays de la Grande-Bretagne – qu’à partir de 1916. Entre 1914 et 1916, d’importantes vagues de volontaires s’engagèrent dans l’armée, faisant de l’Écosse le premier pays en termes de taux de recrutement de soldats volontaires. Cet enthousiasme peut en partie s’expliquer par la situation économique très précaire du début du XXème siècle ; le service militaire représentait pour beaucoup un moyen d’échapper à la pauvreté. Les régiments écossais étaient reconnaissables entre tous grâce à leur tenue traditionnelle. Il fut envisagé par souci de praticité de remplacer le kilt en tartan des régiments écossais par des kilts kaki, ou même par des pantalons, mais ces propositions se heurtèrent à la vive opposition des Écossais. Le dernier bataillon à porter le kilt au combat fut le Queen’s Own Cameron Highlanders en France en 1940208. Cet attachement au port du kilt souligne le souci de conservation des traditions des régiments écossais. Il est difficile de chiffrer précisément les victimes écossaises de la Première Guerre mondiale ; les historiens s’accordent cependant à dire que les pertes s’élèvent à environ 150 000 hommes sur les 690 000 mobilisés au cours du conflit209.

À partir de la deuxième moitié du XXème siècle, la plupart des régiments écossais initiaux furent amalgamés en différents bataillons en 2004, connus sous le nom de Royal Regiment of Scotland, lorsque le secrétaire de la Défense britannique, Geoff Hoon, annonça la restructuration de l’armée britannique. Aujourd’hui, le Royal Regiment of Scotland compte cinq bataillons réguliers, et deux bataillons de l’armée territoriale au sein desquels figure la 51st Highland Division210. Les uniformes de ces bataillons écossais conservent des éléments traditionnels des anciens régiments, à l’image du tartan et du kilt pour les cérémonies.

207

Mike Chappell, Scottish Divisions in the World Wars, Oxford : Osprey Publishing (1994), p.6.

208

Diana M. Henderson, « Highland Regiments, 1750-1830 », Michael Lynch (éd.), The Oxford

Companion to Scottish History, Oxford : Oxford University Press (2007), p.27.

209

Trevor Royle, « The First World War », dans Edward M. Spiers, Jeremy A. Crang et Matthew J. Strickland (éds), A Military History of Scotland, op. cit., p.529.

210

Charles Heyman, The British Army. A Pocket Guide 2012-2013, Londres : Pen and Sword Military (2011), pp.80-81.

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