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Les anciens peuples coloniaux dans l’historiographie de la Seconde Guerre

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

2.4. La représentation de la Seconde Guerre mondiale chez les Britanniques issus des

2.4.5. Les anciens peuples coloniaux dans l’historiographie de la Seconde Guerre

L’historiographie de l’expérience des Africains, des Indiens et des Antillais de la Seconde Guerre mondiale est très peu fournie ; pour reprendre les termes de l’historienne Catriona M. M. MacDonald, il s’agit là d’un véritable « no man’s land » historiographique420. Les expériences de la guerre des pays du Commonwealth dont la population est majoritairement blanche – l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada – sont

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Ibid.

« It was black, and it was bombed. Just wilderness. The trains were running because if they bombed the tracks, tomorrow morning they repair them. It was terrible. But I had the privilege of flying over Germany a month after the war and they might have given us bad, but I would say there was not a cricket pitch length in Germany that we didn’t bomb ». [mes italiques]

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Charles ‘Joe Moody’, « Lest We Forget », Channel 4, le 8 novembre 1990.

« My personal feeling – when I got rejected – was one of great disappointment, but I obviously had been born in Britain and, as far as I was concerned, I was an Englishman. I had all the necessary qualifications and there was my country wanting young men to do a job. There I was, fit and well, being turned down, so I was disappointed, but I can tell you, I stuck out my chest when I was commissioned in the British Army. I was flying in the air. I was very proud that I represented the colonies as a pioneer. » [mes italiques]

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L’historienne écossaise Catriona M. M. MacDonald avait utilisé l’expression « no man’s land » pour qualifier la quasi absence d’ouvrages consacrés à l’expérience écossaise de la Seconde Guerre mondiale ; voir le chapitre sur l’Écosse p.89.

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comparativement bien plus documentées. Il semble que l’histoire des peuples coloniaux « de couleur » (c’est-à-dire tous les non-Blancs) figure en marge du récit plus général de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne. Peut-être faut-il voir ici les restes d’une suprématie occidentale dans laquelle peu de place est réservée aux anciennes colonies et à leur histoire. Peut-être est-il également plus aisé de présenter des jeunes hommes blancs issus d’Eton, représentant le gentleman britannique dans tout son flegme et toute sa respectabilité, que des hommes de couleur, traînant derrière eux tous les clichés généralement associés aux anciens peuples colonisés.

Cette tendance semble s’être légèrement inversée dans les années 2000, décennie qui fut témoin d’un regain d’intérêt sans précédent pour la Seconde Guerre mondiale et pour ses aspects les plus méconnus. L’ouvrage Our War. How the British Commonwealth Fought

the Second World War de Christopher Somerville, publié en 2005, est le seul ouvrage à

aborder à la fois l’expérience de la guerre de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Canada et de l’Afrique du Sud, et celle de l’Inde, des colonies africaines et des Antilles britanniques421. Erica Myers-Davis revient quant à elle dans Under One Flag. How

Indigenous and Ethnic Peoples of the Commonwealth and British Empire Helped Great Britain Win World War II sur le rôle joué par les soldats de couleur pendant la guerre, dont

elle souhaite qu’il soit davantage reconnu, et notamment par les enfants et les petits-enfants de soldats des colonies et du Commonwealth souvent mal informés sur le sujet. Le premier ouvrage à être consacré à la communauté noire en Grande-Bretagne et à sa participation à l’effort de guerre (Mother Country. Britain’s Black Community on the Home Front 1939-45, de Stephen Bourne) fut publié en 2010. Celui-ci s’appuie essentiellement sur les témoignages de personnes issues de la communauté noire recueillis après la guerre, et dresse le portrait de plusieurs personnalités telles que Harold Moody (physicien d’origine jamaïcaine), Learie Constantine (joueur de cricket, écrivain et diplomate d’origine trinidadienne) ou encore Una Marson (féministe d’origine jamaïcaine qui travailla pour la BBC pendant la guerre).

Un seul ouvrage est consacré à l’Inde pendant les deux guerres mondiales : The

Indian Army in Two World Wars, édité par Kaushik Roy et publié en 2011422 ; il n’en existe à ce jour aucun dédié exclusivement à l’Inde pendant la Seconde Guerre mondiale. De même, un seul ouvrage retrace l’histoire des Noirs d’Afrique qui se sont battus aux côtés des Britanniques : Fighting for Britain. African Soldiers in the Second World War de David Killingray, publié en 2011423. Plusieurs couvrent quant à eux l’expérience de la guerre de la Caraïbe anglophone : West Indian Women at War. British Racism in World War II édité par

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Christopher Somerville, Our War. How the British Commonwealth Fought the Second World War, Londres : Cassell Military (2005).

Il est intéressant de noter que, malgré la dimension exhaustive que l’auteur a souhaité donner à son étude de l’expérience des peuples coloniaux (blancs et non-blancs), la photographie sur la couverture de l’ouvrage montre deux soldats, certes grimés, mais blancs.

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Kaushik Roy (éd.), The Indian Army in Two World Wars, Leiden : Brill (2011).

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Ben Bousquet et Colin Douglas, The Caribbean at War. ‘British West Indians’ in World War II d’Oliver Marshall, et Caribbean Volunteers at War. The Forgotten Story of the RAF’s

Tuskegee Airmen de Mark Johnson, publiés respectivement en 1991, 1992 et 2014.

Depuis le début des années 2000 se multiplient également les memoires de guerres de soldats et officiers des armées coloniales, comme par exemple A Member of the RAF of

Indeterminate Race. World War Two Experiences of a West Indian in the RAF de Cy Grant,

officier guyanais dans le Bomber Command, ou encore British Other Ranks. Memories of

John R. Miggins, a Caribbean Veteran of World War Two du Guyanais John Miggins. Ces

récits ont pour vocation de faire connaître l’expérience de la guerre des soldats des colonies, dont très peu de témoignages subsistent aujourd’hui.

Nous pouvons nous interroger sur les facteurs ayant donné naissance à l’intérêt porté à l’expérience de la guerre des personnes de couleur et des colonies de l’Empire britannique à la fin des années 1990 et dans les années 2000. Cette tendance s’inscrit certes dans le regain d’intérêt général pour la Seconde Guerre mondiale de cette période ; il semblerait néanmoins réducteur de s’en tenir à cette constatation sans prendre en compte les changements entraînés dans la société britannique par l’arrivée au pouvoir du New Labour de Tony Blair et sa politique multiculturaliste.

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