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La démythologisation de la Seconde Guerre mondiale : l’exemple des États-

1. Le mythe identitaire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne

1.1.5. La démythologisation de la Seconde Guerre mondiale : l’exemple des États-

Aux États-Unis en revanche, nous trouvons une littérature et une filmographie beaucoup plus critiques à l’égard de la machine de guerre américaine. Bien que, tout comme en Grande-Bretagne, la Seconde Guerre mondiale soit majoritairement perçue comme ayant été une guerre « juste » aux États-Unis, plusieurs romans s’éloignent de cette vision traditionnelle. La question de l’extrême violence du conflit se retrouve notamment au cœur de plusieurs ouvrages de fictions de l’après-guerre, publiés par Norman Mailer, James Jones, Joseph Heller et Martha Gellhorn.

Dans The Naked and the Dead, publié en 1948, Norman Mailer ne s’attarde que très peu sur la victoire américaine, ou sur la loyauté et le courage des soldats américains engagés dans les batailles les plus sanglantes. Lui-même ancien combattant, Mailer propose plutôt un récit dans lequel les Américains firent preuve d’une violence sans limite pendant la guerre, qu’il mit en relation avec la nature compétitive de l’économie américaine traditionnelle et sa propension à engendrer une attitude agressive49. James Jones proposa également une vision très critique de la société américaine et des forces armées qui ont, selon lui, tendance à provoquer une attitude agressive et conquérante. Jones, un ancien combattant lui aussi, s’inspire de son expérience de la guerre dans ses romans, et plus particulièrement dans The Red Thin Line, publié en 1962. Dans ce roman, Jones peint un tableau très réaliste des combats ; pour lui, la guerre moderne est une expérience éminemment personnelle et solitaire qui force chaque soldat à endurer seul les souffrances du conflit. Jospeh Heller, auteur américain mondialement connu pour ses écrits satiriques sur la Seconde Guerre mondiale, publia en 1961 son premier roman, Catch-22, une satire féroce de l’armée, de la hiérarchie et de la Seconde Guerre mondiale50. Celui-ci raconte l’histoire d’une escadrille d’aviateurs basée sur la petite île italienne de Pianosa pendant la guerre, et plus particulièrement l’épopée burlesque du Capitaine Yossarian, navigateur de B25, héros tragicomique, qui tente à tout prix de sauver sa vie en simulant la folie dans un monde qui a perdu la raison. Le sort des civils et des victimes des atrocités nazies est quant à lui évoqué dans l’œuvre de Martha Gellhorn, infatigable correspondante de guerre qui

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John Bodnar, « Public Sentiments and the American Remembrance of World War II », dans Marguerite S. Shaffer (éd), Public Culture. Diversity, Democracy, and Community in the United States, Philadelphie : University of Pennsylvania Press (2008), p.70.

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Le succès de ce roman fut tel que son titre est entré dans la langue courante anglaise pour désigner aujourd’hui une situation dite « perdant-perdant ».

James H. Meredith, Understanding the Literature of World War II. A Student Casebook to Issues,

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suivit l’armée américaine du Débarquement de Normandie jusqu’à la libération du camp de Dachau51.

Cette vision critique de la Seconde Guerre mondiale se retrouve dans la filmographie américaine à partir des années 1990. Plusieurs films s’interrogent en effet sur le mythe américain de la guerre, comme par exemple When Trumpets Fade52 (1998), La ligne rouge53 (1998), The Fallen54 (2004), Il faut sauver le soldat Ryan55 (1998), Mémoires de nos pères56 ou encore Lettres d’Iwo Jima57(2006). Ces films déconstruisent le mythe héroïque de la guerre, notamment en mettant en scène les failles humaines et les craintes de personnages très éloignés des héros hollywoodiens traditionnels. Ils s’inscrivent dans le mouvement plus général des films américains sur la Seconde Guerre mondiale produits à partir des années 1990 qui s’interrogèrent sur la notion d’héroïsme58.

Cette vision critique à l’égard de la machine de guerre américaine semble découler du fait que les États-Unis ont eu une certaine distance avec la guerre : le front et les combats étaient plus lointains et, dans une certaine mesure, plus abstraits pour la population civile. Pour l’historien littéraire Paul Fussell, l’éloignement des zones de combat européennes et dans le Pacifique a contribué à limiter la compréhension et la pertinence culturelle de la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis59. Par ailleurs, contrairement à la Grande- Bretagne, le patriotisme américain était loin de faire l’unanimité ; les mouvements beatnik des années 1950 et anti-guerre des années 1960 sont la preuve d’une opinion publique très critique de la guerre. Les intellectuels britanniques semblent avoir été quant à eux bien plus conformistes. Si la filmographie britannique sur la guerre a elle aussi évolué, elle semble beaucoup moins critique du mythe de la Seconde Guerre mondiale que la filmographie américaine. Un pont trop loin (1977) semble être l’un des derniers films de guerre britannique dit « traditionnel ». À partir des années 1980, les films de guerre en Grande-Bretagne se sont détournés des batailles, des reconstructions d’événements majeurs et des portraits des personnalités militaires pour se concentrer davantage sur les relations humaines et amoureuses de leurs personnages60.

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James Dawes, « The American war novel », dans Marina MacKay (éd), The Cambridge Companion

to the Literature of World War II, Cambridge : Cambridge University Press (2009), pp.62-64.

52

Réalisé par John Irvin.

53

The Thin Red Line (titre original), réalisé par Terrence Malick, d’après le roman éponyme de James Jones.

54

Réalisé par Ari Taub.

55

Saving Private Ryan, réalisé par Steven Spielberg.

56

Flags of Our Fathers, réalisé par Clint Eastwood.

57

Letters from Iwo Jima, réalisé par Clint Eastwood.

58

Wesley J. O’Brien, Music in American Combat Films, Jefferson : McFarland and Company, Inc (2012), p.157.

59

Paul Fussell, Wartime. Understanding and Behaviour in the Second World War, Oxford : Oxford University Press (1989), p.268.

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