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Conclusion du chapitre

Section 3. Les Principes (1863) et la valeur économique

3.2. La valeur économique

Cournot redit en 1863 son attachement à la démarche des Recherches. L’objet central

de l’évaluation doit être la richesse considérée comme valeur échangeable ; afin de construire une théorie mathématique des richesses, on doit considérer seulement les dimensions marchandes de la valeur et cela suppose qu’on laisse de côté les questions d’origine de la valeur. Aussi est-il quelque peu déroutant de voir Cournot affirmer, quelques pages plus loin, l’importance d’une valeur économique qui, précisément, soit distincte de la valeur marchande. Cette énigme n’en est une que relativement à la représentation usuelle du progrès de la discipline, partant des théories classiques objectives de la valeur vers les théories « symétriques » et marchandes de la valeur. Pour l’instant, précisons ce que Cournot entend par valeur économique85.

84 Seul le chapitre IX consacré au concours des producteurs ne se retrouve pas dans l’ouvrage de 1863 ; il est repris en revanche dans la Revue Sommaire en 1877.

85 Notons que la distinction entre valeur marchande et valeur économique ne correspond pas à la distinction valeur réelle / valeur nominale que Cournot emploie à propos de la question du revenu social et qui relève d’un ordre de questions très différent : dans les Principes, la distinction valeur réelle / valeur nominale renvoie au thème du Système économique (livre 4) et non à celui des Richesses (livre 1).

Cournot aborde la question de la valeur économique au quatrième chapitre du livre premier des Principes, chapitre repris de son Traité de 1864. Le titre indique clairement que

l’on s’intéresse à bien autre chose qu’à la valeur marchande : « Aperçu général du mécanisme économique et du jeu des forces productrices. Définition de l’équivalence économique. Du concours du travail et des forces ou des ressources naturelles » (P, §29). La valeur dont il est

question ici, la valeur économique, s’ancre dans le processus de production et semble tout à fait indépendante de ses dimensions marchandes. Dans ce chapitre, Cournot compare le phénomène de la production économique et le travail des machines86. Le phénomène de

production est conçu alors comme une conversion de « forces » naturelles : « Figurons-nous un machine à vapeur qui élève sur un plateau un grand volume d’eau : cette eau mise en réserve pourra ensuite être utilisée comme moteur, et régénérer par sa chute la force vive qui a été dépensée pour l’élever à la hauteur voulue, sauf un déchet que le perfectionnement du mécanisme atténuera de plus en plus et dont il convient de faire abstraction pour la commodité du raisonnement » (P, §29). Plus loin, « De même, lorsque l’on suit le travail

d’une usine, d’une manufacture, on voit qu’elle consomme sans cesse des provisions de matières premières, de combustibles et de denrées de toutes sortes ; mais, la valeur de toutes les matières consommées doit se retrouver et se retrouve dans la valeur des nouveaux articles que l’établissement industriel livre au commerce, sans quoi il est trop évident qu’il fabriquerait à perte et qu’il ne pourrait se soutenir » (P, §30). A ce moment, on ne sait pas très

bien ce qu’est cette substance de la valeur, mais on voit clairement que celle-ci émane du processus de production. Relativement à cette valeur économique, la transformation ou la conversion des forces peut être jugée productive ou improductive87. Dans le cas où elle est

productive, la valeur est donc quelque chose qui s’est « ajouté » dans le processus de production. Il s’agit bien aussi d’une manière d’évaluer les biens, et de permettre des comparaisons, ce qui apparaît nettement lorsque Cournot présente la notion d’équivalent économique :

86 Il est frappant que tout ce qui concerne l’idée d’un mécanisme économique est développé ici à propos de registres qui échappent justement à la théorie des richesses comme valeurs échangeables, ce qui va contre l’idée d’une solidarité entre l’emploi des mathématiques et le recours aux images mécaniques ; cf. infra, notre deuxième partie.

87 Aussi, du point de vue de l’économiste, les dépenses peuvent être improductives ou productives « d’une manière directe ou indirecte : par la production de valeurs nouvelles, ou par le développement d’aptitudes de forces productrices qui doivent être ultérieurement des sources de richesse » (P, §32).

« Si un industriel emploie indifféremment m unités de la denrée A ou n unités de la denrée B, parce qu’il obtient ainsi le même produit, moyennant la même dépense, on est bien fondé à dire que m unités A sont l’équivalent économique de n unités B » (P, §33).

Ce qui ressort de cette comparaison, c’est surtout la possibilité de rendre comparables les biens au regard de cette valeur économique, ce que traduit le passage suivant :

« Les chimistes ont construit leur table d’équivalents, d’abord en comparant à une certaine substance chimique A d’autres substances B, C, D,… qui lui sont directement comparables, puis en comparant avec une de celles-ci (C par exemple) d’autres substances H, I, K,… que l’on ne pourrait pas directement comparer avec A ou B, et ainsi de suite. Il en serait de même pour l’équivalence économique ou industrielle. Le bois est comparable à la houille, par la quantité de chaleur qu’il développe dans la combustion et par la quantité de force mécanique que cette chaleur peut développer, ou mieux encore par la fraction des quantités développées que l’on peut utiliser économiquement : pendant que, par les services qu’il rend dans les constructions, il est comparable à la fonte, au fer forgé, à la pierre de taille, que l’on ne saurait comment mettre en comparaison directe avec la houille » (P, §33).

Cette notion ne s’applique pas seulement aux biens, mais aussi au travail de l’homme. « Le travail purement mécanique de l’homme est comparable à celui d’une machine à vapeur que la houille ou le bois alimentent88 » (P, §34). Ces définitions visent en réalité à isoler un objet

dont les contours apparaissent plus nettement si on en présente les enjeux théoriques.

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