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Introduction de la première partie

Section 1 L’apport des Recherches

1.3. Les aspects « modernes » de l’approche de Cournot

Les chapitres 5 à 8 des Recherches présentent les conditions mathématiques de détermination du prix selon les différents états de la concurrence. La comparaison de ces résultats est possible parce que l’on a supposé que la loi de la demande ne se modifiait pas, qu’elle constitue une donnée. Dans chaque situation, on peut en outre évaluer les effets sur le niveau du prix de changements affectant les coûts de production. Les différents états de la concurrence ne possèdent pas la même importance pour Cournot, les situations de monopole et de concurrence indéfinie faisant l’objet d’une attention plus grande par rapport aux situations intermédiaires. La succession des chapitres correspond à l’ordre d’investigation mathématique. La situation de monopole est mathématiquement la situation la plus simple. Examiner successivement les situations de duopole, puis de concurrence des producteurs permet de faire sentir les effets de la concurrence de manière progressive. Il faut noter, en outre, que l’hypothèse de concurrence indéfinie possède un statut très important dans l’approche des Recherches. Cette situation est jugée réaliste : « cette hypothèse est celle qui se réalise dans l’économie sociale pour une foule de productions, et pour les productions les plus importantes » (R, §50). Cette situation de concurrence indéfinie, définie mathématiquement comme un cas limite, constitue le véritable aboutissement de la démarche de Cournot et une norme qui permet d’évaluer les autres situations. Ainsi les chapitres 9 et 10 permettent d’étendre les résultats de la situation de concurrence indéfinie pour évaluer l’effet du « concours des producteurs » (chapitre 9) et de « la communication des marché » (chapitre 10)35

.

Pour le dire de façon concise, les Recherches sont l’occasion de discuter la manière dont les prix varient en fonction des différents critères qui influent sur leur détermination : la structure de la concurrence, les frais de production et la fiscalité (directe ou indirecte). L’approche mathématique permet de comparer les niveaux relatifs des prix dans différentes situations. On trouve de façon générale deux manières de faire : on peut soit comparer des résultats finaux en grandeur relative, comme nous venons de le décrire, soit évaluer l’impact de modifications d’un des éléments affectant les conditions de production dans une situation concurrentielle donnée et comparer les accroissements relatifs des variables. Il faut insister sur

35 Nous ne détaillons pas le contenu de ces chapitres qui n’apporte pas d’élément nouveau pour éclairer la démarche général des Recherches Nous reviendrons en revanche sur le chapitre 9 lorsque nous aborderons la question des représentations de l’équilibre ; cf. infra, chapitre 5.

la dimension critique de cette approche, critique au sens où elle donne la possibilité de considérer avec une rigueur nouvelle un certain nombre de propositions des économistes classiques. A titre d’exemple, dire qu’une augmentation des frais de production en situation de monopole conduira à une augmentation du prix supérieure ou inférieure à l’accroissement des frais selon la forme de la loi du débit (R, §35) permet de préciser le sens de la proposition suivant laquelle une augmentation des frais entraîne une hausse du prix.

A première vue, on serait tenté de voir dans la démarche de Cournot, et tout particulièrement dans la situation de concurrence indéfinie, les fondements d’une théorie symétrique de la valeur. Dans le cas de concurrence indéfinie, la prise en compte des frais revient à construire d’abord une fonction implicite du prix Ω( )p comme la somme des fonctions de coûts marginaux individuelles (puisqu’elle est la somme de fonctions individuelles de coûts marginaux qu’on a supposées croissantes, la fonction Ω( )p est croissante). L’étape suivante conduit à poser comme condition de maximisation que la différence des deux expressions de l’offre et de la demande s’annule soit :

( )p F p( ) 0

Ω − = .

Ce qui revient à poser comme condition de détermination du prix l’égalité de ces deux expressions, soit :

( )p F p( )

Ω =

Or cette fonction Ω( )p est construite « comme une courbe d’offre » en sommant les inverses des fonctions de coût marginal de chaque producteur : cette manière de faire – déduire une courbe d’offre d’une ou plusieurs firmes à partir des fonctions de coût, en posant que la courbe d’offre correspond à la partie croissante de la fonction de coût marginal– est en effet la manière usuelle de procéder aujourd’hui en microéconomie36. De plus, Cournot

indique que l’on doit supposer que les coûts marginaux sont nécessairement croissants (R, §50). Si l’on ajoute à cela que la fonction F p est posée directement comme une fonction de ( ) demande de marché, on trouve formellement tous les ingrédients d’une théorie moderne de la détermination du prix. La situation de concurrence indéfinie semble donc donner l’essentiel des arguments pour rapprocher la démarche de Cournot d’une théorie symétrique de la

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détermination du prix. Cette impression se trouve renforcée également par le fait que l’on trouve un certain nombre de résultats formels attachés aux développements modernes, tels l’égalisation du prix au coût marginal en concurrence indéfinie, l’égalité entre coût marginal et recette marginale pour le monopole ou encore la notion d’élasticité prix de la demande37.

En effet, sachant que la base analytique de la comparaison des résultats est la fonction de demande, on est conduit, lorsque l’on prend en compte les frais de production (sous la forme d’une fonction de coûts) à égaliser formellement le coût marginal et la recette marginale. Même si Cournot n’explicite pas ces résultats, on trouve les principales conditions mathématiques de détermination du prix en équilibre partiel. Lorsque, partant de cette situation, Cournot souhaite ensuite évaluer l’effet d’un accroissement des frais de production sur le prix, il illustre graphiquement le passage d’une situation à l’autre en traçant les courbes représentatives des fonctions F p et ( ) Ω( )p dans un même repère, où le prix final correspond à l’intersection de ces deux courbes. Bien qu’il n’utilise pas les termes « modernes », ces résultats laissent penser que la « réalité mathématique » d’un certain nombre de concepts fondamentaux pour le renouvellement de l’analyse économique quelques décennies plus tard est bien présente dans les Recherches38.

37 Lorsque Cournot indique que l’on pourrait classer les biens en deux catégories, selon que

p D p D < ∆ ∆ , ou p D p D > ∆ ∆ (R, §24).

38 Pour étayer l’idée selon laquelle Cournot aurait eu l’intuition d’une théorie symétrique de la valeur, on a quelquefois mobilisé l’idée que l’image physique d’un rapport de forces aurait joué un rôle dominant dans la représentation par Cournot du marché (Ménard, 1978, p. 38) (Ménard, 1982). Ainsi Ménard, qui interprète cette égalité comme sous-tendue par la représentation d’un système de forces tendant vers l’équilibre, remarque que la situation de concurrence indéfinie est aussi celle où un grand nombre de vendeurs fait face à un grand nombre d’acheteurs. Nous reviendrons dans la seconde partie de la thèse sur l’influence des images physiques pour l’application des mathématiques ; cf. infra, chapitre 5.

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