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Introduction de la seconde partie

Chapitre 4. La question de l’invariance

« Les théories, les mesures et (dans ce qui ne comporte pas de mesure précise) l’estime ou l’évaluation approchée de l’astronome vaudront toujours scientifiquement mieux que les théories, les observations, les mesures et l’estime de l’économiste, même le plus exercé et le plus sagace. C’est la suite nécessaire d’un contraste si marqué entre la simplicité des phénomènes astronomiques et la complication des faits sociaux. Mais, en principe et sauf à discuter les procédés d’exécution de mesure ou d’estime, il n’est pas plus déraisonnable de chercher une mesure fixe des valeurs, quoiqu’il n’y ait point d’objets dont la valeur reste invariable, que de chercher une mesure fixe du temps et un régulateur de toutes les horloges, quoiqu’il n’y ait point d’horloge qui ne marche avec une régularité parfaite » (P, §89).

Introduction

La question de l’interprétation des changements de valeur implique que l’on aborde d’une façon ou d’une autre le thème de l’invariance. Nous cherchons dans ce chapitre à faire sentir l’originalité de la position de Cournot sur l’invariance qui apparaît, dans les

Recherches, à l’occasion du traitement de l’articulation des registres de l’évaluation absolue et

relative. Pour mener à bien cette tâche, nous proposons d’élargir la problématique de l’invariance à ce que Mathiot a nommé la « question de la valeur relative » (Mathiot, 1984, p. 206). Après avoir défini la valeur relative comme « une grandeur qui intègre le rapport des marchandises entre elles, tel que les relations économiques justement le modifient », Mathiot observe que « s’il s’agit (…) d’une grandeur spécifique, il est difficile de la construire comme expression univoque » (Mathiot, 1984, p. 206). En effet la valeur ainsi définie renvoie à une multiplicité de rapports, puisqu’il existe autant de façons d’exprimer la valeur relative que de rapports d’échange particuliers. La difficulté est alors d’interpréter les changements qui surviennent dans ce rapport comme les changements d’une grandeur variant de façon univoque. Comme le note Mathiot, le choix d’une référence commune ne résout aucunement ce problème :

« Sans doute le prix réduit-il la multiplicité des rapports à un rapport unique, grâce au choix d’une référence commune. Mais ce que les classiques font voir, et que Cournot admet lui aussi, c’est que ce rapport même unique ne suffit pas encore : car même univoquement déterminé, le changement du rapport a

b en a b

′ ′ ne

dit encore rien sur ce qui a changé : est-ce a, b , ou les deux ? »

(Mathiot, 1984, p. 206).

La formulation de Mathiot possède plusieurs avantages pour notre recherche. Le premier de ces avantages réside dans sa formulation extrêmement générale du problème central de l’évaluation. On peut décrire les démarches de Ricardo, Say et Cournot comme des manières différentes de répondre à une même difficulté : rapporter les changements de la valeur relative aux variations d’une grandeur variant de façon univoque. Ainsi la recherche d’une correspondance des registres d’évaluation absolue et relative chez Ricardo peut être présentée comme une manière de répondre à cette question, ce qui ne posait pas problème. En outre, et ce qui était moins évident, c’est que l’on peut présenter la position de Say comme une autre manière radicale de résoudre la question de la valeur relative en la ramenant au prix. En tant que telles, les positions de Ricardo et Say sont donc deux manières de répondre à cette « question de la valeur relative »130

. Mais elles suggèrent surtout deux hypothèses concurrentes permettant de faire sentir l’originalité de la démarche de Cournot. Dans ce cadre, nous essayons de comparer la démarche de Cournot avec celle de Ricardo, en mettant l’accent sur les similitudes et les différences dans les manières dont ces deux auteurs conçoivent le traitement de l’invariance. D’un autre côté, nous disposons aussi d’une bonne base pour apprécier les différences entre les traitements de l’invariance par Cournot et par Say, et pour critiquer l’interprétation relativiste de la démarche de Cournot, qui nie la perspective de l’articulation des registres.

L’objet de ce chapitre est l’examen de l’apport de Cournot à la question de l’invariance, à l’aune des différentes catégories qui apparaissent chez les classiques. Nous montrons d’abord comment ce thème de l’invariance est apparu chez les classiques britanniques. S’il est clair que le problème de l’invariance apparaît surtout chez les classiques de la « seconde » génération (Lapidus, 1986, p. 80), nous tentons de déceler dans l’œuvre de

130 Un autre avantage de cette formulation de Mathiot est qu’elle présente la question de cette correspondance comme le problème fondamental posé aux théories classiques de la valeur : c’est la prise de conscience de cet écart, ce constat que la grandeur du prix est sans rapport immédiat avec la notion de valeur qui justifie précisément qu’on fasse de la valeur une théorie (Mathiot, 1984, p. 206).

Smith les prémisses de cette problématique, afin de présenter le programme de recherche ricardien comme le résultat d’un remaniement des catégories smithiennes (Section 1. Genèse d’une problématique de l’invariance chez Smith et Ricardo). Dans une deuxième section,

nous présentons l’apport de Cournot comme relevant d’une volonté de résoudre une partie des difficultés auxquelles était confronté Ricardo, notamment en concevant de façon plus souple l’opération de mesure (Section 2. L’invariance selon Cournot). Ceci nous permet, dans une

troisième section, d’examiner de manière critique l’interprétation relativiste du traitement de la valeur dans les Recherches, qui consiste à rapprocher l’approche de Cournot de celle de

Section 1. Genèse d’une problématique de l’invariance chez Smith

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