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Conclusion du chapitre

Section 2. Des changements absolus et relatifs de la valeur

2.1. L’image cinématique

Cournot observe au tout début du chapitre 2 des Recherches que la question des

« changements de valeur, absolus et relatifs » touche aux notions premières et fondamentales de la science économique :

« Lorsqu’il s’agir de remonter aux premières notions sur lesquelles une science repose, et de les formuler avec précision, on rencontre presque toujours des difficultés qui tiennent quelquefois à l’origine même des idées, plus souvent aux imperfections du langage. C’est par exemple un point assez obscur, dans les écrits des économistes, que la définition de la valeur, la distinction des valeurs relatives et des valeurs absolues » (R, §7).

A propos de la distinction entre valeur absolue et valeur relative, Cournot indique qu’une « comparaison bien simple et d’une exactitude frappante va (…) servir à l’éclaircir » (R, §7). Toute sa démonstration se base en effet sur une métaphore : la comparaison du

système des valeurs avec un système de points situés dans l’espace. Cournot présente ici une « cinématique des valeurs75 ».

Il indique tout d’abord que, de même qu’il est nécessaire de posséder un repère fixe pour reconnaître les mouvements de points situés dans l’espace, il semble nécessaire de posséder un étalon invariable afin de montrer que la valeur d’un bien a augmenté ou diminué :

« Nous jugeons qu’un corps se meut lorsqu’il change de situation par rapport à d’autres corps que nous considérons comme fixes. Si nous observons à deux époques différentes un système de points matériels, et que les situations respectives de ces points ne soient pas les mêmes aux deux époques, nous en concluons nécessairement que quelques-uns de ces points, sinon tous, se sont déplacés ; mais si de plus nous ne pouvons pas les rapporter à des points de la fixité desquels nous soyons sûrs, il nous est de prime abord impossible d’en rien conclure sur le déplacement ou l’immobilité de chacun des points du système en particulier » (R,

§7).

En conséquence, Cournot indique que « de même que nous ne pouvons assigner la situation d’un point que par rapport à d’autres points, ainsi nous ne pouvons assigner la valeur d’une denrée que par rapport à d’autres denrées. Il n’y a en ce sens que des valeurs relatives » (R, §8). Pourtant, en dépit de cette affirmation, Cournot indique, premièrement, que les

changements des valeurs relatives proviennent de changements survenus dans un autre

75 Le terme de cinématique « est un emprunt (…) au grec kinêmatikos dérivé de kinêma « mouvement » (Rey, 2000, p. 757). Il est du à Ampère qui le définit de la façon suivante : « Cette science doit renfermer tout ce qu’il y a à dire des différentes sortes de mouvemens, indépendamment des forces qui peuvent les produire. Elle doit d’abord s’occuper de toutes les considérations relatives aux espaces parcourus dans les différens mouvemens, aux temps employés à les parcourir, à la détermination des vitesses d’après les diverses relations qui peuvent exister entre ces espaces et ces temps » (Ampère, 1834, p. 51).

registre d’évaluation et, deuxièmement, qu’il est possible de remonter à l’origine des changements observés. Il faut bien noter que la comparaison du système des valeurs avec un système de points ne conduit pas Cournot à défendre une position relativiste. Si Cournot n’explicite pas ce qu’il nomme valeur absolue et ne donne aucune définition, cette définition peut malgré tout être reconstituée si l’on observe les différentes étapes de sa démonstration.

Cournot fournit une série d’exemples. Dans un cas présenté comme le plus simple, il indique que « si tous les points du système, à l’exception d’un seul, avaient conservé leur situation relative, nous regarderions comme très-probable que ce point unique est le seul qui s’est déplacé ; à moins toutefois que les autres points ne fussent liés entre eux, de manière à ce que le déplacement de l’un entraînât le déplacement de tous les autres » (R, §7). Il en va de

même pour les marchandises:

« Cependant, si toutes les denrées, à l’exception d’une seule, conservaient les mêmes valeurs relatives, nous regarderions comme bien plus vraisemblable l’hypothèse qui ferait porter le changement absolu sur cette denrée unique ; à moins qu’on aperçût entre les autres denrées une dépendance telle, que l’une ne pût varier sans entraîner, dans les valeurs de celles qui en dépendent, des variations proportionnelles » (R, §8).

Cournot indique que cette dernière situation est seulement un « cas extrême ». Il montre que, dans bien d’autres configurations, il demeure possible d’apprécier à quels changements absolus sont dus les changements relatifs76 (R, §7). De fait, il résulte de cette

affirmation –la remarque est triviale–, que quelque chose comme une évaluation absolue possède une signification. Elle possède une signification, à la condition toutefois que l’on ne prétende pas décrire des valeurs absolues, mais des « changements absolus dans la valeur ». « Il n’y a pas de valeurs absolues, mais bien des mouvements de hausse et de baisse absolus dans les valeurs » (R, §10). A propos de cette définition de la « valeur absolue » ou d’un

changement de cette valeur, il faut reconnaître que nous disposons en 1838 de fort peu d’éléments. Le plus important est que la valeur d’une marchandise peut augmenter ou diminuer toute seule, tout comme l’on peut concevoir que le déplacement d’un point situé

puisse être un déplacement de ce point particulier et qui soit indépendant des mouvements des

76 « Si l’on ne se borne pas à comparer les système des valeurs relatives, à deux époques distinctes, mais qu’on le suive dans ses états intermédiaires, il en résultera de nouvelles données, pour assigner la loi la plus probable des variations absolues, entre toutes celles qui peuvent satisfaire à la loi observée des variations relatives » (R, §8).

autres points ou d’un système particulier de repérage : la valeur absolue est quelque chose qui

est attaché à la marchandise de façon individuelle, indépendamment des rapports d’échange particuliers. L’image cinématique suggère aussi qu’un changement de la valeur d’un bien est possible ou qu’il peut être décrit indépendamment de toute considération portant sur les causes du changement (les forces impliquées dans ce changement)77. Par ailleurs la valeur relative est définie comme ce qui se donne à l’observation et ce qui peut faire l’objet d’un traitement objectif.

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