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pour une approche communicationnelle des processus organisant

1. Informatisation et “pensée-ingénieur”

1.3. Une conception canonique de la communication

1.3.1. Une théorie mathématique de la communication

La perspective de la communication qui est adoptée dans ces approches classiques de l’organisation est celle d’une communication qui véhicule de l’information. En effet, construit dans les années 70-80 avec l’émergence d’une Société de l’information, la communication y est souvent considérée sous l’angle du « paradigme de l’informativité » (Grosjean et Bonneville, 2006). C’est à dire qu’elle n’est envisagée qu’au travers des seuls échanges par lesquels les individus transmettent de l’information. C’est une communication formelle qui est perçue comme une entité distincte de l’organisation et sur laquelle on peut avoir un certain contrôle. Comme le souligne Luc Bonneville et Sylvie Grosjean, « parler de communication formelle, c’est faire référence aux communications qui sont généralement prévues, organisées

et planifiées à partir de règles, de normes et de consignes précises (…) ; c’est une forme de rationalisation de la circulation des informations nécessaires à l’accomplissement des activités et des tâches » (2011, p.42). Cette vision de la communication est typiquement celle qui régie les échanges entre pilotes et contrôleurs. En effet, comme nous avons pu le voir dans le chapitre 1, les communications pilotes-contrôleurs font l’objet d’une forte prescription et d’une réglementation conséquente. Envisagée comme un instrument de gestion, la communication a pour vocation de soutenir la finalité de l’activité. Dans notre domaine d’investigation, la communication est vue comme un outil permettant de coordonner les activités de pilotage et de contrôle.

Ces communications se fondent principalement sur le modèle cybernétique de la communication tel que proposé par les ingénieurs et mathématiciens Shannon et Weaver (194841 ; 194942). La communication y est envisagée selon une perspective mathématique et considérée comme un processus linéaire simple de transmission et de compréhension d’un message entre un émetteur et un récepteur : l’émetteur encode un message avec un sens voulu à destination du récepteur qui décode le message reçu afin d’en saisir le sens. Le codage et le décodage sont des activités cognitives effectuées par les deux interlocuteurs. Le message circule sur un canal de transmission qui peut comporter des bruits. A cela peut s’ajouter une autre opération, celle de la rétroaction (Wiener, 194843). Elle consiste en un feedback qui se traduit par une action langagière ou corporelle du récepteur et qui permet certains ajustements quant à la transmission et à la compréhension du message. Les activités de production d’information et de communication des pilotes et des contrôleurs sont pensées selon ces mêmes principes. En reprenant le schéma cybernétique de la communication (Shannon et Weaver 194844, 194945 ; Wiener, 194846) et en le transposant à la communication pilotes- contrôleurs l’évidence est frappante.

41

Shannon, E.C., (1948), A Mathematical Theory of Communication. Bell System Technical Journal, n°27, p.379-428.

42

Shannon, E.C, et Weaver.W., (1949), The Mathematical Theory of Communication. Urbana: University of Illinois Press.

43

Wiener, N., (1948), Cybernetic, or Control and Communication in the Animal and The Machine, Cambridge: MIT Press.

44 Op. cit. 45 Op. cit. 46 Op. cit.

Chapitre 2– De la pensée-ingénieur à la pensée organisationnelle…

Figure 6 : Une conception canonique de la communication pilotes-contrôleurs

Dans cette vision, la préoccupation principale a trait à l’énoncé qui est produit : Le pilote ou le contrôleur possède une certaine intention communicative et produit un énoncé phraséologique porteur de sens. L’auditeur (pilote ou contrôleur) reçoit cet énoncé et le décode afin de récupérer le sens intentionné. Le feedback, ici le collationnement, permet une boucle de rétroaction pour vérifier que le message a correctement été reçu (compris ?). La communication est considérée comme bonne dès lors que le sens voulu correspond au sens reçu. On retrouve ici très clairement l’idée du télégraphe où la communication est conçue comme un transfert d’information d’un émetteur à un récepteur. Cette façon de penser la communication prend tout son sens pour les ingénieurs dès que l’on se remémore les premiers échanges pilotes-contrôleurs par télégraphie sans fil, l’enjeu consistait à pouvoir coder puis décoder l’information qui circulait dans un canal de transmission. L’un des points centraux du modèle cybernétique concerne la notion de « bruit ». Ce bruit correspond aux parasites qui peuvent avoir lieu au cours de la transmission d’un message et qui viennent alors perturber les échanges. Dès lors, l’enjeu consiste à réduire au maximum les problèmes d’interférence et de distorsion du message qui sont conçus comme des obstacles à « la communication ». La mise en œuvre de la phraséologie relève d’une volonté de pallier ces distorsions en déterminant les règles de transmission les plus efficaces. Sous cet angle, l’intérêt se porte sur les informations transmises et leur codage, les obstacles rencontrés et le décodage qui est fait de ces informations. Dans cette conception, l’enjeu consiste à déterminer les meilleurs critères pour une « bonne communication » : mais la question à se poser est « pour qui » ? « S’il y a des critères internes à la communication, ils n’ont de valeur que rapportés à d’autres aspects de la vie de l’organisation. Les mêmes manifestations n’ont ni le même sens ni les mêmes effets selon le contexte » (Lacoste, 2001, p.51).

source/émetteur : pilote ou contrôleur récepteur : pilote ou contrôleur canal : radio bruits : parasitages feedback : collationnement

codage : phraséologie décodage : phraséologie

Sous ce modèle, il est n’est en effet nullement question « d’interprétation ou de réinterprétation du sens des messages au fur et à mesure du processus de communication, non plus que de contexte en fonction duquel l’émetteur et le récepteur reconstruisent ce sens » (Bonneville et al., 2007, p.174, cité dans Bonneville et Grosjean, 2011, p.53). L’ancrage contextuel de la communication n’est en effet pas pris en compte ; seules comptent les propriétés tangibles du message : « sa durée, sa fréquence, sa direction (forcément linéaire), les sources possibles d’interférence et surtout sur la façon la plus efficace de transmettre ce message d’un point A vers un point B » (Bonneville et Grosjean, 2011, p. 53). La question du sens n’est pas à interroger puisqu’il est considéré que le sens se trouve dans le message. Il est en effet supposé que le code (dans notre cas, la phraséologie) à lui seul permet de faire sens pour les pilotes et les contrôleurs. Or, bien que ce code participe de la compréhension des messages, il n’en détermine pas à lui seul le sens. Nous verrons dans la suite de ce chapitre que nombreux sont les chercheurs qui considèrent que « les interactions sont plus qu’un simple partage ou échange d’informations : elles construisent, génèrent « quelque chose » d’autre que ce qui était présent avant l’échange : des significations, des actions coordonnées » (Allard-Poesi, 2003, p.94) ; perspective à laquelle nous adhérons.

Comme le souligne Sylvie Grosjean et Luc Bonneville (2007c), « Le paradigme de l’informativité s’est largement construit sur la base de l’idée selon laquelle l’information, notamment grâce aux TIC, pouvait révolutionner les pratiques organisationnelles qu’on a voulu rendre plus performantes. Or cette performance tant convoitée reposait la plupart du temps sur un projet d’intensification, de rationalisation du travail, ce qu’on pensait en grande partie possible avec la reconfiguration structurelle du rapport au temps et à la vitesse » (p.15).

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